D'«on a niaisé trop longtemps» à «il faut que ça parte!»: d’anciens Nordiques se prononcent sur ce qu’ils souhaitent pour l’avenir du Colisée

Stéphane Cadorette et Jessica Lapinski
Son sort est en suspens depuis sa fermeture, en 2015, mais le Colisée de Québec devrait finalement en savoir un peu plus long sur ce que l’avenir lui réserve, cette semaine. Qu’en pensent ceux qui y ont fait la pluie et le beau temps, à l’époque des Nordiques? Sont-ils nostalgiques de l’endroit et espèrent-ils que ce qui aura été leur seconde maison restera sur pied, avec une nouvelle vocation?
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Ou ont-ils tourné la page et ils vivent très bien avec le fait que le Colisée pourrait être démoli?
La Commission d’urbanisme et de conservation de Québec (CUCQ) a jusqu’à vendredi pour rendre son avis sur l’avenir du bâtiment érigé en 1949. Elle doit étudier deux scénarios: sa démolition partielle ou complète.
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Il ne s’agit toutefois pas d’un avis prescriptif. Celui-ci servira à alimenter la consultation sur l’avenir du secteur nord-est d’ExpoCité, ce qui signifie que la saga du Colisée pourrait encore perdurer.
En attendant le dénouement, Le Journal a sondé sept anciens membres des Nordiques afin de connaître leur point de vue sur la question.

Comme le vieux Stadium de Chicago pour Michel Goulet
Comme bien des anciens Nordiques, Michel Goulet ressentira un pincement au cœur le jour où le Colisée, où il a tant rempli le filet adverse, disparaîtra. Il a toutefois vécu une situation similaire à Chicago et pour l’ancien grand marqueur, ce n’est que le temps qui fait son œuvre.
Après 11 saisons à Québec, dont quatre de plus de 50 buts, le «Gou» a été échangé aux Blackhawks en 1990. Il a terminé sa carrière après quatre saisons complètes à Chicago, en 1994.

Au même moment, le Chicago Stadium, vénérable domicile des Blackhawks depuis 1929, fermait ses portes.
Contrairement à Québec, où on a tergiversé sur le sort du Colisée pendant des années, le Chicago Stadium était rasé dès 1995 pour faire place à un stationnement pour le nouvel amphithéâtre de l’équipe.
«Le monde à Chicago était prêt à passer à autre chose. Les anciens partisans, c’était leur place et ils ne voulaient pas de changement, mais un coup que le changement a été fait, ils ont bien vu pourquoi.
«S’ils décident de démolir le Colisée, ça fait mal un peu, mais je l’ai vécu à Chicago. Quand tu regardes l’histoire de cet aréna, c’était un peu comme à Québec. Des Stan Mikita, Bobby Hull et Denis Savard ont joué là. Ça fait toujours mal au cœur de voir quelque chose de même partir, mais d’un autre côté, c’est ce qui donne la chance à l’autre aréna de créer sa propre histoire», a mentionné Goulet.
Une histoire à préserver
Depuis la fin de sa carrière, l’ancien numéro 16 des Nordiques réside au Colorado. Loin de lui, donc, l’idée de suggérer à la Ville de Québec quoi faire avec le Colisée. Il estime toutefois que la riche histoire des lieux doit être préservée.
«Le Colisée, c’est pas mal l’histoire du hockey à Québec. Des joueurs incroyables sont passés par là. Il y a sûrement moyen de faire vivre l’histoire du Colisée dans un endroit au Centre Vidéotron. Il y a une relation entre les deux.
«Ce serait une façon de ne pas dire complètement adieu au Colisée. En allant voir un match des Remparts au Centre Vidéotron, il y aurait encore moyen de revivre l’histoire du hockey à Québec», plaide-t-il.
– Stéphane Cadorette
«Il est trop tard», regrette Michel Bergeron
Michel Bergeron n’oubliera jamais son Colisée. Celui où il arrivait vers 5 ou 6h le matin, les jours d’entraînement, pour n’en sortir que vers 17h. L’odeur des hot-dogs. «Le Colisée, ça sentait le hockey!» lance le Tigre, qui, comme s’il fallait vraiment le rappeler, y a dirigé les Nordiques de 1980 à 1987, puis en 1989-1990.
«Bergie» aurait souhaité que, dès l’inauguration du Centre Vidéotron, le Colisée ait été utilisé pour du hockey mineur. «Les installations étaient là, plaide-t-il. Mais là, je comprends qu’il est trop tard.»

Si bien que l’ex-entraîneur estime que s’il faut le démolir, l’espace laissé vacant doit servir à des gens qui en auront besoin. Pourquoi pas des appartements à prix modiques, devant la pénurie de logements, propose-t-il.
Une chose demeure toutefois certaine: le jour où la bâtisse qui abritait autrefois les Nordiques sera rasée, si ce jour arrive, Michel Bergeron sera submergé d’émotions. Probablement beaucoup plus que tous les autres anciens de l’organisation à qui nous avons parlé.
«Tous mes souvenirs vont me repasser par la tête. J’y ai passé neuf ans de ma vie.»
– Jessica Lapinski
«On a niaisé trop longtemps»: Dave Pichette déplore le manque de vision pour le Colisée
Payer une petite fortune pour détruire le Colisée ou payer une petite fortune pour lui trouver une vocation après des années d’inaction? Telle est la question, à laquelle Dave Pichette peine à répondre.
Le président de l’Association des anciens Nordiques se désole que le dossier ait pu traîner en longueur de la sorte.
«Je ne pense pas que le Colisée, c’est une cause perdue, mais de ce que j’en comprends ça coûte pas mal cher à opérer. Ils ont payé des frais et il ne sert plus depuis neuf ans. On a niaisé trop longtemps. Il n’y a pratiquement rien eu dedans depuis tout ce temps», a-t-il déploré.
La moins pire solution
Le problème, c’est qu’après neuf années à être pratiquement déserté, le Colisée n’inspire plus de grands projets.
Pichette, comme bien d’autres, en vient donc à conclure que la chose à faire est de le démolir, mais à contrecœur.
«Les gens disent qu’à Montréal, ils ont fait des cinémas et plein de choses avec le vieux Forum, mais c’est en plein centre-ville. On ne parle pas du même attrait dans le secteur où le Colisée est situé à Québec.
«Ça va coûter cher pour mettre le Colisée à terre, pour obtenir quoi? Cent cases de stationnement de plus? Ce n’est pas comme s’il manquait de stationnement aux alentours», a-t-il constaté.
L’ancien défenseur, qui a œuvré avec les Nordiques de 1980 à 1983, aurait apprécié qu’une réelle refonte du Colisée ait été imaginée avant sa fermeture.
«Il y a une histoire dans la ville avec l’amphithéâtre et ça aurait donné aux gens une glace supplémentaire. Si tu ne fais rien avec, ce n’est pas correct non plus de le laisser là. Mettez-le à terre ou bien ouvrez-le pour faire quelque chose avec», a-t-il affirmé.
– Stéphane Cadorette
«Comme les entrailles de ma mère»: Steven Finn nostalgique à l’idée de voir le Colisée démoli
Après avoir joué 10 saisons et plus de 600 matchs dans l’uniforme des Nordiques, l’ancien défenseur Steven Finn voit le Colisée comme s’il faisait littéralement partie de lui, un peu comme une figure maternelle.
«Rentrer dans le Colisée, c’est comme les entrailles de ma mère», a-t-il imagé.
«Je suis arrivé là, j’étais un adolescent. J’ai eu mes trois enfants à Québec et je suis sorti du Colisée en étant devenu un homme. Je me rappelle encore ce que ça sentait quand je rentrais là, par l’entrée Nord-Ouest, avec les partisans qui nous attendaient. Je me souviens de la descente vers le vestiaire. J’en parle et j’ai des frissons. On parle des plus belles années de ma vie», a-t-il continué.
Pas de solution gagnante
Finn a donné ses premiers coups de patin avec les Nordiques en 1985 et est demeuré avec l’équipe jusqu’à son départ fatidique vers Denver, en mai 1995.
Le Colisée revêt donc pour lui une énorme valeur sentimentale, mais il se résigne au fait qu’il a dépassé sa durée de vie utile.
«Je ne sais pas ce qui fait le plus de sens au niveau des analyses financières et on ne peut que faire confiance aux gens en place. Pour nous, les anciens joueurs et fidèles partisans des Nordiques, c’est certain qu’on s’attend à vivre des moments difficiles et émotifs.
«Les gens paient des taxes et ils ont droit à un retour sur investissement. Est-ce qu’on pourrait trouver une vocation à cet édifice-là? Moi, ce serait mon plus grand souhait. Mais si la solution c’est de le démolir, je vais faire confiance aux gens qui sont payés pour prendre ces décisions-là», s’est-il exprimé.
– Stéphane Cadorette
«Il faut que ça parte», plaide André Savard
André Savard ne se classe pas dans la catégorie des nostalgiques. Du moins, pas quand il est question de l’avenir du Colisée, même s’il a chéri toutes les années qu’il a jouées à Québec, que ce soit avec les Remparts ou avec les Nordiques.
«Il faut que ça parte!» lance l’ancien attaquant devenu entraîneur, puis recruteur. «La vérité, c’est que ce n’est pas assez beau. [...] Il faut passer à autre chose.»

M. Savard estime que le terrain devrait dorénavant servir à autre chose. «Ce n’est pas l’espace qui manque [à cet endroit]», pointe-t-il.
L’homme de 71 ans n’a pas besoin que le Colisée demeure en place pour que les souvenirs qu’il s’y est créés, eux, restent bien vivants. «Ils ne vont pas disparaître, soulève M. Savard. Ceux qui ont joué au hockey avant nous n’ont pas toujours vu leur aréna rester debout. Les choses changent.»
D’autant plus, note André Savard, que le Centre Vidéotron existe. «On est chanceux», estime-t-il.
– Jessica Lapinski
Alain Côté et Marc Tardif prêts à passer à autre chose
Les joueurs qui comptent les souvenirs les plus vibrants du Colisée sont souvent ceux qui ont évolué avec les Nordiques dans l’AMH et la LNH. C’est le cas de Marc Tardif et Alain Côté, qui vénèrent leur deuxième demeure, mais qui sont prêts à lui dire adieu.
Tardif s’est joint aux Nordiques en 1974, lui qui était l’un des «méchants» transfuges de la LNH vers le circuit maudit. Il a terminé au deuxième rang des compteurs de l’AMH avec 666 points en cinq saisons, avant d’ajouter quatre autres saisons à Québec dans la LNH.
Côté, lui, a été des deux dernières éditions des Nordiques de l’AMH, avant de représenter l’équipe 10 autres années dans la LNH.
Pour l’un comme pour l’autre, le Colisée représente un grand pan de leur vie, mais ils ne voient pas comment prodiguer une deuxième vie à l’amphithéâtre.
«Il y a le Centre Vidéotron juste à côté. S’ils arrivaient à trouver une façon de se servir du Colisée pour donner des glaces au hockey mineur, ce serait bien, mais ce serait très cher. Ça coûte déjà un bras de maintenir l’amphithéâtre en place à rien faire dedans», a réfléchi Côté.
Une valeur sentimentale
Aux yeux de celui qui était surnommé le «bœuf de Matane», il faut se rendre à l’évidence et cesser de vivre dans le passé.
«Un moment donné, c’est sûr qu’on a de beaux souvenirs là-dedans, mais si ça ne sert pas, ça ne sert pas. Ce serait plus sentimental qu’autre chose de le garder», a-t-il tranché.
Le constat est le même du côté de Marc Tardif. Ce dernier, avant de se joindre aux Nordiques, avait remporté deux Coupes Stanley avec le Canadien en 1970-1971 et 1972-73, dans le mythique Forum.
«À Montréal, ils ont fermé le Forum, ils sont allés au Centre Bell et ç’a été fini. Pour Québec, les choses auraient dû se passer de la même façon», croit-il.
«J’ai vécu des moments exceptionnels au Colisée, mais est-ce qu’il faut le garder à cause des souvenirs? Garder un édifice vide en vie, c’est très dispendieux. À moins qu’on l’utilise à un autre escient, mais quoi?» s’est-il questionné.
– Stéphane Cadorette