«C’est la pire saison en 18 ans»: déplorent les maraîchers du Québec
Les aléas extrêmes de la météo ont eu un impact catastrophique sur les récoltes


Marianne Langlois
Les maraîchers du Québec s’arrachent les cheveux de la tête devant des pertes s’élevant déjà à plusieurs millions $ en raison des intempéries extrêmes qui se sont abattues sur leurs champs cet été. Tirant de dures leçons, certains comptent complètement revoir leur modèle d’affaires pour survivre aux prochaines années.
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«C’est assez horrible [...]; même les légumes, qui sont habituellement une récolte garantie comme le mesclun, la roquette ou le radis [en ce moment], ça pourrit dans les champs», déplore Yan Gordon, propriétaire chez Les potagers des nues mains, à Sutton en Estrie.
Selon le maraîcher d’expérience, il s’agit de «la pire saison en 18 ans» pour l’industrie agroalimentaire. Depuis avril, les aléas météorologiques difficiles s’alternent; grêle, sécheresse, canicule, orages violents ainsi que pluies torrentielles font d’irréparables dommages dans les champs.

Environnement Canada rapporte que des records ont été battus pour les quantités de pluie reçues en juillet au Québec. Ce sont 265 mm qui sont tombés à Québec et près de 200 mm en Montérégie le mois dernier. Il s’agit du double des quantités habituelles, ce qui affecte la qualité des légumes, qui cause de la pourriture, des maladies fongiques, et qui réduit la durée de vie des aliments.
Comme des chaudières d'eau
«Quand on irrigue avec des gicleurs, le sol reçoit 10 mm d’eau sur une période de 4 h [...]; pendant les averses, il peut tomber 20 mm en 10 min, c’est comme si on lançait des chaudières d’eau», illustre le maraîcher de 47 ans.
Pour l'entreprise Les potagers des nues mains, qui produit carottes, radis, roquette, mesclun, betteraves, fines herbes, kale, épinards, tomates, concombres, courgettes, pour ne nommer que ceux-là, les dégâts sont déjà majeurs. Sur les cinq hectares que cultive la ferme maraîchère, un hectare est perte totale.
«En ce moment, ça tourne autour de 40 000 dollars de perte pour les radis, les tomates; on a perdu un demi-hectare de betterave [...]. C’est énorme, c’est l’équivalent d’un terrain de football», ajoute-t-il.

Yan Gordon et son équipe cherchent des options afin d’économiser sur les coûts de production. Actuellement, on envisagerait de ne plus avoir de main-d’œuvre ou encore de cesser de cultiver des tomates, puisque le fruit est très sensible aux maladies comme le Mildiou, qui cause des lésions menant à la pourriture des tomates.
À Charlevoix, la pluie est aussi la cause de plusieurs pertes de légumes comme les courges et les carottes aux Jardins de Cap-aux-Oies.
«Disons que l’impact de cet été-là va se faire sentir encore longtemps», lance Charles-Emmanuel Gagnon-Coupal, l'un des deux propriétaires de la ferme maraîchère.

L’entrepreneur de 29 ans confirme «être là pour rester», mais il ajoute que d’importants changements doivent être apportés au modèle d'affaires. Dès l’année prochaine, il pourrait y avoir moins de variétés de légumes pour éviter des pertes et concentrer les effectifs.
Perte presque totale
À Brownsburg, près de Mirabel, la Ferme la Roquette évalue déjà avoir perdu 60% de sa récolte. Quant à certaines variétés de légumes, comme les oignons, il y a jusqu’à 90% de perte. Dans le cas des fines herbes – non assurables auprès de La Financière agricole –, c'est une perte presque totale.
« En comparant avec l’année dernière, même si on a 40% plus de superficie, on récolte, par semaine, de 4 à 6 fois moins de légumes », image Frédéric Turgeon-Savard de la Ferme la Roquette qui s'inquiète pour la relève maraichère qui est en démarrage cet été.
Plus tôt ce mois-ci, l’UPA rapportait que, jusqu’à présent, il y avait 8,5 millions de dollars de dommages pour les petits fruits et que ce nombre s’alourdirait considérablement d'ici la fin de l'été.
Santé mentale: hausse de la demande
Un organisme qui offre du soutien psychologique aux agriculteurs s’attend à une explosion des demandes d'aide cet automne à la suite des récoltes désastreuses de cet été.
«Quand la poussière va retomber après les récoltes, on anticipe une hausse de la demande [en soutien psychologique], il y a même des gens qui vont devoir quitter le domaine», déplore Samuel Gosselin, directeur général d’Au cœur des familles agricoles (ACFA), un organisme qui offre des services psychosociaux aux agriculteurs à travers la province.
En 2022 seulement, ce sont plus de 930 agriculteurs qui ont été accompagnés pour des raisons de santé mentale par l’organisme. Cette année, la demande est déjà en forte augmentation.
«On a beaucoup de gens qui nous interpellent ou qui nous réfèrent des membres de leur entourage [...], on aurait besoin d’encore plus de personnel actuellement», ajoute le directeur général.
L'organisme compte 14 travailleurs de rang qui se rendent aux quatre coins du Québec pour offrir de l’aide psychologique directement à domicile.
«En ce moment, les agriculteurs font face à des difficultés comme la surcharge de travail et à des situations extérieures comme la météo [...]. Ce que je vois beaucoup sur le terrain, c’est de l’impuissance», explique Gabriel Roussel, travailleur de rang pour l’ACFA, dans l’est du Bas-Saint-Laurent.
Prévention
Les services comprennent différentes approches, notamment des rencontres individuelles, des activités de sensibilisation ou même des périodes de répit à l'extérieur de leur demeure.
Lors du point de presse tenu par l’UPA le 11 août dernier, quatre travailleurs de rang ont été dépêchés sur les lieux par mesure préventive. L'objectif étant de discuter avec les agriculteurs présents et de cibler ceux qui auraient besoin de soutien psychologique.
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