De plus en plus de jeunes sans-abri: la crise du logement pointée du doigt par les organismes débordés


Anne-Sophie Poiré
Les organismes au service des jeunes sans-abri observent une hausse significative de la demande pour leurs services depuis près d'un an. Ils déplorent notamment le manque de logements pouvant accueillir les jeunes après un passage à la DPJ, une clientèle déjà à risque d’itinérance chronique.
«Notre refuge est plein. Notre centre de jour déborde. On voit une hausse très claire des jeunes qui fréquentent nos services depuis le printemps», affirme la directrice générale de Dans la rue, Cécile Arbaud, qui vient en aide aux jeunes sans-abri ou en situation précaire, à Montréal.
Pas moins de 145 jeunes transitent chaque jour chez «Pops», un lieu qui offre en semaine des repas, des douches, des cours de niveau secondaire, des consultations médicales et du soutien psychosocial.
«Avant la pandémie, on en accueillait environ 110», précise Mme Arbaud.
La situation est semblable au Refuge des Jeunes de Montréal, qui vient en aide aux jeunes de 17 à 26 ans.
«Pendant longtemps, notre taux d’occupation tournait autour du 80%. On pouvait se permettre de dépanner à la dernière minute. Mais maintenant, on doit refuser des gens. C’est un phénomène qu’on voyait dans les refuges réguliers, mais avec la jeunesse, c’est nouveau», signale le coordonnateur du refuge, Philippe Lacerte.
Incapables de répondre à la demande
À cause du manque de places dans les refuges d’urgence et les hébergements temporaires, les organismes peinent à répondre adéquatement à la demande exacerbée par la crise du logement, qui frappe de plein fouet les jeunes qui vivent une situation précaire.
«On voit davantage de demandes, oui, mais surtout plus de refus», déplore le directeur général adjoint du Regroupement des Auberges du cœur du Québec, Marc-André Bélanger.
Entre 2023 et 2024, 2300 jeunes de 12 à 30 ans en difficulté ou sans-abri ont été hébergés par l’organisme implanté dans dix régions de la province, pour des séjours allant de 30 jours à une année.
Au cours de la même période, le regroupement a dû décliner plus de 6300 demandes d’hébergement, faute de places.
Une question de stigmatisation
«Les jeunes font des séjours plus longs et demandent plus d’extensions, pas parce qu’ils n’ont pas l’autonomie ou les compétences nécessaires pour aller en appartement, mais parce qu’ils ne trouvent tout simplement pas de logement, qu’ils soient seuls ou en collocation», souligne M. Bélanger.
Il indique que ces jeunes sont plus souvent «stigmatisés» par les propriétaires, surtout dans un contexte de crise du logement où la rareté et le prix des loyers explosent.
«Les propriétaires sont beaucoup moins enclins à louer à des jeunes qui ont connu l’itinérance ou qui sont en situation d’hébergement, même si certains ont les moyens de payer et qu’un centre assure qu’elle continue les suivis réguliers avec eux», signale M. Bélanger.
«Ils n’ont pas d’expérience en recherche de logement, pas d’historique de crédit ou d’antécédent de location», ajoute Cécile Arbaud de l’organisme Dans la rue.
«Et les loyers sont très élevés, bien plus que ce qu’un jeune de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) va recevoir avec l’aide sociale.»
Elle rappelle que la moitié des jeunes qui bénéficient des services de Dans la rue ont connu au moins un placement dans un milieu d’accueil de la DPJ. Les statistiques sont semblables dans les Auberges du cœur.
Adoucir la sortie de la DPJ
Le milieu de la recherche confirme les observations des organismes.
De tous les jeunes qui sortent d'un placement avec la DPJ, le tiers va connaître un épisode d’itinérance entre 18 et 21 ans, révélait en 2022 une étude de l’École nationale d'administration publique (ENAP).
«La sortie abrupte des institutions, comme des services de santé mentale ou de la protection de la jeunesse, est un élément clé sur lequel il faut agir pour prévenir l’itinérance chez les jeunes», explique le coauteur de l’étude et cotitulaire de la Chaire de recherche sur la jeunesse du Québec, Martin Goyette.
«L’intervenant social a beau vouloir aider les jeunes qui sortent de la DPJ à 18 ans, mais il ne peut pas les héberger chez lui pour prévenir l’itinérance, fait-il valoir. Il faut structurer des services en hébergement et en logement, notamment, pour adoucir la transition à la vie autonome.»
La Commission Laurent sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse recommandait d’ailleurs en 2021 la création de nouveaux programmes pour améliorer les services post-placement jusqu’à l’âge de 25 ans.
«Une personne qui s’insère dans une dynamique d’itinérance jeunesse a plus de risques de vivre de l’itinérance chronique», prévient le professeur Goyette qui plaide également pour la mise en place de services post-placement.
L’expert cite le cas de l’Ontario qui, depuis 2023, assure un revenu minimum aux jeunes qui quittent le système de protection de l’enfance pour leur permettre de poursuivre des études ou des formations et ainsi atteindre l’autonomie financière.