Explosion des demandes en fixation de loyer: le TAL fait poireauter des locataires plus d’un an


Andrea Lubeck
Si vous devez passer devant le Tribunal administratif du logement (TAL), armez-vous de patience: les délais moyens pour obtenir une première audience sont de plus en plus longs. Une situation qui peut ajouter un lot de stress sur les épaules des locataires et des propriétaires.
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En avril dernier, Jessica* a refusé la hausse de 100$ par mois que son propriétaire, une compagnie de gestion immobilière, voulait lui imposer. Son loyer devait passer de 1200$ à 1300$ par mois, ce qui représente une augmentation de 8% — le TAL suggérait une hausse de 5,9% pour 2025.
«C’est la première fois qu’ils [les représentants de la compagnie de gestion immobilière] sont vraiment fermés. Ils ne voulaient même pas descendre de 5$», regrette la locataire.
Résultat: la compagnie a déposé une demande en fixation de loyer au TAL.
Plus de six mois plus tard, Jessica ne sait toujours pas quand se tiendra sa première audience.
Elle pourrait devoir patienter encore longtemps: le délai moyen pour obtenir une première audience devant le TAL pour une demande en fixation et révision de loyer est passé de 6,9 mois en 2023-2024 à 9,2 mois en 2024-2025, selon les plus récentes données du Tribunal.
Pour 2025-2026, le portrait ne s’annonce guère mieux. Entre avril et août, il fallait attendre un peu plus d’un an.
La cible que s’est fixée le TAL est de 7,5 mois.
Un stress psychologique et financier
«Le fait qu’un locataire doive attendre 9, 10, 11, 12 ou 13 mois pour avoir accès à une audience, c’est un problème majeur qui va créer un niveau de stress extrêmement élevé chez les locataires», déplore Émile Boucher, porte-parole du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ).
Les mois d’attente peuvent créer du stress psychologique, à cause des tensions qui peuvent survenir avec le propriétaire, souligne-t-il. Il y a aussi le stress financier que subissent des locataires, qui doivent mettre de l’argent de côté en attendant un jugement, ajoute-t-il.
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C’est ce que fait Jessica.
«On se prépare un peu plus. On a commencé à mettre le montant de l’augmentation de côté pour éviter qu’on se fasse avoir [une fois le jugement rendu]», raconte la locataire, tout en précisant que l’attente ne la stresse pas outre mesure.
Même qu’elle fait confiance au TAL pour lui donner un avis extérieur et déterminer quelle hausse de loyer serait considérée comme juste.
Par ailleurs, Émile Boucher rappelle qu’un locataire qui doit attendre un an (ou plus) pour une audience pourrait recevoir une deuxième hausse de loyer et se retrouver dans un deuxième litige avec son propriétaire.
Les propriétaires écopent aussi
Les locataires ne sont pas les seuls à écoper à cause de ces délais, fait valoir Éric Sansoucy, porte-parole de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ).
«Ça fait deux ans qu’on voit des taux du TAL plus élevés que d’habitude. Ç’a mené à des augmentations de loyer plus importantes que d’habitude. Le locataire est pris par surprise et sous pression financière avec du mal à comprendre. Ça vient altérer la belle relation que la plupart des propriétaires et des locataires ont ensemble, souvent pour des raisons d’incompréhension», affirme-t-il.
Il souligne également que c’est au propriétaire que revient la responsabilité de lancer les procédures devant le TAL.
«C’est à lui de monter le dossier, d’imprimer toutes les pièces justificatives, de se rendre au tribunal. Pour plusieurs propriétaires, c’était la première fois, dans les deux dernières années, qu’ils avaient à faire ça. Ils ont découvert que ça prend une dizaine d’heures facilement», illustre-t-il.
Comment expliquer l’attente?
Questionné par 24 heures, le TAL explique les délais par la progression «fulgurante» du nombre de demandes en fixation de loyer au cours des trois dernières années.
Pour Émile Boucher, ces délais sont le reflet du «dysfonctionnement» du TAL que le RCLALQ dénonce depuis plusieurs années.
«L’accès à la justice est brimé par la situation au TAL, que ce soit en raison des délais, de la priorisation des dossiers en non-paiement, des services qui sont rendus à la population. Les chiffres renforcent le constat qu’on a fait dans les dernières années qu’il y a un dysfonctionnement en termes de protection des droits des locataires, d’accompagnement et d’informations», déplore-t-il.
Éric Sansoucy estime quant à lui que la nouvelle méthode de calcul des augmentations de loyer que Québec a introduit en avril dernier va permettre de «réduire l’incompréhension» et les délais au TAL.
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Le nouveau calcul est plutôt basé sur la moyenne de l’Indice des prix à la consommation des trois années précédentes, les dépenses d’immobilisation, la variation des taxes municipales et scolaires, et celle des primes d’assurance.
Si, avec la nouvelle grille, la hausse moyenne suggérée par le TAL aurait été plus basse pour 2025 (4,5% contre 5,9%), pour les années précédentes, elle aurait été plus élevée: 38,2% depuis 2010 contre 23,8% avec l’ancien calcul.
*Jessica a requis l’anonymat de peur d’envenimer ses relations avec la compagnie qui possède son immeuble.