Affaire Cape Cove: des conseillers financiers impliqués dans une fraude de près de 20 M$
Ce «stratagème à la Ponzi» coûtera plus de 9 millions $ au fonds d’indemnisation de l’AMF

Sylvain Larocque
Plus de 650 petits investisseurs se sont fait prendre dans une vaste fraude de près de 20 millions $ orchestrée, d'après l'AMF, par un récidiviste et un conseiller financier qui a longtemps occupé des fonctions officielles au sein de l’organisme réglementaire de sa profession.
• À lire aussi: Fraude à l’investissement: une indemnisation historique pour des victimes
• À lire aussi: Procès de 150M$ contre Robert Giroux: Ponzi et transactions irrégulières, affirme un expert
Ce conseiller, Dany Bergeron, se présente sur LinkedIn comme professeur en assurances et services financiers au Collège Montmorency et à l’Institut Teccart, et ce, depuis janvier.
C’est sans compter que de 1998 à 2019, M. Bergeron a occupé diverses fonctions à la Chambre de la sécurité financière, y compris le poste de président du conseil d’administration (de 2011 à 2014).
Or, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a obtenu, l’an dernier, la suspension de son certificat d’exercice dans la foulée de la fraude touchant la firme montréalaise de services financiers Cape Cove, laquelle a eu cours de 2018 à 2021. L’AMF souhaite également infliger une amende de 75 000$ à Dany Bergeron.

«J'ai vraiment hâte de pouvoir présenter ma défense», a déclaré ce dernier au Journal vendredi, soutenant être en mesure de «contredire» la version de l’AMF dans ce dossier complexe.
Selon une décision rendue en juillet 2023 par le juge Christian Immer de la Cour supérieure, deux entreprises «liées» à M. Bergeron ont reçu plus de 180 000 $ provenant des sommes placées par des clients de Cape Cove.
Placements risqués
M. Bergeron faisait partie des conseillers financiers qui recrutaient des investisseurs pour Cape Cove. Ces placements faits sur le «marché dispensé» auraient dû s’adresser, en principe, à des investisseurs aguerris, mais chez Cape Cove, ils ont été vendus à des épargnants ayant souvent peu de connaissances financières.
«Est-ce qu’il devrait y avoir plus de réglementation? demande Claude Mathieu, professeur spécialisé en criminalité financière à l’Université de Sherbrooke. Quand on voit des cas comme ça, on se dit que oui, peut-être, mais d’un autre côté, on a quand même une partie du blâme à prendre comme individus. On ne fait pas nécessairement nos devoirs [quand vient le temps d’investir].»

Un investisseur floué a confié au Journal avoir fait confiance à Dany Bergeron parce que ce dernier était un bon ami avec qui il avait notamment voyagé.
«Ça fait des années qu’on travaille ensemble, a dit l’enseignant, qui a perdu 25 000$, sous le couvert de l’anonymat. Il m’a vraiment donné beaucoup de bons cues, mais [dans le cas de Cape Cove], il a impliqué quelqu’un qui était carrément un fraudeur.»
Condamné en 2006
Cette personne, c’est l’ex-financier Efstratios (Strato) Gavriil, qui utilisait le faux nom de Sean Gabriel. Brièvement propriétaire de l’Impact de Montréal en 2000, il a plaidé coupable à des accusations de fraude en 2006 et a écopé de 20 mois de prison avec sursis.
Pour Raymond Chabot Grant Thornton (RCGT), qui a passé plus d’un an à enquêter sur Cape Cove, M. Gavriil est «l’acteur principal et l’âme dirigeante» de la «fraude» Cape Cove, que le cabinet comptable qualifie de «stratagème à la Ponzi».
Dans une arnaque de ce genre, les placements des investisseurs plus récents servent à financer les rendements et les remboursements versés aux investisseurs antérieurs.
Promesses de rendements mirobolants, pressions indues de la part des représentants, commissions gonflées, absence de registres comptables, manque de transparence, informations trompeuses, prête-noms, nébuleuse de sociétés-écran: tout était en place pour réaliser une fraude à grande échelle.

Fonds dilapidés
Sur les 19,4 millions $ placés par les clients de Cape Cove, RCGT n’a réussi à récupérer que 1,6 million $, soit 8% du total. À peine 28% des sommes recueillies auprès des investisseurs ont servi à financer des entreprises légitimes, parmi lesquelles on compte Y Kombucha et Evah.
RCGT calcule que Strato Gavriil a empoché 1 million $ provenant des fonds des clients de Cape Cove. Nick Tzaferis, qui était vice-président aux opérations de la firme, a touché «directement ou indirectement» 2,9 millions $, selon les experts.
M. Gavriil «n’avait aucune autorité ayant pu lui permettre de participer à un stratagème de Ponzi et ne l’a pas fait», a insisté son avocat, Dominique Pion.
Pour l’instant, personne n’a été accusé au criminel. Jusqu’ici, seuls Robert Audet (PDG de Cape Cove) et Claude Dufour (vice-président exécutif de la firme) ont écopé d’amendes (55 000$ et 20 000$ respectivement) dans cette affaire.
Quelque 414 investisseurs québécois de Cape Cove, qui ont perdu entre 2000 $ et 453 000 $ chacun, auront droit à des indemnités totalisant 9,1 millions $ provenant du fonds d’indemnisation de l’AMF. Il s’agit du plus important déboursé à ce titre depuis le scandale Norbourg, qui avait entraîné des pertes de 130 millions $ en 2005.
Les quelque 200 clients de Cape Cove dans les autres provinces n’auront pas droit à ces indemnités.
Vous avez des informations à nous communiquer à propos de cette histoire?
Écrivez-nous à l'adresse ou appelez-nous directement au 1 800-63SCOOP.