Commission Gallant: le ministère du premier ministre informé de l’explosion des coûts du projet SAAQclic en 2023
«J’avais tout dépensé mon argent», avait rapidement compris l’ex-PDG de la SAAQ Éric Ducharme

Nicolas Lachance
L’ex-PDG de la SAAQ, Éric Ducharme, dit avoir découvert en 2023 que le budget pour mener à terme le projet SAAQclic était à sec et qu'il exigerait bien plus d’argent que prévu. Se disant «transparent», il affirme avoir prévenu la ministre Geneviève Guilbault et le ministère du premier ministre.
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Devant le commissaire Denis Gallant, le haut fonctionnaire a reconnu qu’il «n’aurait pas dû» accepter le poste de PDG de la Société de l’assurance automobile du Québec.
En plein fiasco, au printemps 2023, l’entreprise LGS menace de se retirer du projet. Elle estime que SAAQclic est livré et que la SAAQ lui doit encore 28 millions $ pour du travail accompli.
Fâché, Éric Ducharme veut des réponses. Il apprend alors que le budget global est de 682 millions $ et que la caisse prévue pour le contrat est vide. Un nouvel ajout (avenant) de 45 millions $ avait même été signé.
Il en informe le secrétaire général du gouvernement, Yves Ouellet, et entame des négociations avec LGS. Il comprend que le contrat initial, qui devait être un tout inclus sur dix ans, ne tient plus.
«J’achète un véhicule, puis on avait prévu des années pour mettre de l’essence, changer les freins, acheter des pneus», a-t-il expliqué.
Il a finalement reçu un véhicule avec «juste trois roues».
«Puis j’avais tout dépensé mon argent. J’ai même dépensé plus que mon 458 M$», a-t-il ajouté.
M. Ducharme plaide qu’il ne peut pas arrêter le train en marche. Les problèmes sont multiples et il doit livrer les services aux citoyens. C’est encore le chaos à la SAAQ.
Le PDG prendra aussi la décision de signer un nouvel avenant de 68,9 millions $ pour que le travail puisse se poursuivre.
«On ne peut pas arrêter, on est coincé», a-t-il signalé. Il a informé la ministre des Transports, Geneviève Guilbault, sa directrice de cabinet et la nouvelle Secrétaire générale du Québec, Dominique Savoie.
«J’en ai parlé», dit-il, alors que la commission dévoilait des courriels qu'il leur avait envoyés deux ans avant le dépôt du rapport du vérificateur général Québec.
Le Trésor savait en 2020
Malgré sa surprise en 2023, Éric Ducharme avait été informé de problématiques liées au projet SAAQclic trois ans auparavant.
En octobre 2020, la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) a informé le Conseil du trésor qu’elle pensait utiliser les sommes réservées à l’exploitation de SAAQclic pour compléter la livraison du projet.
Une rencontre avait été demandée avec la PDG de la SAAQ de l’époque, alors qu’il était, lui, secrétaire du Conseil du trésor.
À l’époque, le ministre Éric Caire s’inquiétait du projet SAAQclic en raison d’un report et d’une augmentation des coûts.
Lors de cette rencontre, Éric Ducharme et Pierre E. Rodrigue ont été informés que la société envisageait de verser une nouvelle somme représentant 10% du contrat de 458 M$ conclu avec l’Alliance SAP-LGS.
Puis, en 2021, la PDG de la SAAQ, Nathalie Tremblay, a informé Éric Ducharme qu’elle avait besoin de centaines d’effectifs supplémentaires pour compléter la transformation numérique. Le Trésor a accepté.
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Analyse réclamée, mais jamais réalisée
Entre 2018 et 2023, Éric Ducharme a été le gardien des finances publiques à titre de secrétaire au Trésor.
À l’automne 2020, il est informé d’un report et suspecte un dépassement de coûts du projet CASA/SAAQclic. Une note est alors préparée et remise à M. Ducharme.
On y indique que «les nouvelles reçues de la part de la SAAQ font état d’un report de l’échéancier du projet, de janvier 2022 à janvier 2023. Selon eux, cela se ferait sans dépassement de coûts dans le cadre de leur contrat de service».
Le document précise que «le contrat avec IBM, basé sur un partage de risques, prévoyait la mise en œuvre du projet ainsi que son exploitation par la suite. Ainsi, une année d’exploitation serait utilisée plutôt pour poursuivre la mise en œuvre du projet».
Or, le Conseil du trésor semble douter de cette affirmation.
«Une analyse est nécessaire de la part du sous-secrétariat à la direction des technologies de l’information [équipe d’Éric Caire] afin d’identifier les impacts réels de cette information sur la portée, les échéanciers et les coûts.»
Pierre Rodrigue, le bras droit d’Éric Caire, avait pour mission de réaliser cette analyse.
Cette analyse ne sera jamais produite, a admis Éric Ducharme.
Questionné par la procureure de la Commission, Mélanie Tremblay, l’ex-gardien des fonds publics a souligné qu’un report signifiait inévitablement des coûts supplémentaires.
Éric Ducharme soutient qu’après la création du ministère de la Cybersécurité et du Numérique à la fin de 2021, il n’a plus entendu parler du projet CASA/SAAQclic.
Le dossier était entre les mains du sous-ministre d’Éric Caire, Pierre E. Rodrigue.
«Pas une bonne nouvelle»
Par ailleurs, c’est lors d’une rencontre avec le ministre Éric Caire, en août 2020, que les premiers problèmes contractuels du projet SAAQclic ont été présentés à l’ex-secrétaire du Conseil du trésor, Éric Ducharme.
Selon un procès-verbal de cette rencontre, Éric Caire craignait d’être un «triste spectateur» et réclamait un plan de redressement. Mercredi, lors de son témoignage, l’ex-ministre a affirmé qu’il s’agissait de propos humoristiques.
«Sur le ton, je suis quelqu’un qui utilise beaucoup l’humour. Je ne pense pas que le terme “triste spectateur” était alarmant, c’était plutôt pour plaisanter», a indiqué mercredi le député.
Éric Ducharme a soutenu qu’il était en réalité irrité et que son équipe était «préoccupée».
«Je pourrais dire... Les mots permettent de comprendre que ce n’est pas une bonne nouvelle, puis on veut en savoir plus, le plus rapidement possible», a-t-il déclaré au début de son témoignage devant le commissaire Denis Gallant.
Selon lui, le ministre avait été clair: il fallait «creuser le dossier pour voir ce qu’il est possible de faire».
Le Secrétariat du Conseil du trésor devait ensuite «revenir au ministre assez rapidement».
La ministre des Transports, Geneviève Guilbault, avait perdu confiance en Éric Ducharme, qui avait été nommé en avril 2023 pour redresser la situation à la SAAQ. Annie Lafond l'a depuis remplacé de façon intérimaire.
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