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L'article provient de TVA Nouvelles
Justice et faits divers

Procès de 150M$ contre Robert Giroux: Ponzi et transactions irrégulières, affirme un expert

François Filion, juricomptable, a analysé le dossier des prêts fait à Stéphan Huot et estime que plusieurs transactions sont de type «fraude Ponzi»

Photo Agence QMI, archives, RENÉ BAILLARGEON
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Photo portrait de Pierre-Paul Biron

Pierre-Paul Biron

2024-06-15T04:00:00Z
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Le juricomptable mandaté par les millionnaires qui poursuivent Robert Giroux pour 150M$ en marge de la débâcle du Groupe Huot est catégorique: des transactions effectuées ont toutes les caractéristiques d’une chaîne de Ponzi, mettant en doute le fait que des investisseurs réellement avisés auraient injecté plus d’argent dans un tel modèle.

François Filion n’en est pas à son premier dossier majeur. L’expert de la firme KPMG avait notamment témoigné pendant plusieurs jours au procès de Vincent Lacroix, condamné pour le scandale Norbourg.

Selon son analyse, il est clair que certaines des transactions observées entre les sociétés de Robert Giroux, les fonds d’investissements privés Q-12 et FIISH ainsi que les entreprises de Stéphan Huot présentent «des caractéristiques de Ponzi».

Qu’est-ce qu’un stratagème de Ponzi?
«La fraude à la Ponzi consiste à prendre des sommes appartenant à un investisseur pour payer de faux rendements à d’autres investisseurs ou simplement pour rembourser les investisseurs qui veulent récupérer leur argent. Les fraudeurs peuvent ainsi donner une fausse impression que l’argent investi rapporte de bons rendements et qu’il n’y a aucun problème pour récupérer l’argent investi.» 
Source : Autorité des marchés financiers

De son analyse ressort le constat que l’empire Huot était déficitaire depuis quelques années et qu’il peinait ainsi à rembourser les intérêts qu’il devait aux investisseurs lui ayant consenti des prêts. Pour y pallier, Robert Giroux aurait ainsi sollicité d’autres injections de fonds auprès des millionnaires, argents neufs qui servaient selon l’expert à rembourser certains intérêts.

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«Ils recevaient l’argent de leurs intérêts, donc ils ont l’impression que la roue tourne. Sauf qu’ils recevaient l’argent rentré par les investisseurs», a expliqué lors de son témoignage le juricomptable.

Photo tirée du compte Linkedin de François Filion
Photo tirée du compte Linkedin de François Filion

Illusion de sécurité

Cette roue qui tourne, François Filion l’a qualifiée lors de son témoignage de «l’illusion» que tout allait bien pour le Groupe Huot et par le fait même, pour l’argent des investisseurs.

«C’est une illusion parce que ce ne sont pas des sommes qui étaient générées par les activités de Stéphan Huot», a indiqué le juricomptable. 

Au total, près de 120M$ ont été investis dans le prêt FIISH entre 2017 et 2022 pour financer les projets du Groupe Huot. Dans son analyse, M. Filion a déterminé qu’environ 11% de ce montant a servi à des transactions de type Ponzi, soit environ 10M$.

«C’est 6,9M$ d’intérêts aux investisseurs qui ont été payés à même leur argent d’investissement. Tous ces paiements-là gardent l’illusion que le système fonctionne», a insisté l’expert financier.

Et pour les prêts FIISH et Q12 regroupés, c’est 40M$ en transactions irrégulières qu’a déterrées ce dernier. 

Le chantier de l’une des phases du projet l’Ariela
Le chantier de l’une des phases du projet l’Ariela Photo Vincent Desbiens, Journal de Québec

S’ils avaient su

Ces manœuvres étaient nécessaires selon M. Filion pour garder le navire de Stéphan Huot à flot. Et comme l’illusion fonctionnait, personne n’a cherché plus loin lorsqu’est venu le temps d’injecter plus d’argent, plaident les demandeurs.

Mais les déficits eux, étaient bel et bien là. (Voir encadré ci-bas)

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Est-ce que le Groupe Giroux connaissait ces déboires? C’est la question qu’a posée à plusieurs reprises Me François Valin, avocat des demandeurs, à l’expert de KPMG.

«Bien oui, c’est sûr. Ce sont eux qui géraient le prêt et qui généraient une partie des revenus de frais du prêt», a exposé François Filion, relançant lui-même une question primordiale à toute cette affaire.

«Si les investisseurs savaient que c’était déficitaire dès le début, est-ce qu’il y aurait eu 58M$ de rajouté dans le fonds? Il faut se poser la question.»

Robert Giroux assurait lors de son témoignage avoir avisé les commanditaires de ce qu’il a qualifié de «problèmes de liquidités temporaires de Stéphan Huot». Les millionnaires, eux, ont témoigné être «tombés en bas de leur chaise» en apprenant la débâcle du Groupe Huot, qui a culminé sur une faillite provoquée par des dettes de plus d’un milliard de dollars.

Groupe Huot: des problèmes financiers chroniques selon l’expert

Si Robert Giroux a insisté à maintes reprises dans son témoignage sur le fait que les problèmes de Stéphan Huot n’étaient que «des difficultés de liquidités temporaires», l’expert de KPMG qui a analysé le dossier pour les investisseurs floués dresse un portrait tout autre.

«Pour moi, ce n’est pas temporaire du tout. C’était chronique, les difficultés financières [du Groupe Huot]», a répété à plusieurs reprises François Filion, juricomptable mandaté dans la poursuite de 150M$ contre Robert Giroux.

Depuis 2017

Selon l’analyse de l’expert, Stéphan Huot et ses sociétés connaissaient des difficultés depuis 2017 au niveau des liquidités. Pour y pallier, l’homme d’affaires a sollicité plusieurs prêts, pour des montants importants, qui venaient avec de hauts taux d’intérêt et des frais de gestions qui s’accumulaient.

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Photo STEVENS LEBLANC
Photo STEVENS LEBLANC

Entre 2017 et 2022, François Filion a expliqué que le Groupe Huot avait des obligations de 98,4M$ en intérêts et en frais sur ces prêts. Un montant largement supérieur à ce que rapportaient ses activités.

«C’est beaucoup d’argent. Quand tu considères que tes opérations immobilières génèrent 56M$, il y a un problème. Tu ne peux pas avoir moins de revenus que de dépenses», a décrit l’expert, précisant que ce qui était «non profitable» pour le Groupe Huot, c’est le poids que représentaient les obligations liées à ses nombreux prêts.

«Le prêt FIISH était extrêmement lourd dans l’opération de Stéphan Huot au niveau de sa rentabilité et de sa capacité à faire face à ses obligations.»

Partenariat Huot-Giroux: une profitabilité à sens unique

S’il fallait trouver une image pour illustrer l’effet qu’ont eu les prêts des fonds FIISH et Q-12, administrés par Robert Giroux, sur Stéphan Huot, une bouée de sauvetage à laquelle serait attachée une tonne de briques serait probablement la bonne.

Parce que les nombreux prêts qui permettaient à l’empire Huot de garder la tête hors de l’eau temporairement venaient avec des frais tels qu’ils ont fini par causer sa perte. Et Robert Giroux, lui, encaissait selon François Filion, juricomptable.

«Tout ça, c’est à l’avantage à 100% de Robert Giroux», conclut l’expert de la firme KPMG.

Selon ses calculs, 75% des revenus des différentes entreprises de Robert Giroux de 2017 à 2022 étaient attribuables au Groupe Huot, soit un montant de 71,8M$. De ce montant, 44M$ provenaient seulement de frais de dossiers, de services financiers, de gestion et d’administration des différents prêts.

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De 2017 à 2022, le patrimoine personnel de Robert Giroux et de ses sociétés aurait bondi de près de 50M$, majoritairement parce que le Groupe Huot était payant pour lui.

Photo tirée de la page Facebook de Robert Giroux
Photo tirée de la page Facebook de Robert Giroux

L’effet boule de neige

Plusieurs témoins ont parlé depuis le début du procès de 150M$ de l’effet boule de neige. On comprend maintenant que cette boule de neige s’est transformée en l’avalanche qui a englouti le Groupe Huot.

«La boule de neige, ce sont les montants d’intérêts», a expliqué l’expert juricomptable François Filion dans son témoignage la semaine dernière.

À mesure que les années ont passé et qu’il accumulait les déficits, Stéphan Huot n’avait d’autre choix que de souscrire à de nouveaux prêts pour poursuivre ses opérations. Et chacun de ses prêts venait avec de nouveaux intérêts et des frais de gestion et de services.

Plus les mois passaient, plus la boule de neige grossissait.

À terme, en 2022, Stéphan Huot devait en intérêts et en frais sur le prêt FIISH de 118M$ un total faramineux de 20M$ annuellement.

«Chaque frais qu’on ajoute, on vient diminuer la capacité de remboursement de Stéphan Huot», a conclu François Filion.

«Un jour, tout s’arrête.»

Défense à venir à l’automne

Le témoignage de François Filion cette semaine peut paraître accablant pour Robert Giroux, à qui le juricomptable attribue une part de responsabilité dans la débâcle du Groupe Huot et les pertes qui en ont découlé pour les millionnaires ayant prêté d’importantes sommes. Mais les avocats de l’homme d’affaires feront entendre à l’automne leur propre expert.

Luc Marcil, juricomptable pour la firme LMD, a abattu le même boulot que son homologue, mais pour les défendeurs. Évidemment, ses conclusions risquent fort bien d’être différentes.

En contre-interrogatoire, Me Sylvain Rigaud, avocat de Robert Giroux, a mentionné à quelques reprises que «l’on verrait à l’automne». Une fraude à la Ponzi? «On croit que c’est erroné, mais on va le plaider à l’automne», a-t-il souligné.

Le procès de 150M$ est prévu pour un total d’environ six semaines, trois ce printemps et trois autres à l’automne. Robert Giroux a répliqué avec une contre-poursuite de 25M$.

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