Des artistes remettent en question leur carrière à cause de la crise du logement

Axel Tardieu
La crise du logement fait particulièrement mal aux artistes qui doivent louer des espaces de création. Certains pensent même tirer un trait sur leur carrière dans l’art.
Pascale L’Italien partage un atelier de 1300 pieds carrés avec huit autres artistes dans un bâtiment appelé Atelier 3333.
Quand elle a déplacé son espace de création dans cet immeuble sur sept étages au cœur du quartier Saint-Michel en décembre 2021, le loyer annuel était de 12 dollars le pied carré, une aubaine à l’époque.
L’eldorado pour artistes
«On s'était fait vendre l'idée que c’était une espèce d'eldorado pour les artistes, que nos ateliers seraient protégés, que ce serait pérenne», se rappelle la Québécoise de 31 ans.

Mais en décembre dernier, coup dur: les locataires des 75 ateliers apprennent qu’à la fin de leur bail, leur loyer augmentera. Pour l’atelier partagé de Pascale L’Italien, la hausse mensuelle sera de 685$, soit une augmentation de 37% en à peine trois ans.
«Je suis très résignée avoue-t-elle. Je considère un changement d'activité. C'est sûr que j'aime beaucoup faire de l'art, mais pas au point de me ruiner financièrement, puis pas au point de détruire ma santé mentale non plus.»
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Des artistes quittent
Depuis cette augmentation, des artistes annoncent leur départ chaque semaine, selon Pascale L’Italien.
«Ça me remplit de tristesse, dit-elle. Ce ne sera bientôt plus possible d'être un artiste à Montréal, à moins de vivre de manière très, très précaire.»

Florence Jacob, âgée de 31 ans, va rester jusqu’à la fin de son bail, le 1er octobre, mais remet en question sa vocation artistique.
«Cette précarité obligée me fait peur, avoue-t-elle. Je n’ai plus de subvention. Je ne vais plus à l’atelier car je dois travailler 30h par semaine pour tout payer. J’ai donc arrêté de créer.»
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600$ de hausse
À cause d’une hausse de 600$ par mois, Pénélope et Chloé, deux artistes travaillant dans le textile, sont parties d’Atelier 3333 après deux ans sur place.
«C’est la première fois qu’on est découragé et qu’on doit trouver un travail à côté pour payer notre logement et notre atelier», explique Pénélope.
La pénurie d’espace de création abordable touche toute la province. Plus de 64% des artistes ont vu une hausse du prix de leur atelier ces dernières années, selon le Regroupement des artistes en arts visuels du Québec.
ART3, un OBNL propriétaire de l’immeuble d’Atelier 3333, a acheté ce bâtiment pour le sortir du marché de la spéculation immobilière. Ils s’engageaient, dès le début, à offrir des loyers qui n’augmenteraient qu’au niveau l’inflation et à n’évincer personne.
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La faute à l'économie
Pourquoi une telle augmentation de loyers pour les 150 artistes de ce projet, qui a pourtant reçu cinq millions de dollars de subventions de Québec et de la Ville de Montréal?
Le contexte économique n’aurait pas laissé d'autres choix aux propriétaires. En deux ans, le taux d’intérêt de leur emprunt aurait doublé. Les rénovations ont fait tripler la valeur du bâtiment. Les taxes foncières ont donc, elles aussi, triplé.

«C'est un moment qui est difficile pour tout le monde», rappelle Stéphane Ricci, responsable du développement à la Société de développement Angus et directeur du projet Atelier 3333.
«On essaie de faire du mieux qu'on peut pour maintenir les loyers abordables. Ça demeure un projet porteur d'avenir parce qu’on brise le cycle d'évictions des artistes et on sort ces ateliers du marché spéculatif.»
La direction d’Atelier 3333 avoue qu’il n’y a pas de subventions disponibles qui permettraient de baisser les loyers des ateliers, mais le propriétaire, ART3, et ses partenaires promettent que les hausses de loyers ne seront pas aussi drastiques dans les prochaines années.
Selon Stéphane Ricci, une solution serait de faire évoluer la loi provinciale sur la fiscalité municipale pour que les artistes louant un atelier, dans un immeuble propriété d’un OBNL, n’aient plus à payer de taxes foncières sans avoir à créer un OBNL.