Droit à l’avortement aux États-Unis: à pied d’œuvre pour sauver des femmes
Une clinique tente de trouver des rendez-vous pour ses 800 patientes qui devaient se faire avorter


Clara Loiseau
CLEVELAND | Les employés d’une clinique en Ohio mettent toutes leurs forces pour venir en aide à plus de 800 femmes désespérées d’avoir vu leur rendez-vous pour un avortement annulé en raison du changement de loi dans cet État républicain.
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«Vendredi soir, jusqu’à 23 h, nous avons été obligées d’appeler des dizaines de patientes pour leur dire qu’elles ne pourront pas avoir leur rendez-vous le lendemain. On sentait leur panique et leur détresse. C’était horrifiant», laisse tomber, les larmes aux yeux et la gorge serrée, la Dre Sri Thakkilapati, directrice de la clinique d’avortement Preterm, située à Cleveland en Ohio.

Le vendredi 24 juin, la décision tant redoutée de renverser l’historique arrêt Roe c. Wade, qui légalisait l’avortement au pays, a été prise par la Cour suprême des États-Unis. Pour devenir contraignante, cette décision devait tout de même faire l'objet d'une modification législative des États.
Et l'Ohio n'a pas lésiné. Six heures plus tard, les femmes de l’Ohio ne pouvaient plus se faire avorter au-delà de six semaines de grossesse ou dès qu’un mouvement cardiaque peut être décelé par ultrason.
Déjà neuf États ont emboité le pas. Certains permettent des exceptions, mais ce n'est pas le cas en Ohio. Viol ou inceste; les femmes ne peuvent pas se faire avorter.
Et même si tous ceux et celles qui œuvrent à la clinique Preterm savaient que le couperet allait tomber, la vitesse à laquelle tout a changé a eu l’effet d’un séisme, racontent plusieurs employés qui tentent de rester forts.
Depuis vendredi, près de 90% des rendez-vous ont dû être annulés, confie la directrice, qui est incapable d’arrêter de travailler tant il y a à faire.
«Aujourd’hui seulement, nous avons dû annoncer à plus de 80 femmes qu’elles ne pourront pas se faire avorter et qu’elles devront aller dans un autre État pour avoir cette opération ou seront forcées d’être enceintes», ajoute-t-elle, alors qu’une dizaine de femmes attendent de voir un médecin dans la petite salle d’attente.

Créer un réseau
Depuis quatre jours, chacun des membres de l’équipe de Preterm fait ce qu’il peut pour trouver des cliniques dans les États où l’avortement demeure légal, afin d’y envoyer leurs patientes.
«On en a une qui vient d’accepter!» se réjouit une employée en rentrant dans le bureau de la Dre Thakkilapati avant de l’enlacer pour célébrer cette «victoire». Chaque bonne nouvelle suffit pour redonner le sourire alors que les obstacles s’amoncèlent pour beaucoup.
Pour le moment, c’est en Pennsylvanie que de nombreuses femmes pourront aller.
«Mais ça, ce sont les femmes qui ont les moyens, le temps, l’argent ou la possibilité de se libérer une journée entière pour faire cela», explique la directrice de l’organisation qui a été fondée en 1974, soit quelques mois après que Roe c. Wade a été adopté il y a près de 50 ans.
Vulnérables
Près de la moitié des patientes de cette clinique ont recours à des aides financières pour se faire avorter et environ un tiers vivent sous le seuil de pauvreté. Ce n’est donc pas toujours facile de se rendre dans un autre État pour avoir un avortement.
Le nombre de places risque aussi de devenir limité avec l'affluence soudaine de femmes vers des États qui permettent encore l'avortement.
Personne ne compte ses heures pour permettre au maximum de femmes de se faire examiner afin d’être fixées sur ce qui les attend.
«Nous savons que cette décision va affecter les plus faibles, alors même si nous sommes dévastées, nous n’avons pas le choix que de continuer de nous battre pour elles», laisse tomber une médecin avant de s’engouffrer dans une salle d’examen avec une jeune femme.
Et même si des dizaines de manifestants anti-choix continuent de se planter devant la clinique toutes les fins de semaine pour jubiler sur la décision du plus haut tribunal du pays et d’intimider les femmes qui viennent se faire avorter, l’équipe sait qu’elle ne se découragera, au contraire.
Forte demande de contraceptifs
CLEVELAND | La révocation du droit à l’avortement partout au pays presse de nombreuses femmes à se tourner en urgence vers des moyens de contraception dans la crainte que la Cour suprême rende cela aussi illégal.
«Depuis vendredi, énormément de femmes se renseignent et veulent savoir quand elles peuvent avoir le plus rapidement possible un stérilet, la pilule ou même des ligatures des trompes, car elles ont peur que ce soit la prochaine chose qui disparaisse ici, en Ohio», soutient la Dre Anita Somani, gynécologue et candidate au poste de représentante pour les démocrates au gouvernement de l’État.
Choisir vite
Depuis le 24 juin, l’Ohio a immédiatement mis des règles très strictes empêchant l’accès à l’avortement pour les femmes enceintes depuis six semaines ou dont le fœtus présente un mouvement cardiaque.
«La plupart des femmes ne savent même pas qu’elles sont enceintes à ce moment-là ! Alors pour être sûr de ne pas avoir à vivre ce stress-là, certaines vont maintenant vers des moyens irréversibles», explique la Dre Somani.
«C’est apeurant de voir que maintenant, on force les femmes et les jeunes filles à choisir très rapidement leur contraception plutôt que de prendre leur temps pour prendre une décision», déplore-t-elle.
Un renversement qui fragilise les plus vulnérables
CLEVELAND | Ce seront de nouveau les femmes marginalisées qui seront les premières victimes de la révocation de légalisation de l’avortement par la Cour suprême des États-Unis, déplorent de nombreux organismes.
«C’est une décision qui va être particulièrement dommageable pour les femmes marginalisées en raison de leur genre, de leur couleur de peau ou de leur revenu. Le renversement de Roe c. Wade va encore plus exacerber cette marginalisation», soutient Paige Robar, directrice des communications du YMCA de Cleveland, en Ohio aux États-Unis, dont l’organisme vise à venir en aide aux femmes les plus vulnérables.
Comme dans de nombreux États américains, le renversement de l’arrêt qui légalisait l’avortement au pays par la Cour suprême des États-Unis a tout changé en Ohio.
Il n’aura fallu que quelques heures, vendredi 24 juin, pour que les femmes de cet État du nord-est perdent le droit de se faire avorter après six semaines de grossesse ou dès qu’un mouvement cardiaque peut être décelé par ultrason.
Obligation et criminalisation
Même si l’avortement reste légal en Ohio, la limite de temps ne va qu’obliger des femmes à parcourir des centaines de kilomètres pour y avoir accès, regrette la Dre Anita Somani, gynécologue et candidate au poste de représentante de l'Ohio State House.
«Il y en aura beaucoup qui seront forcés de garder le bébé, d’autres vont sûrement mourir à cause de leur grossesse dangereuse et d’autres iront trouver des moyens illégaux et dangereux pour avorter. Cela va avoir des effets dévastateurs», prévient-elle.
Et ce seront les femmes plus vulnérables qui paieront le prix de cette nouvelle loi, ajoute de son côté l’avocate Barbara Luke, également candidate au poste de représentante de l'Ohio State House dans un autre comté.
«Ce sont toujours les femmes de couleur et les femmes les plus pauvres qui sont les plus grandes victimes de ces décisions», déplore-t-elle.
Cela aura aussi pour effet de criminaliser les personnes ayant subi un avortement illégal, ce qui risque une fois de plus d'entraîner une surreprésentation des minorités dans les prisons, estime Mme Luke.
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