Victime de la violence d’un pasteur: excédé par la lenteur du système


Kathryne Lamontagne
Désabusé par les lenteurs du système judiciaire, un homme victime de châtiments corporels par un pasteur a demandé d’être retiré comme requérant de l’action collective initiée contre son agresseur.
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« Je veux en finir avec ces procédures-là. Je ne suis plus capable. Je n’attendrai pas de perdre ma femme, ma fille et ma vie à cause des procédures. Je ne passerai pas ma vie là-dedans », lance Josh Seanosky, qui dénonce la « guerre d’usure » dans laquelle il est empêtré.
Au cours des dernières semaines, notre Bureau d’enquête a fait état de plusieurs lacunes dans le système judiciaire, dont l’explosion des délais aux petites créances ainsi que la pénurie de personnel dans les palais de justice.
L’univers des recours collectifs n’est pas en reste. L’augmentation du nombre d’actions collectives ainsi que les délais préoccupent le juge en chef de la Cour supérieure, qui demande l’intervention de l’État (voir autre texte plus bas).
Sept ans dans le système
Pour M. Seanosky, l’attente est devenue trop lourde à porter. À bout de souffle et irrité par une divergence d’opinions avec ses avocats, il a demandé il y a huit mois de ne plus être corequérant de l’action collective exercée contre le pasteur Claude Guillot.
« J’ai eu la réflexion : je suis en train de couler. Je n’irai pas sauver les autres si je ne suis pas capable de m’occuper de moi-même. C’est beau se battre, mais un moment donné, ça use », résume le père de famille de 28 ans.
Il s’est échappé en 2014 de l’école clandestine du pasteur baptiste, à Québec, où il était pensionnaire. De 8 à 21 ans, il a subi de multiples sévices physiques et psychologiques imposés par celui qui devait l’éduquer. Depuis, il navigue dans l’appareil judiciaire.
Le dossier au criminel traîne depuis sept ans. Guillot a été reconnu coupable en avril dernier, mais il est toujours en attente de sa peine.
En parallèle, le recours collectif s’étire depuis 2018. Bien qu’il ait trouvé un remplaçant, M. Seanosky attend de pouvoir tourner la page sur ce dossier. Hier encore, le tribunal a pris sa demande de retrait en délibéré.
« C’est complètement ridicule. On étire la sauce. C’est pour ça que je veux sortir de là ! » peste le jeune homme.
Lettre au ministre
Ce sentiment est partagé par Jean Simard, qui représente les quelque 600 victimes alléguées d’agressions physiques et sexuelles qui auraient été perpétrées à l’orphelinat du Mont d’Youville, à Québec. L’action collective a été déposée en 2018 et autorisée en 2020.
Les parties se sont donné rendez-vous de façon virtuelle au tribunal à quelques reprises, mais rien n’avance, déplore celui qui qualifie ces séances de « cirque » et d’« avocasseries ».
« On n’a même pas de date de procès. Ils veulent nous interroger avant le procès [...]. Ils nous pointent, nous, comme étant des manipulateurs et des menteurs. On est réagressés par notre agresseur. C’est ce que je vis à chaque audience », déplore M. Simard.
Excédé par la situation, l’homme de 60 ans a tenu une manifestation devant l’Assemblée nationale au début du mois de mai et a écrit au ministre et procureur général du Québec, Simon Jolin-Barrette, en avril, pour le sensibiliser à la situation. En vain.
Une importante machine à profits pour les avocats

Les actions collectives sont en constante croissance et peuvent devenir des « centres de profits pour les avocats », prévient le juge en chef de la Cour supérieure, qui demande au législateur d’agir pour améliorer la situation.
En moyenne, 54 recours collectifs ont été initiés au Québec, chaque année, jusqu’en 2016. Ce nombre est grimpé à 70 lors des deux années suivantes, selon un rapport préparé à l’intention du ministère de la Justice.
Avec cette augmentation viennent indéniablement des délais.
« Pour moi, la justice devrait être rendue presque en temps réel. Les années d’attente, je trouve ça long », lance l’honorable Jacques R. Fournier.
S’il salue les recours qui octroient une véritable réparation par des montants substantiels aux victimes ou aux consommateurs floués, le juge en chef doute cependant de la pertinence des procédures civiles qui visent des « indemnisations minimes pour des millions de personnes ».
Pour la population
D’autant plus que dans ce type de dossiers, les avocats ramassent la plupart du temps des centaines de milliers de dollars, alors que chaque participant du recours, lui, ne touche parfois qu’une poignée de dollars.
« Des fois, on peut se poser des questions sur certains de ces recours-là. Une occasion de faire de l’argent, ce n’est pas ça le droit. [...] Le système n’est pas fait pour profiter aux agents du système. Il est fait pour profiter à la population », insiste le juge Fournier.
Plus de pouvoirs
Pour contrer cette tendance, les juges devraient pouvoir déterminer si une action collective est contraire aux intérêts de l’administration de la justice.
Cela permettrait d’éviter d’en venir à un règlement qui ne profiterait qu’aux firmes d’avocats ou aux associations de consommateurs, d’après le magistrat.
L’État peut agir en ce sens, rappelle le juge Fournier.
Le ministère de la Justice a lancé le 1er juin 2021 des consultations publiques concernant des perspectives de réforme de l’action collective au Québec.
Le ministère n’a pas donné suite à nos questions.
LE PIED SUR L’ACCÉLÉRATEUR
La Cour supérieure à Montréal a mis en place en 2018 une chambre des actions collectives. Les juges qui y siègent sont spécialisés en la matière et se rendent rapidement disponibles pour entendre les demandes d’autorisation des dossiers, étape première pour qu’un recours puisse aller de l’avant.
« Ça, ça fonctionne très très bien. C’est au-delà de mes espérances. [...] Mais ça coûte cher. Quand les juges font ça, ils ne font pas autre chose », analyse le juge en chef de la Cour supérieure, Jacques R. Fournier.
Les dossiers peuvent désormais être entendus en quelques mois, alors qu’il fallait jadis des années. Une fois que les actions sont autorisées toutefois, elles se retrouvent dans la « machine régulière » et subissent les mêmes délais.
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