Fraude à l'emploi, amoureuse, chantage, faux policier... Voici comment des arnaqueurs s'y sont pris auprès de Québécois qui ont été poussés au désespoir, jusqu'à la mort
Le Journal a consulté des dizaines de rapports de coroner

Valérie Gonthier et Erika Aubin
Nous sommes plus que jamais ciblés par des arnaques de tous genres. Souvent banalisés ou jugés sans violence, ces crimes causent pourtant des ravages insoupçonnés et ont poussé plusieurs Québécois au suicide, révèle une enquête du Journal.
Un nombre effarant de Québécois ont choisi de s'enlever la vie après avoir été victimes d'une fraude. Voici quelques cas de personnes poussées au désespoir par une arnaque, parmi la montagne de rapports d'enquêtes du coroner consultées par Le Journal. Nous avons pris la décision de ne pas les nommer, à la demande des proches ou par souci de discrétion, lorsque nous n'avons pas pu les joindre.
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Homme, 41 ans, Laval
Novembre 2020, Victime d'une fraude à l'emploi
«Comme un imbécile, je suis tombé dans le panneau.»
C’est avec ces mots qu’un Lavallois a expliqué à ses proches son geste de désespoir.
Tout n’était pas rose dans la vie de l’homme à cette époque. La pandémie de Covid-19 l’avait isolé et il combattait un cancer.
Or, selon son frère, ce qui l’a poussé au suicide, c’est une fraude dont il a été victime les jours précédant son décès. Il a demandé qu’on taise son identité ainsi que celle de son frère par dignité pour ce dernier, qui est mort dans la honte.

Son nouvel emploi, qui le stimulait, s’est avéré être une arnaque. L’homme s’était déniché ce boulot, qui consistait à accomplir des tâches plutôt simples, en échange d’argent. On lui avait notamment demandé de créer un document lié à l’accueil de nouveaux arrivants. Il avait même vérifié la validité de l’employeur, qui avait mis en place un site web fonctionnel.
Sauf qu’à un moment, on lui aurait demandé d’envoyer des Bitcoins. Il devait recevoir de l’argent en retour, ce qui n’est jamais arrivé.
Ensuite, il a réalisé s’être fait avoir.
Son frère estime que le montant envoyé n’était pas si important, environ 2000$.
«Il y a l’argent, mais surtout le sentiment d’humiliation. Il était déjà un peu fragile, il voulait améliorer son sort et il s’est fait avoir. C’est clairement la goutte qui a fait déborder le vase», déplore le frère de la victime.
Homme, 63 ans, Estrie
Juin 2018, Victime d'une fraude amoureuse
Un policier retraité, veuf, s’est enlevé la vie après avoir réalisé qu’il a été victime d’une fraude. Il a découvert que la personne avec qui il entretenait une relation outre-mer n’avait pour seul objectif que de lui extorquer de l’argent. «Ses projets de vie qu’il avait élaborés avec cette personne sont réduits à néant», a écrit la coroner Kathleen Gélinas.
Homme, 41 ans, Sept-Îles
Février 2016, Victime d'extorsion
Peu avant son décès, il a été victime d’extorsion et de chantage. Il aurait versé une somme d’argent pour acheter le silence. «Mais d’autres sommes lui auraient été réclamées et le délai pour les verser était dépassé et des menaces lui auraient été proférées. Il a donc mis fin à ses jours», a résumé Me Bernard Lefrançois, dans son rapport de coroner.
Homme, 64 ans, Lévis
Janvier 2022, Victime de fausses accusations
À l’analyse de l’ordinateur de l’homme, un enquêteur a appris qu’il avait été victime d’une arnaque quelques jours avant son décès dont l’expéditeur était «Royale Police». On l’accusait de sévices graves, des accusations qu’il a toujours niées, mais qui lui ont tout de même causé d’importants troubles d’anxiété. «Il est clair dans ce dossier que l’arnaque a été l’élément déclencheur de son geste», a conclu le Dr Jean-Marc Picard, coroner.
Homme, 19 ans, Chaudière-Appalaches
Mai 2014, Victime de sextorsion
Une correspondance sur Skype avec une personne qui s’identifiait «Amour love» a mené au suicide du jeune étudiant. Après avoir eu du «web sexe», il s’est fait demander une importante somme d’argent. On a ensuite menacé le jeune homme de diffuser la vidéo sur ses réseaux sociaux. «La victime s’est sentie coincée et prise de panique», avait écrit le coroner Pierre Brochu.
Homme, 27 ans, Témiscouata
Juillet 2011, Victime de chantage
Après son décès, les policiers ont découvert sur l’écran d’ordinateur du jeune homme une conversation sur MSN, dans laquelle une personne inconnue semblait vouloir le faire chanter. La correspondance provenait de la Côte d’Ivoire. «Il est possible [qu’il] ait été victime d’une arnaque sur internet et qu’il a pris peur», résume la coroner Renée Roussel, dans son rapport. C’est vraisemblablement la première fois qu’un coroner sonne l'alerte sur le problème de la fraude en ligne qui mène au suicide.
Homme, 77 ans, Sherbrooke
Novembre 2021, Victime de fausses accusations
La victime a reçu un courriel frauduleux provenant d’un organisme fictif, soit la «Police Royale». On lui donnait un délai de 24 heures pour répondre à des accusations. Il y a répondu et a reçu un deuxième message dans lequel on lui indiquait qu’il pouvait régler ce dossier à l’amiable en payant une amende de 4875$. «Il a été pris de panique, car il ne voulait absolument pas avoir affaire à la justice», peut-on lire dans le rapport du coroner Richard Drapeau.
Homme, 43 ans, Estrie
Mai 2022, Victime d'une fraude amoureuse
Il avait eu des idées suicidaires l’année d’avant. «Selon les notes médicales, j’ai l’impression que les professionnels de la santé ont cru qu’il traversait une période difficile, mais temporaire à laquelle il devait s’adapter», a écrit le Dr John Westerlund, coroner. Puis en avril 2022, il aurait été victime d’une fraude amoureuse, qui lui a fait perdre une somme importante d’argent, presque toutes ses économies. Il s'est enlevé la vie peu après.
Homme, 76 ans, Nicolet
Novembre 2020, Victime d'un faux policier
L’homme avait divulgué des informations personnelles à un interlocuteur qui s’était fait passer pour un agent de la GRC. Il semblait nerveux et désorienté lorsqu’il en parlait. À cette époque, il était aussi émotivement affecté par les décès successifs d’amis. «La menace de représailles qui pesait sur lui, à défaut d’obtempérer aux demandes d’argent, a sûrement contribué à sa décision de mettre fin à ses jours», a conclu le coroner Pierre Bélisle.
Homme, 20 ans, Gatineau
Décembre 2013, Victime d'une fraude inconnue
Peu avant son décès, il avait fait une déclaration à la police pour une fraude. Il était très affecté par cela et avait confié à un ami ne plus avoir le goût de vivre. Il ne souffrait pas de problème de santé mentale. Il avait eu quelques mésaventures avec l'argent dans le passé et «il ne se pardonnait pas ce dernier incident», a noté la coroner Marie Pinault, dans son rapport.
Homme, 56 ans, Portneuf
Avril 2014, Victime de fraude financière
Au moment de son décès, il était en pleines procédures judiciaires, après avoir été floué par un partenaire d’affaires. Il avait d’ailleurs consulté un médecin les jours précédant sa mort, en lien avec son anxiété, rapportait dans son rapport la coroner Andrée Kronström. Son décès avait mené à l’acquittement de l’accusé. «Ce n’est pas un secret qu’une partie des motifs du suicide est la mauvaise aventure qu’il a vécue», avait commenté le procureur de la Couronne au dossier.
Homme, 77 ans, Vallée-de-la-Gatineau
Mars 2020, Victime de fraude par carte de crédit
Il avait été victime d’une fraude sur sa carte de crédit et était confronté à des problèmes financiers. Il avait aussi de la pression de la part de créanciers. «Il n’avait jamais voulu signaler cette fraude au service de police puisqu’il ne connaissait pas les fraudeurs et il avait une crainte à cet effet», peut-on lire dans le rapport de la coroner Joanne Lachapelle.
Homme, 60 ans, Thetford Mines
Mai 2018, Victime d'extorsion
L’examen de ses courriels a démontré que l'homme avait été victime d’extorsion sur internet et qu’il avait reçu des courriels insistants et menaçants, la veille. Son dernier courriel transmis le jour même mentionnait clairement qu’il allait mettre fin à ses jours. «Une note de suicide mentionnant notamment qu’il avait été piégé a été retrouvée avec le corps de [la victime]», a écrit Me Donald Nicole, dans son rapport de coroner.
Homme, 83 ans, Laval
Juin 2016, Victime d'une arnaque en ligne
Un homme qui ne semblait pas vivre de détresse psychologique ni avoir des idées noires s’est enlevé la vie après avoir été victime d’une fraude par internet lui causant des problèmes financiers. Il avait détaillé cette arnaque dans sa lettre d’adieu. «Même les personnes sans antécédents ni présence de trouble mental peuvent développer une détresse, les mettant à risque d’idéation suicidaire», a expliqué la Dre Marie-Chantal Lafrenière, coroner.
Homme, 63 ans, Mirabel
Octobre 2019, Victime de fraude financière
Un homme qui devait prendre des antidépresseurs depuis deux ans se serait fait arnaquer par une personne de confiance qui lui a causé de gros problèmes financiers ainsi que des démêlés judiciaires. «Il n’aurait jamais accepté cela», selon la coroner Denyse Langelier.
Homme, 62 ans, Marieville
Avril 2020, Victime de fraude financière
Il avait été victime d’une fraude d’un concessionnaire à la suite de la vente et de l’achat d’un véhicule. Il avait tenté, en vain, de récupérer son argent, ce qui lui a causé des ennuis financiers. «Sur la table de la cuisine, il y avait un texte manuscrit de passages bibliques, une bible ouverte et des documents concernant la fraude dont il est victime», a noté le coroner au dossier, le Dr André-H. Dandavino.
Homme, 61 ans, Montréal
Novembre 2018, Victime d'une fraude inconnue
Il a été victime d’une fraude qui s’est échelonnée de 2014 à 2018, laquelle l’a mené à une perte financière considérable, si bien qu’il a tenté de s’enlever la vie une première fois une semaine avant son décès. Il avait promis de consulter. Deux jours avant le drame, il a remis les clés de son entreprise à un liquidateur, ce qui l’a «brisé», résume la coroner Marjorie E. Talbot.
Femme, 57 ans, Côte-Nord
Mars 2019, Victime d'une fraude en ligne
Des proches ont rapporté aux policiers qu’elle était dépressive de longue date. Deux jours avant son décès, elle a rapporté aux policiers avoir été victime d’une fraude sur internet. Cet élément peut avoir été un «facteur déclencheur», a écrit le coroner Bernard Lefrançois.
Homme, 64 ans, Montréal
Juin 2022, Victime d'une fraude inconnue
Il était suivi pour plusieurs problèmes cardiaques. Quelques jours avant sa mort, il avait été victime d’une fraude pour un montant totalisant un peu plus de 1000$, «générant beaucoup d’anxiété chez lui», a noté la coroner au dossier, la Dre Geneviève Richer. Comme il avait le cœur fragile, il s’est présenté à l’urgence et a été hospitalisé durant quelques jours. Il s'est tué le jour qu’il a obtenu son congé.
Homme, 47 ans, Montréal
Mai 2021, Victime d'une fraude financière
L’homme souffrait depuis de nombreuses années de maladie mentale. Peu avant son décès, il avait quitté son emploi. Il avait aussi vécu une rupture amoureuse «dont il venait peut-être de réaliser qu’elle cachait une arnaque financière», peut-on lire dans le rapport de coroner du Dr Jean E. Brochu.