Locataires et propriétaires s’entendent de moins en moins: les fixations de loyer explosent au TAL

Andrea Lubeck
Les demandes en fixation de loyer déposées au Tribunal administratif du logement (TAL) ont plus que quadruplé dans les cinq dernières années, un signe que de plus en plus de locataires sont pris à la gorge, selon un regroupement de comités logement.
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Chloé Duchastel habite son logement de Longueuil depuis cinq ans.
À son arrivée, le prix du loyer était de 918$ par mois. Après des hausses de 2% ou 3% par le passé, son propriétaire voulait augmenter le loyer de 7,5% cette année, «sans aucune raison» et alors qu’il n’y a pas eu de travaux, dit-elle.
«J’ai dit que je n’acceptais pas ça. Mon propriétaire est revenu avec une proposition à la baisse. Mais comme c’était une augmentation plus haute que les autres années, j’avais besoin de prendre une décision en toute connaissance de cause. Je n’avais pas d’explication claire [à savoir] pourquoi on m’augmentait autant», raconte-t-elle.

Son propriétaire a donc déposé une demande en fixation de loyer auprès du TAL, l’obligeant à fournir au Tribunal, mais aussi à Chloé, ses calculs pour déterminer la hausse de loyer.
Au bout du compte, elle s’en est tirée avec une hausse de 6%. Elle s’est entendue à l’amiable avec son propriétaire, sans qu’un dossier soit officiellement ouvert. Elle paie maintenant 1169$ par mois.
«Tout le long, ç’a été du niaisage, parce que je voulais simplement des informations pour être sûre que je prenais une décision de manière éclairée. Le montant qu’il fixait, je l’aurais accepté s’il m’avait fourni le document à la base», déplore-t-elle.
Plus de 20 000 demandes en 2023-2024
Chloé Duchastel n’est pas seule dans cette situation: les demandes en fixation de loyer ont «plus que quadruplé en cinq ans», précise le TAL dans son dernier rapport annuel de gestion.
C’est quoi, au juste, une demande en fixation de loyer?
Un propriétaire peut déposer une demande en fixation de loyer après que son locataire a refusé une augmentation jugée abusive durant la période de renouvellement de son bail et que les négociations entre les deux parties ont échoué.
À l’aide de la grille de calcul, le TAL va ensuite déterminer si la hausse demandée est justifiée ou imposer un nouveau pourcentage en fonction des pièces justificatives fournies.
En attendant la décision, le locataire conserve son bail et paie le loyer sans l’augmentation.
Une conséquence du marché
Cette explosion est directement liée aux importantes hausses de loyer depuis deux ans, selon l’Association des propriétaires du Québec (APQ) et le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ).
Chaque année, le TAL publie une estimation de l’augmentation moyenne des loyers à prévoir.
En 2023 et 2024, les pourcentages ont fracassé des records, s’établissant respectivement à 2,3% et 4% pour un logement non chauffé. Notons que les propriétaires ne sont pas tenus de se limiter à ce pourcentage; l’augmentation pourrait être plus ou moins élevée en fonction des dépenses encourues pour l’entretien du logement.
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«Comme on a eu une inflation spectaculaire, ça donne des [augmentations de loyer] plus élevées. Les locataires qui sont habitués à des augmentations moindres ont reçu des augmentations deux, trois, quatre fois ce qu’ils recevaient habituellement», souligne Martin Messier, président de l’APQ.
Ces hausses records se traduisent donc par des situations financières plus complexes pour les locataires, souligne le porte-parole du RCLALQ, Martin Blanchard.
«Plusieurs locataires appellent les comités logement pour dire qu’ils ont reçu des augmentations de 40$, 50$, 60$ et qu’ils ne sont pas capables de les payer. Souvent, ils apprennent la mauvaise nouvelle que le propriétaire avait droit à cette augmentation qui les appauvrit beaucoup», relate-t-il.
Pas étonnant, dit-il, que l’on constate une hausse marquée de l’itinérance provenant de personnes qui n’arrivent plus à payer leur loyer.
Certains en profitent
Chloé Duchastel estime que son propriétaire a profité de la crise du logement et de la hausse du prix des loyers pour tenter «d’aller chercher plus que ce qui est nécessaire».
Selon Martin Blanchard du RCLALQ, cette pratique n’est pas rare.
«L’autre cas de figure qu’on voit dans les comités logement, ce sont des propriétaires qui profitent du discours ambiant selon lequel les loyers sont chers, qu’il y a de grosses augmentations cette année et qui demandent plus que ce qu’ils ne seraient autorisés», ajoute M. Blanchard.
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M. Messier, de l’APQ, reconnaît que cette situation est possible, mais que les mécanismes en place permettent de l’éviter... pourvu que le locataire refuse.
«Ça n’empêche pas un propriétaire de faire une augmentation qui n’est pas justifiée. La loi fait en sorte qu’un locataire a juste à dire non. Le propriétaire va faire sa demande et sa démonstration de la hausse auprès du Tribunal» qui établira une hausse juste, illustre-t-il.
De 2014 à 2023, le TAL a accordé une moyenne d’augmentation de loyer de 3,4% pour les demandes en fixation de loyer entendues en audience, toujours selon le plus récent rapport annuel de gestion.
Quelles solutions?
Chloé Duchastel voudrait que les propriétaires soient obligés de fournir aux locataires leurs calculs pour justifier un ajustement du loyer.
«Il y a plein de demandes au TAL qui pourraient être évitées si on prenait le temps de fournir les informations aux locataires pour qu’ils puissent prendre une décision libre et éclairée», soulève-t-elle.
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Les propriétaires sont aussi en faveur d’une meilleure communication et d’une sensibilisation en lien avec les augmentations de loyer de la part du TAL.
Martin Blanchard voudrait pour sa part plafonner les hausses de loyer au taux du TAL. Un registre des loyers permettrait également d’éviter les hausses abusives, dit-il.
Éric Sansoucy, porte-parole de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ), dénonce par ailleurs la «désinformation» de la part de «partis politiques et d’organismes qui encouragent» les locataires à refuser une augmentation de loyer conforme aux recommandations du TAL.