Fin de l’obligation vaccinale: comment la Floride pourrait foutre le trouble jusqu’au Québec


Anne-Sophie Poiré
La Floride compte devenir le premier État à supprimer l’obligation vaccinale, y compris pour les enfants. «Quand les États-Unis éternuent, le Canada attrape la grippe»: si l’adage dit vrai, l’abolition de cette mesure pourrait avoir des conséquences même au Québec. Doit-on craindre la résurgence de maladies infectieuses jusqu’ici maîtrisées par la vaccination?
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Le chef des services de santé de la Floride, le Dr Joseph Ladapo, a annoncé il y a deux semaines son intention de mettre fin à la vaccination obligatoire, notamment pour tous les enfants qui fréquentent les écoles et les garderies de cet État républicain.

La rougeole, l'hépatite B, la coqueluche, la polio et la varicelle sont parmi les vaccins exigés dans ces institutions, selon le département de la Santé de la Floride.
«Cette décision risque de faire chuter la couverture vaccinale en Floride, qui est déjà inférieure à la moyenne nationale américaine», explique le docteur en santé publique et chercheur postdoctoral à l’École de médecine de l’Université Stanford, Kevin L'Espérance.
«Elle atteindra possiblement les 70–80%, alors qu’il faut environ 95% pour maintenir l’immunité collective. Ça ouvrirait la porte à des endémies de rougeole, de coqueluche ou d’autres maladies», poursuit-il.
Mais pour le Dr Ladapo, l’obligation vaccinale est ni plus ni moins que de l’«esclavage».
«Les gens ont le droit de prendre leurs propres décisions. Qui suis-je pour vous dire ce que votre enfant doit introduire dans son corps? Je n'ai pas ce droit. Votre corps est un don de Dieu», a-t-il déclaré en conférence de presse, le 3 septembre dernier.
Quelles conséquences pour le Québec?
Cette décision annoncée à plus de 2000 kilomètres de la frontière canadienne inquiète des experts en santé publique du Québec.
«Les virus ne s’arrêtent pas aux frontières», lance l’anthropologue experte en vaccination de l’Université Laval, Ève Dubé.
En 2024, 3,3 millions de Canadiens ont visité la Floride. Ces voyageurs représentent environ 2% des touristes du Sunshine State où l’on retrouve par ailleurs la plus grande diaspora québécoise au monde. Quelque 250 000 Québécois y sont établis.
«La menace viendrait surtout de la réintroduction de maladies au Canada. Les voyageurs non vaccinés peuvent importer des infections et exposer des populations vulnérables comme les nourrissons, les personnes immunodéprimées ou les aînés», explique Kevin L'Espérance.
«Les effets ne seront pas immédiats, mais c’est sûr que certains virus vont reprendre le dessus dans les années à venir», ajoute l’épidémiologiste et professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, Benoît Mâsse.
Les conséquences sur la santé pourraient apparaître un à trois ans après l’entrée en vigueur de la nouvelle mesure, selon le médecin à l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) Nicholas Brousseau.
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«Quand on voyage dans certains pays, on conseille de prendre le vaccin contre la malaria ou la fièvre jaune. Ça sera la même chose en Floride et peut-être ailleurs aux États-Unis. On devra faire attention aux virus en circulation», souligne M. Mâsse.
Les futurs visiteurs du Sunshine State devront ainsi s’assurer d’avoir un carnet de vaccination à jour.
D’autres États pourraient d’ailleurs suivre l’exemple de la Floride, précise M. Mâsse.
La rougeole
Pour l’heure, il demeure difficile de prédire si la fin de l’obligation vaccinale concernera toutes les maladies infectieuses.
La menace la plus grande à court terme est l'accélération de la propagation de la rougeole dont les cas sont déjà en hausse partout dans le monde, s’accordent néanmoins les experts.
«C’est la maladie la plus contagieuse au monde. Une personne sur 1000 qui contracte la rougeole sera hospitalisée, et une sur 3000 en décèdera», fait valoir le Dr Nicholas Brousseau de l’INSPQ.
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Le vaccin contre la rougeole, toujours obligatoire pour les enfants qui fréquentent les écoles et les garderies en Floride, figure également dans le calendrier du programme québécois d’immunisation.
La vaccination, peu importe la maladie infectieuse, n’est cependant pas obligatoire au Québec. La province opte plutôt pour une approche volontaire axée sur la sensibilisation, qui semble fonctionner.
Selon l’INSPQ, près de 99% des parents québécois font vacciner leurs enfants.
Le danger de la méfiance envers les vaccins
«Que la vaccination soit obligatoire ou non, ça ne change pas grand-chose. C’est plus la perte de confiance envers la mesure qui est préoccupante», soutient le Dr Brousseau.
«C’est ce qui risque de faire doublement mal», estime quant à lui l’épidémiologiste Benoît Mâsse.
«Aux États-Unis, on incite les gens à ne plus se faire vacciner à coup de mauvaises publicités et d’études bidon. On ne met pas en doute leurs bénéfices, mais plutôt leur sécurité. On dit qu’ils causent des maladies, comme l’autisme», détaille-t-il.
L’anthropologue Ève Dubé croit également que le recul sur l’obligation vaccinale en Floride pourrait accélérer la méfiance de la population envers les vaccins. Et pas seulement chez nos voisins du sud.
«Il est possible que ça alimente les mouvements d’opposition à la vaccination au Québec», observe-t-elle.
«Si cette décision est entérinée par les autorités américaines en Floride, ça aura surement des répercussions sur la couverture vaccinale dans certains groupes de la population canadienne. On voit déjà des baisses dans des endroits comme en Alberta», admet Kevin L'Espérance.