Visages de notre histoire: Élisabeth Bégon la vie mondaine

Centre des Mémoires Montréalaises
Un mariage qui fait scandale
Ce portrait est souvent attribué à Élisabeth Bégon, née Rocbert de la Morandière (1696-1755). Pourtant, c’est une erreur. Il s’agirait de sa tante par alliance, Catherine Guymont, épouse de Michel Bégon de Montfermeil. Cette bévue n’aurait rien pour plaire à la prestigieuse famille Bégon qui estime peu l’épistolière aux origines modestes. Née à Montréal en 1696, celle-ci est la fille aînée d’un roturier, le garde-magasin du roi, Étienne Rocbert de la Morandière. Alors qu’il loge chez son père, elle tombe amoureuse de Claude-Michel Bégon, le noble frère de l’intendant. En 1718, elle se marie à lui « à la gaumine », c’est-à-dire que les vœux de mariage sont récités en catimini lors d’une messe. À contrecœur, cette union non officielle est acceptée par les Bégon et l’évêque. En 1737, la fille aînée du couple épouse Honoré Michel de Villebois de La Rouvillière. Lors de la décennie suivante, Élisabeth Bégon écrit assidûment à ce gendre des lettres qui passeront à l’histoire.
RÉALISATIONS
Un témoignage unique

Devenue veuve en 1748, Élisabeth Bégon quitte Trois-Rivières où son mari était gouverneur. Elle s’installe à Montréal dans sa demeure de la rue Saint-Paul, à l’endroit même où l’on trouve le marché Bonsecours aujourd’hui. Élisabeth Bégon tient salon et y reçoit régulièrement son neveu par alliance, le général Roland-Michel Barrin, marquis de La Galissonière, alors gouverneur intérimaire de la colonie. Plusieurs visiteurs cherchant à s’attirer les bonnes grâces du général fréquentent son salon. À une époque où tout dépend des bonnes relations, la veuve manœuvre avec tact et diplomatie. Les lettres qu’elle écrit à son gendre regorgent de nouvelles croustillantes du quotidien et de la vie mondaine montréalaise. La fin de sa vie en France est toutefois une grande désillusion. Exclue de la bonne société qui était la sienne dans la colonie, son témoignage donne un avant-goût des difficultés que vivra la petite noblesse canadienne après la Conquête.
héritage
Un héritage à redécouvrir

En voyage en France en 1932, le correspondant pour les Archives de la Province de Québec, Claude Bonnault, découvre les précieuses lettres dans le grenier d’une lointaine descendante des Bégon, la comtesse de Rancougne. Constatant rapidement l’importance historique du manuscrit, il recommande son achat par le gouvernement du Québec. Aujourd’hui précieusement conservée aux Archives nationales du Québec, l’œuvre de l’épistolière canadienne n’a pas toujours fait l’objet d’une lecture adéquate. Peu habitués avec le registre affecté de l’écriture épistolaire féminine du XVIIIe siècle, certains littéraires et historiens insinuent une relation amoureuse entre Élisabeth Bégon et son gendre, Honoré Michel de Villebois de La Rouvillière, qu’elle surnomme affectueusement « mon cher fils ». Source incontournable pour comprendre la haute société montréalaise et les événements qui ont marqué les dernières années de la Nouvelle-France, l’œuvre d’Élisabeth Bégon, parfois mal comprise, reste pour plusieurs à redécouvrir.
*Recherche et rédaction par l’historienne Maude Bouchard-Dupont