Cessions de bail: «recul des droits des locataires» pour certains, «correction d’une erreur grave» pour d’autres


Andrea Lubeck
L’adoption de l’article du projet de loi 31 permettant aux locateurs de refuser une cession de bail pour tout motif autre que sérieux divise les locataires et les propriétaires. Si les premiers craignent des «conséquences désastreuses», les seconds affirment qu’il s’agit d’une «amélioration de la situation juridique dans le domaine locatif».
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Le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ) n’est pas surpris de l’adoption de ce volet du projet de loi 31. Il craint néanmoins que des locataires se retrouvent à la rue s’ils n’ont pas la possibilité de profiter d’une cession de bail.
L’article 7 prévoit que «le locateur qui est avisé de l’intention du locataire de céder le bail peut refuser d’y consentir pour un motif autre qu’un motif sérieux». S’il refuse, il est dans l’obligation de résilier le bail afin d’en libérer le locataire. Le projet de loi en est toujours à l’étape de l’étude détaillée.
«C’est majeur. C’est la première fois en 45 ans qu’il y a un recul législatif des droits des locataires», indique Cédric Dussault, co-porte-parole du RCLALQ, en entrevue à 24 heures.
Plusieurs groupes de locataires, de même que Québec solidaire, affirment que cette mesure aurait aussi comme conséquence de faire grimper le prix des loyers. Un argument que la ministre responsable de l'Habitation, France-Élaine Duranceau, a qualifié comme étant de la «désinformation».
«La cession de bail était l’une des seules choses qui permettaient que les loyers n’augmentent pas de façon importante avec le changement de locataire. Sans cela, les loyers vont suivre la même progression que lorsqu’il y a un changement de locataire», soutient Cédric Dussault.
La hausse de prix moyenne des loyers dont les locataires ont reconduit le bail était de 3,6% entre 2021 et 2022, alors que les logements qui avaient été remis sur le marché locatif présentaient une hausse moyenne de 13,2% pour la même période, selon des données de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL).
Corriger «une erreur grave»
Pour la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ), l’adoption de l’article 7 est plutôt la «correction d’une erreur grave dans la législation».
D’abord inscrite au Code civil en 1973 dans le but de «protéger les propriétaires et assurer la rentabilité de l’immeuble à moyen-long terme», la cession de bail ne remplit plus cette fonction, affirme Benoit Ste-Marie, directeur général de la CORPIQ.
À l’époque, Montréal présentait un fort taux d’inoccupation, écrit l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) dans un billet.
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La cession de bail a été instaurée pour permettre à un locataire de déménager avant l’échéance du bail, mais aussi pour éviter que le propriétaire se retrouve sans locataire avant la fin du bail.
Il a donc été convenu, avec les associations de propriétaires de l’époque, que c’est au locataire que revient le fardeau de trouver un nouvel occupant pour le logement, qu’un propriétaire ne peut pas refuser sauf s’il a un motif sérieux de le faire, comme des défauts de paiements.
«On est passé d’un article qui visait à protéger le propriétaire à un article qui vient nuire au propriétaire dans ses activités et à l’ensemble du marché, déplore Benoit Ste-Marie. Il est tout à fait normal que le locateur puisse avoir le libre choix de rénover son logement [entre deux occupants] ou de choisir le locataire.»
Le directeur général de la CORPIQ rappelle d’ailleurs que les cessions de bail seront toujours possibles, mais qu’elles pourront se faire, à son avis, «dans de meilleures conditions, en impliquant toutes les parties prenantes».
Quelles solutions à la crise?
La ministre responsable de l’Habitation a souvent martelé que les cessions de bail ne devaient pas constituer un outil pour contrôler le prix des loyers.
Or, «ce l’est devenu par la force des choses», souligne Cédric Dussault.

Pour lui, l’instauration d’un registre des loyers et le plafonnement des loyers constituent des solutions «peu coûteuses et rapides à mettre en place» pour faire face à la crise du logement, mais «la ministre Duranceau les a balayées du revers de la main» en commission parlementaire, dit-il.
«On fait strictement répondre à une demande des propriétaires et on leur donne une impunité totale pour pouvoir fixer le prix des loyers au détriment des locataires et au mépris de l’esprit de la loi», poursuit Cédric Dussault.
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De son côté, la CORPIQ estime que la solution à la crise du logement réside dans l’augmentation de l’offre. Le groupe salue les investissements de 15 milliards $ d’Ottawa prévus pour accélérer la construction de logements partout au pays.
«Il manque 200 000 logements au Québec. Et la raison pourquoi on en manque, c’est que ce n’est pas rentable. Donc il ne faut pas punir les propriétaires, ce n’est tellement pas le temps», indique Benoit Ste-Marie.
Ce dernier soutient également que les assouplissements législatifs permettant la hausse de l’offre des logements accessoires, par exemple un propriétaire de bungalow qui voudrait transformer son sous-sol en logement, auraient pour effet d’augmenter l’offre.