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L'article provient de Bureau d'enquête

10 ans d’enquêtes: le bordel avant le bordel informatique

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Photo portrait de Jean-Nicolas  Blanchet

Jean-Nicolas Blanchet

2023-04-15T04:00:00Z
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Jamais je n’aurais pu imaginer à quel point notre gouvernement (donc nous tous) s’est fait entuber avec les dépenses en informatique.  

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Pendant que nos écoles s’écroulent, que nos routes sont détruites et que nos enfants n’ont pas de place en garderies, les milliards de dollars en argent public (3 G$ par année) ont toujours été au rendez-vous, fidèles au poste, pour nourrir de monstrueux projets informatiques désastreux et subtilement, dans les faits, gérés par le privé. 

Quand la direction du Journal a décidé qu’il fallait se pencher attentivement sur les dépenses informatiques du gouvernement, on a vite réalisé qu’on avait ouvert un énorme couvercle.  

On m’a approché à la fin de 2012. J’avais 24 ans. On veut me confier un poste au Bureau d’enquête qui est en train d’être créé. Wow, quelle opportunité, si jeune.  

Mais il y avait un os dans le pudding. Le domaine sur lequel je devais enquêter : les dépenses informatiques, qu’on a décidé de baptiser le bordel informatique.  

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Mission impossible ? 

Ma formation universitaire est en droit. Je ne connaissais rien dans ce domaine. Personne au Québec n’avait vraiment été à temps plein sur ce type de journalisme. C’est compliqué. Ça n’intéresse pas grand monde. Est-ce que j’avais accepté une mission impossible pour moi ? 

Je faisais semblant que tout était beau et que j’étais très confiant, mais j’étais terrorisé. Je me retrouvais aux côtés de grands journalistes que j’ai toujours admirés. Donc, je portais des vestons au bureau pour avoir l’air au-dessus de tout ça.  

Évidemment... c’était catastrophique au départ. Je multipliais les rencontres avec des sources et j’appelais partout. Ça ne donnait rien. Personne ne voulait me parler.  

Le reste du Bureau d’enquête multipliait les coups de circuit avec des pages frontispices sur le génie-conseil, les transports et les politiciens louches. 

  • Écoutez l'enrevue de Richard Martineau avec Jean-Louis Fortin, directeur du Bureau d'enquête de Québecor sur QUB radio :

Sauce spaghetti 

Moi, j’étais dans mon monde. Personne ne comprenait ce que je faisais. Je ne publiais jamais. Ce que je proposais était pourri. Dans quoi m’étais-je embarqué ? 

Même ma mère se demandait ce qui se passait avec moi et me suggérait de m’envoyer des plats de sauce spaghetti.  

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J’ai publié deux textes dans les deux premiers mois. Deux textes dans le fin fond du Journal.  

Mon boss ne me parlait pas vraiment. Je sentais la soupe chaude. Je me demandais s’il était sur le bord de me virer de l’équipe. 

Et là, je ne sais pas ce qui s’est produit, mais tout a déboulé.  

Un bon sujet, puis un autre, puis un reportage publié en première page, et c’est parti.  

Ça avait pris cinq mois de marasme, et là, j’avais des scandales à écrire pour environ deux ans. Je me suis mis à avoir des sources partout. Des gens qui n’avaient jamais eu le crachoir en avaient soudainement un et ils en avaient des choses à dire. 

D’ailleurs, c’était spectaculaire à quel point plein de monde, de grands bonzes de firmes privées, espérait que je sois un idiot pour me manipuler et faire avancer leurs intérêts avec un reportage. L’un d’eux a d’ailleurs été arrêté par l’UPAC. 

Durant cinq ans (je me suis joint à la direction par la suite), mes reportages ont conduit à l’annulation de plusieurs appels d’offres de millions de dollars, des démissions et des changements dans la gestion des technologies de l’information au gouvernement. En 2015, le gouvernement libéral avait annoncé un ménage informatique en saluant la mise au grand jour de scandales rédigés avec notre section « Bordel informatique ».  

La politique s’en fiche

Ce qui a été fascinant au fil de ces années, ç’a été de constater à quel point la plupart des politiciens n’y connaissaient rien ou s’en fichaient, car ça semblait trop compliqué. Ce n’était pas sexy. Pourtant, c’est fou l’argent qu’on y perd. Et c’est probablement pour ça qu’on s’est fait avoir et que l’on continuera de se faire avoir. On ne connaît pas ça, donc on paie quelqu’un d’autre qui connaît ça pour le faire à notre place. Et c’est là que la porte s’ouvre pour les milliards de dollars.  

Et malheureusement, la fin du bordel informatique ne semble pas être pour demain, quand on voit encore les nombreux dérapages, dont le dernier à la SAAQ. 

Des coûts pharaoniques 

Contrat indécent

Le privé était devenu tellement important en informatique pour le gouvernement qu’un employé d’une firme privée coûtait 2355 $ par jour. Il a été retiré de son poste après notre reportage.  


Échec retentissant

Le projet SAGIR est un des plus retentissants échecs du gouvernement en informatique. La version initiale devait coûter 83 M$. C’était rendu à 1,2 G$ au moment de ce reportage.   


Windows 2000 en 2017

Ce reportage a bien exposé le manque d’organisation dans les ministères, alors qu’en 2017, plusieurs fonctionnaient encore avec Windows 2003, et même 2000, même si la version 2016 était achetée. 

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