En 1967, les enseignants du Québec ont aussi fait la grève
Le mouvement mènera à leur première convention collective, deux ans plus tard


Mathieu-Robert Sauvé
Le 13 janvier 1967, les 9000 enseignants de la Commission des écoles catholiques de Montréal (CECM) font la grève, entraînant à leur suite leurs collègues de tout le Québec, ce qui mène le gouvernement de Daniel Johnson à imposer une loi forçant leur retour au travail en février 1967.
À Montréal seulement, ce sont 217 000 élèves qui sont privés d’école pendant plus d’un mois. Les enseignants possèdent seulement depuis 1964 un droit de grève et ils ne s’en privent pas quand le gouvernement du Québec veut leur imposer des conditions de travail et des salaires jugés insuffisants.
«Cette grève, que plusieurs ont oubliée, a marqué le début d’une nouvelle ère dans les relations patronales-syndicales dans les écoles du Québec», commente Jean-François Piché, conseiller à la recherche-action en relations du travail à la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) et responsable des formations sur l’histoire de la centrale syndicale.
Si le plus gros du conflit éclate à la rentrée d’hiver, des moyens de pression ont été menés sporadiquement depuis plusieurs mois. Selon la CSQ, ce sont près de 15 000 enseignants qui débraient entre le début du mouvement en 1966 et la loi spéciale.
À terme, 40 jours de grève mèneront à la signature de la première convention collective de l’histoire des enseignants, le 4 novembre 1969, deux ans après l’affrontement avec le gouvernement.

Écarts régionaux
On est alors en pleine Révolution tranquille. Le ministre de l’Éducation n’existe que depuis trois ans, sous la recommandation de la commission Parent, et le premier titulaire du ministère, Jean-Jacques Bertrand, a pour défi, notamment, d’uniformiser les programmes et les conditions de travail.
Avant la création de ce ministère, les jeunes étaient nombreux à quitter l’école pour aller travailler dans les champs ou les bois. La gratuité scolaire avait fait débat et on s’était mis d’accord pour que toutes les régions offrent l’accès à l’éducation sans frais jusqu’en 11e année.
- Écoutez l'entrevue avec Bernard Drainville, ministre de l’éducation du Québec, via QUB :
Quand le nouveau système est mis en place, le gouvernement veut imposer un cadre et des conditions de travail uniformes, ce qui ne convient pas à tous. «Les syndiqués s’opposent à cette façon de faire. Il faut dire qu’il y a une grande diversité de modèles selon les régions du Québec», mentionne M. Piché.
On compte alors 1300 commissions scolaires et toutes ne parlent pas d’une même voix.

«Bill 25»
Le débrayage historique de 1967 veut d’abord faire plier le nouvel employeur des enseignants sur les salaires et les conditions de travail. Un enseignant est payé de 3800$ à 10 400$, selon les années de service et divers critères. Les syndicats demandent des augmentations de 10% à 18%. Les offres de la CECM varient de 3% à 5%.
L’adoption, le 20 février 1967, du «Bill 25» – comme on nomme cette loi forçant le retour au travail – est très mal accueillie par les grévistes. Dans Le Devoir, l’éditorialiste Claude Ryan évite soigneusement de prendre parti pour l’un ou pour l’autre, mais souhaite un règlement rapide du conflit afin de «sortir très bientôt le Québec de la grande noirceur intellectuelle et sociale» où le système scolaire le maintient.
Le même jour, le ministère affiche ses couleurs dans une publicité. «Le gouvernement du Québec par la loi assurant le droit des enfants à l’éducation et instituant un nouveau régime de convention collective dans le secteur scolaire garantit aux enfants [...] de leur éviter de perdre une année scolaire».
À la suite de débats houleux, les enseignants décident de ne pas s’opposer à la loi et rentrent au travail quelques jours plus tard.
Mais le conflit n’est pas réglé. À preuve, quelques mois plus tard, 16 350 enseignants démissionnent en bloc pour faire connaître leur mécontentement.
Cela accentue la pression sur le gouvernement. Après 28 mois de négociation, l’entente de 1969 est enfin signée.

Sexisme
Parmi les gains de la convention collective, les syndiqués obtiennent des hausses salariales de 15% sur trois ans et une meilleure sécurité d’emploi. Les enseignants des régions éloignées obtiennent également de meilleures conditions de travail.
Mais ce qu’on retient surtout de ce contrat de travail, c’est la parité salariale acquise, noir sur blanc, entre les hommes et les femmes. Bien qu’elles soient nettement majoritaires dans la profession, les femmes sont sous-payées par rapport à leurs confrères.
«À cette époque, c’était un fait reconnu qu’une femme gagne moins qu’un homme. Dans certains cas, la différence passait du simple au double et même au triple», souligne M. Piché.
Sans parler du fait qu’une femme qui tombait enceinte était souvent licenciée sans aucune assurance de retrouver son poste après l’accouchement.
Joint par Le Journal, Jacques Rouillard, qui a consacré une bonne partie de sa carrière à l’histoire du mouvement syndical, déplore que les historiens du Québec n’aient pas pris le temps de bien documenter cette grève.
Sans les quelques traces dans les journaux de l’époque, il en resterait bien peu de choses.