Tramway: bras de fer en attendant le feu vert
La Ville de Québec espère ardemment obtenir les décrets du Conseil des ministres pour le tramway

Stéphanie Martin et Jean-Luc Lavallée
Un décret ministériel est au cœur du bras de fer entre la Ville de Québec et la CAQ, depuis quelques jours. Essentiel à la poursuite du projet de tramway, il est attendu impatiemment par l’administration Marchand et est promis par le gouvernement pour mercredi. Pourquoi cette pièce législative a-t-elle tant d’importance pour la Ville ? Le Journal fait le point.
Que permettra ce décret ?
Tout au long du projet, à certains moments-clés, la Ville devra obtenir des décrets pour franchir des étapes dans le grand chantier du tramway. C’est le cas actuellement avec un décret attendu pour permettre le lancement des appels de propositions pour deux volets : la fourniture du matériel roulant et la construction des infrastructures du réseau. « Cette étape est cruciale, car elle permet de respecter les échéanciers de réalisation en cours et à venir », a indiqué le porte-parole de la Ville David O’Brien. L’obtention du décret ministériel doit autoriser la Ville à publier ses exigences dans des documents comprenant des centaines de pages. Les deux consortiums de civilistes préqualifiés auront ensuite un an pour y répondre, en présentant leurs solutions techniques et leurs prix. On en parle moins souvent, mais l’administration Marchand attend également, mercredi, un décret qui donne les autorisations environnementales pour le projet, à la suite de l’analyse de l’Étude d’impact sur l’environnement et de ses addendas.
Marchand dénonce l’ingérence

La réponse du maire aux conditions de la CAQ ne s’est pas fait attendre. Dans une sortie sentie, Bruno Marchand a dénoncé « l’attaque directe » contre la Ville de Québec et l’ingérence du gouvernement dans les compétences municipales. Il a décrété qu’aucune condition ne serait acceptée et que la rue partagée était là pour de bon. La Ville a par la suite précipité le dévoilement des résultats d’une consultation publique menée dans le secteur Cartier, qui démontrait que 69 % des répondants au questionnaire en ligne étaient en faveur de la rue partagée. Même s’il a reconnu que l’exercice était non scientifique, le maire estime qu’il a « une pleine valeur ». Le chef de la seconde opposition, Éric Ralph Mercier, juge quant à lui qu’une telle consultation ne « vaut rien ».
Les étapes à venir
Si tout se passe comme prévu, la Ville de Québec espère signer le contrat pour la fabrication du matériel roulant en novembre 2022. Ce n’est cependant pas avant juin 2023 qu’elle s’attend à recevoir le feu vert pour permettre de démarrer la fabrication des wagons. Un autre décret environnemental est attendu en décembre 2022, en ce qui concerne la portion du tramway qui se rend jusqu’à D’Estimauville. C’est le gouvernement qui a demandé qu’on privilégie ce segment à celui qui, initialement, devait se rendre à Charlesbourg. Également, dans un an, après la réception des propositions des consortiums de civilistes, « une autre décision du conseil des ministres sera requise pour passer en phase réalisation et ainsi permettre la signature du contrat infrastructures », indique David O’Brien, de la Ville de Québec. « Cette décision permettra aussi de confirmer le budget et le financement autorisé pour le projet. »
Les retards s’accumulent
À l’origine, la mise en service du tramway était planifiée en 2026. Le calendrier diffusé récemment par le Bureau de projet évoque désormais une « mise en exploitation » en août 2028. Ce nouvel échéancier risque d’être repoussé à nouveau si le gouvernement force la Ville à retourner à sa planche à dessin une fois de plus, après avoir imposé des modifications au tracé l’an dernier. La Ville a déjà perdu une année en raison de la reprise du processus d’approvisionnement, repris à zéro, faute de concurrence. Cette fois, Alstom et Siemens n’attendent que le feu vert du gouvernement pour répondre à l’appel de propositions pour fournir le matériel roulant, qui tarde à être lancé. Deux consortiums sont aussi sur la ligne de départ pour obtenir le contrat d’infrastructures.
Qui paiera la facture additionnelle ?
Qui dit retards dit aussi « coûts additionnels ». Le vérificateur général de la Ville évaluait un surcoût de 100 M$ pour chaque année de retard, l’an dernier ; un calcul qu’il faudrait probablement actualiser en raison de l’inflation galopante. D’autres retards entraîneront inévitablement d’autres dépassements de coûts. Les multiples rebondissements ont déjà fait gonfler la facture à environ 3,9 G$. La Ville de Québec avait confirmé une hausse du budget de 600 M$, en janvier, mais le maire Marchand espère ramener cela à 530 M$ avec un effort de « rationalisation ». Aucune entente n’a encore été signée quant aux dépassements de coûts, malgré l’engagement verbal d’Ottawa pour éponger 40 % de la note. Le gouvernement du Québec assumerait 50 % et la Ville 10 %.
Des conditions imposées

En mars, à la suite de la révélation par Le Journal d’une étude de circulation qui démontrait que les temps de parcours augmenteraient sur Grande Allée avec l’implantation d’une voie réservée sur René-Lévesque, le gouvernement de la CAQ a imposé de nouvelles conditions à l’octroi du décret. La Ville doit obtenir l’acceptabilité sociale et reculer sur le concept de rue partagée sur René-Lévesque, et la part des dépassements de coûts assumés par le gouvernement fédéral doit être confirmée. La porte-parole du ministre des Transports, François Bonnardel, a confirmé au Journal que la date du 6 avril était toujours dans les cartons pour l’émission du décret, mais n’a pas voulu s’avancer davantage sur les conditions imposées. « Nous avons fait part de nos préoccupations et nous laisserons le Conseil des ministres rendre une décision avant de nous avancer davantage », a indiqué Claudia Loupret.