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L'article provient de Le Journal de Montréal
Monde

«Génocide» en Ukraine : au-delà des faits à établir, l’usage d’une rhétorique

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AFP

2022-04-13T16:33:19Z
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Plusieurs responsables politiques n’ont pas hésité à qualifier de «génocide» les violences contre les civils en Ukraine, mais au-delà de faits qui restent à établir, l’argument relève à ce stade d’une rhétorique politique plus que de faits juridiquement établis. 

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Le président américain Joe Biden a remis le débat sur la place publique mardi. S’il appartient aux «avocats, au niveau international», de trancher sur la qualification de génocide, «pour moi, cela y ressemble bien», a-t-il déclaré.

Avant lui notamment, le premier ministre britannique Boris Johnson l’avait évoqué, tout comme le président ukrainien Volodymyr Zelensky. Le président russe lui-même a employé le terme à maintes reprises pour dénoncer la politique de Kyïv dans le Donbass, région de l’Ukraine en proie depuis 2014 à une guerre entre l’armée ukrainienne et les séparatistes prorusses.

«Je dois parler de la russophobie comme d’un premier pas vers un génocide. C’est ce qui se passe en ce moment dans le Donbass», avait-il affirmé en décembre.

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La convention des Nations Unies pour la prévention et la répression du crime de génocide, datant de 1948, le décrit comme un «crime commis dans l’intention de détruire, ou tout, ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux».

Récemment, le terme a notamment été évoqué pour le sort réservé par Pékin à la minorité musulmane des Ouïghours ou les violences commises par la junte birmane contre celle des Rohingyas.

Mais chaque dossier mérite son analyse propre. Cecily Rose, professeur de droit public international à l’université de Leiden, aux Pays-Bas, estime ainsi qu’il existe «de nombreuses preuves» étayant l’hypothèse de génocides contre les Ouïghours et les Rohingyas.

  • Écoutez l'entrevue de Richard Martineau avec Dominique Arel, titulaire de la Chaire d’études ukrainiennes à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa sur QUB radio :

«Brouillard de la guerre»

En revanche, «je ne pense pas que ce qui se passe en Ukraine relève de la définition du génocide», ajoute-t-elle à l’AFP.

La Cour pénale internationale (CPI) a déjà ouvert une enquête sur les événements en Ukraine. «L’Ukraine est une scène de crime (...). Nous devons transpercer le brouillard de la guerre pour parvenir à la vérité», a déclaré mercredi son procureur, le Britannique Karim Khan, à Boutcha, près de Kyïv. 

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Mais les juristes sont plus prudents que les responsables politiques.

Photo AFP
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«Le mot génocide a une définition légale précise, mais il est aussi largement utilisé par les politiciens et activistes à cause de sa capacité à enflammer et exciter» les opinions publiques, explique à l’AFP William Schabas, professeur de droit international à l’université Middlesex de Londres.

«C’est un superlatif, un terme que vous utilisez quand d’autres labels comme "crimes de guerre" et "crimes contre l’Humanité" ne semblent pas être suffisamment efficaces sur le plan rhétorique», précise-t-il, qualifiant les propos de Joe Biden de «cavaliers». 

Car de facto, l’enjeu fondamental dépasse de très loin les joutes oratoires internationales. 

Les qualifications de crimes de guerre, crimes contre l’Humanité, génocide répondent à des faits précis qui, comme toute matière juridique, se doivent de dépasser l’émotionnel pour relever d’une vérité établie et démontrée. 

«Attention et prudence»

«On a un conflit qui nous sidère tous. À peine commencée, la justice pénale internationale se met en branle», constate Céline Bardet, juriste et enquêtrice criminelle internationale, «choquée» que le procureur de la CPI se rende à Kyïv et s’entretienne avec le président Zelensky.

«Qu’il décide d’ouvrir une enquête aussi vite, tant mieux, j’attends de lui qu’il fasse la même chose dorénavant pour tous les conflits», ajoute-t-elle. 

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Et la juriste d’appeler de ses vœux une justice distanciée, protégée de l’émotion que provoque l’accumulation de victimes civiles en Ukraine.

«La justice a besoin de distance pour ne pas tomber dans tout ce brouhaha. Le temps de la justice n’est pas celui du conflit», martèle-t-elle, craignant que la CPI ne renforce son image d’une juridiction qui «travaille quand les Occidentaux la poussent à le faire».

Cecily Rose défend pour sa part la nécessité d’agir vite. «C’est mieux de collecter les preuves maintenant que dans cinq ans», dit-elle.

«On peut certainement saisir cette opportunité pour discuter d’à quel point la justice internationale a été sélective», admet-elle. «Mais on ne peut pas affirmer que rien ne doit être fait en Ukraine».

Et en attendant que la justice établisse des faits, le mot «génocide» devrait «être employé avec beaucoup d’attention et de prudence, de préférence sur la base d’une enquête indépendante», insiste l’experte. 

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