Essai: des ministères au service du peuple

Jacques Lanctôt
À travers une correspondance assidue, deux auteurs, un philosophe et un poète, l’un professeur et universitaire, l’autre « enfant sauvage et autodidacte », amis de longue date, se relancent pour trouver des réponses à leurs questions existentielles, qui sont aussi les nôtres. Tous deux affirment vouloir ici faire œuvre utile, pour éviter que ces réflexions échangées ne soient que bavardage. D’où le titre un peu énigmatique : Ministères inédits. Car ils se proposent d’inventer de nouveaux ministères pour mieux servir le bien commun et améliorer ainsi le sort de la population.
Le premier ministère que propose d’emblée le poète Vézina est tout simplement un ministère de « la case vide », comme dans le jeu de la case vide, qui permet justement les déplacements afin de reconstituer correctement l’image déformée. C’est dans cette case vide qu’on gérerait tous les imprévus. Un ministère du bas de l’échelle, près des gens qu’il entend servir.
Baillargeon, le philosophe, lui répond en précisant qu’il s’est aussi -intéressé à l’art et à la poésie, surtout celle des surréalistes, tout philosophe qu’il est. Puis il se demande si ce nouveau ministère proposé par son ami réussirait à rapprocher la population de la gouvernance. Il faut surtout éviter de compliquer les choses, avertit-il. D’où sa proposition de créer un ministère de l’éthique numérique, puisque nous sommes à l’ère de l’internet et de l’intelligence artificielle, plongés que nous sommes dans un monde virtuel, avec ses promesses et ses périls. Ses propos sur les dangers de l’intelligence artificielle et la propagation de fausses nouvelles sont des plus intéressants. Il faudra sans cesse veiller à la protection de la vie privée et de la culture. Ce à quoi répond Vézina en proposant la création « de grandes webothèques, plateformes d’agrégation de l’information selon des normes éthiques ainsi qu’éducationnelles » qui répondraient à d’autres algorithmes que ceux du commerce.
Dans la foulée, il propose la création d’un ministère de la souveraineté. Pas la souveraineté associée à un parti politique, mais la souveraineté associée à un vrai gouvernement qui se tient debout devant les multinationales pratiquant l’évasion fiscale. Une souveraineté associée à un vrai pays qui comprend « que cette souveraineté nationale et législative n’est possible qu’en toute solidarité avec d’autres États souverains, aux prises avec le même ver solitaire de l’évitement fiscal ». Ce ministère « agirait comme un catalyseur, obligeant commerce et industrie, agriculture, éducation, recherche et développement, environnement, fiscalité, à travailler de concert ».
L’histoire d’un jean délavé
Il dénonce en passant les dogmes et délires actuels du capitalisme : « sagesse du marché, croissance infinie, compétition comme principal moteur de développement, bonheur par la consommation, déréglementation », qui n’ont fait qu’aggraver la situation, tant sur le plan humain que sur le plan écologique. Il faut lire cette histoire ahurissante qu’il fait d’un jean délavé – ce « routard invétéré » –, à partir du champ de coton en Inde ou en Ouzbékistan jusqu’en Égypte ou au Bangladesh, en passant par la Chine, la Tunisie et le Congo pour aboutir dans une boutique à Montréal, à Moscou, à Paris ou à Buenos Aires. « Ce pantalon aura peut-être parcouru plus d’une fois le tour de la Terre », sans parler « des milliers de litres d’eau nécessaires à la fabrication de ce vêtement décontracté à la gentille aura rebelle », conclut-il.
Un peu plus loin, le poète remet les pendules à l’heure en ce qui concerne le nationalisme et la souveraineté, « qui ont mauvaise presse par les temps qui courent. [...] Ce sentiment d’attachement à un territoire, à une mémoire, à un espoir, à une culture s’incarnant souvent dans une langue commune, c’est ce qu’on appelle aussi l’amour du pays. Et ce n’est pas mal. Non. Rien de plus humain que cette émotion. [...] Pour moi, le nationalisme, en particulier celui des petites nations, n’est autre qu’un créneau de défense de la diversité, du droit d’être autre, et de vivre différemment, même si on est démographiquement moins nombreux que le gigantesque voisin. »
Puis il vilipende ce qu’il appelle « le moralisme écologique », très à la mode actuellement, tout en invitant à un profond changement dans nos habitudes de consommation pour éviter « l’apocalypse écologique ».
Parle-parle, jase-jase, nos deux épistoliers en arriveront à proposer la création de huit ministères. Qui sait si certains retiendront l’attention d’un futur gouvernement du bonheur ?
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