Droit à l’avortement: des Américaines écœurées par ce retour en arrière
Depuis vendredi, des milliers d’Américaines se réunissent pour montrer leur colère

Clara Loiseau
WASHINGTON | Des milliers d’Américaines effrayées et en colère sont venues des quatre coins des États-Unis pour manifester devant la Cour suprême du pays, qui vient de révoquer leur droit à l’avortement.
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« J’ai peur pour mon avenir, pour mes amies. J’ai peur pour mon pays et son futur », a laissé tomber, avec les larmes aux yeux et la voix serrée, Penelope Hall, une jeune Américaine de 11 ans, hier, alors qu’elle manifestait devant le plus haut tribunal des États-Unis à Washington, après avoir fait quatre heures de route avec son père.
Malgré la chaleur accablante qui avoisinait les 33 degrés hier, elles sont des milliers, comme elle, à avoir montré leur colère en scandant en chœur « Mon corps, mon choix » devant la plus haute institution de leur pays, qui a révoqué le droit à l’avortement vendredi.
Jusqu’à ce jour, l’arrêt emblématique Roe v. Wade garantissait aux Américaines le droit d’avorter depuis près de 50 ans. Mais la majorité des juges de la plus haute instance américaine estime désormais ce droit comme infondé, et chaque État peut dorénavant le rendre illégal.

Sauver sa vie
Alors que plusieurs États ont déjà rendu cet acte illégal dès vendredi, la moitié du pays s’apprêterait à suivre le mouvement.
« Il y a deux ans, l’avortement que j’ai subi m’a sauvé la vie. Je suis tombée enceinte alors que j’avais un stérilet et que je me protégeais. Que va-t-il arriver aux jeunes filles qui seront dans le même cas que moi ? Vont-elles devoir mourir ? » a lancé Natasa Rohacs, 21 ans, qui est descendue du New Jersey pour protester.
« J’ai fait une fausse couche il y a quelques années et sans avortement, je serais morte », ajoute Jessica Scarnecchia, 32 ans, qui a conduit depuis l’Ohio. « Aujourd’hui, dans mon État, on me laisserait mourir si j’avortais, même si mon embryon n’est pas viable », explique celle qui craint pour l’avenir de sa fille de sept ans.
Le Dr Phillip Rice Jr, médecin au North Shore Medical Center de Boston, au Massachusetts, s’est quant à lui inquiété du sort des femmes qu’il soigne.
« Elles seront des milliers à subir des avortements illégaux et dangereux. Elles risquent d’être des milliers à perdre la vie à cause de cette décision », s’est enragé l’homme après avoir fait face à une vingtaine de manifestants antiavortement qui se sont glissés parmi la foule (voir ci-contre).
Terrifiées
Pour la plupart, cette décision fait également planer la crainte que d’autres droits acquis, comme le mariage gai, la contraception et même les relations interraciales, ne soient les prochains à subir le sort des élus conservateurs.
« On s’est battu chaque jour pour avoir le droit d’être libre, pour que les futures générations soient libres, et ce gouvernement est en train de tout détruire », a déploré Nancy White, travailleuse sociale de 66 ans.
Les visages de la manif
Même les démocrates

« Les démocrates ont eu deux mois pour combattre cette décision qui est clairement guidée par la droite et les extrémistes. Les démocrates nous ont laissées tomber », explique avec dégoût Naomi Wallace, 29 ans.
Face-à-face tendu

Une manifestante pro-choix, Juliette Dueffert, 18 ans, a fait face à un manifestant antiavortement hier, devant la Cour suprême. « La seule chose que l’on peut faire aujourd’hui, c’est se battre, montrer qu’on ne se laisse pas marcher dessus par des gens qui sont contre le droit des femmes et qui ne veulent pas laisser aux femmes leur liberté de choisir. Je n’aurais pas peur de continuer de tenir tête aux autres », a expliqué au Journal la jeune femme.
11 ans et debout

Penelope Hall, 11 ans, n’a pas hésité à venir manifester pour montrer à quel point elle a peur de l’avenir qui l’attend. « On est en train de nous voler notre droit à l’avortement. Le rôle de ces juges est de protéger nos droits, de nous protéger, nous, et ils viennent de faire absolument tout l’inverse », a déclaré cette adolescente de la Virginie-Occidentale.
Petits et grands

Accompagnée de ses filles Aria, 6 ans, et River, 3 ans, Jennifer Wang est venue protester. « En Chine, ma mère était obligée de se faire avorter à cause de la loi de l’enfant unique et aujourd’hui, c’est moi qui n’ai pas le droit de me faire avorter. J’ai l’impression que l’on ne nous donne jamais le choix et je veux que mes filles sachent que ce n’est pas normal », a confié la mère de famille.
93 ans et en colère

Carol Foulke, ex-travailleuse sociale de 93 ans, a demandé à sa fille Freddie, 67 ans, de l’accompagner afin d’aller manifester. Pour elle, il était impensable de manquer cet événement, alors qu’elle célébrait l’obtention du droit à l’avortement il y a 50 ans. « Elle travaillait dans un planning familial lorsque Roe v. Wade est passé en 1973. Alors aujourd’hui, elle est sous le choc et ne peut pas croire que son pays laisse tomber les femmes les plus vulnérables », a indiqué Freddie Foulke.
Les antichoix sont là

Melanie Salazar, une femme antiavortement de 23 ans, est venue de San Antonio, au Texas, pour célébrer hier la décision de révoquer le droit à l’avortement prise par la Cour suprême. « Aujourd’hui est un grand jour parce que l’on vient de faire un progrès important dans la protection de toutes les vies. Ce n’est pas parce qu’une femme tombe enceinte et que ça ne lui convient pas qu’elle peut mettre fin à la vie d’un enfant », estime-t-elle. Selon elle, de nombreux médecins mentent aux femmes sur ce qu’est l’avortement et elles devraient plutôt utiliser les ressources qui sont mises à leur disposition pour élever leur enfant ou le mettre en adoption.
Le traumatisme d’une vie

Natasa Rohacs, 21 ans, a pris la parole, hier matin, devant la foule. Elle a raconté sa traumatisante expérience d’avoir subi un avortement, alors qu’elle avait pris toutes les précautions pour se protéger et ne pas tomber enceinte. « J’ai eu la chance d’avoir accès à une clinique d’avortement, à un gynécologue et au soutien de mon petit ami. Je ne sais pas ce qui se serait passé si je n’avais pas eu accès à ces ressources et je me demande comment vont faire toutes ces femmes », a-t-elle confié au Journal.
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