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L'article provient de Le Journal de Montréal
Affaires

Un détaillant de bières québécoises a de la broue dans le toupet

Le franchiseur Tite Frette en arrache et cause la perte de millions de dollars à des franchisés

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Photo portrait de Julien McEvoy

Julien McEvoy

2023-11-20T05:00:00Z
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Le marché de la bière vit sa crise d’adolescence au Québec. Rien de mieux pour l’illustrer que le détaillant Tite Frette et ses nombreux franchisés en faillite, qui ont perdu plus de 2 millions $ en 18 mois.

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«Les gens boivent moins. L’industrie est en difficulté», reconnaît Karl Magnone, patron du franchiseur de Granby. 

L’homme d’affaires sait de quoi il parle. En 18 mois, son réseau de 53 boutiques spécialisées en bière de microbrasserie locale a fondu de moitié. 

Tite Frette est un franchiseur qui ne possède aucun magasin. Au moins 13 franchisés ont fait faillite depuis avril 2022, pour des dettes accumulées de 2 057 212$.

Dix autres propriétaires de boutique viennent de se désaffilier de l’enseigne. 

«Je ne peux rien vous dire», a tout de suite répondu au Journal une de celles-là, Valérie Lamoureux, de Saint-Jérôme, quand nous l’avons jointe au téléphone. 

Karl Magnone est connu dans le milieu pour envoyer beaucoup de poursuites et de mises en demeure, affirment six sources au fait du dossier. 

«Je n'ai pas la gachette facile pour les mises en demeure. J'en ai envoyé une seule et unique», répond le principal intéressé. 

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Il reconnaît avoir envoyé des «avis de mise en défaut» – de vraies poursuites – à des franchisés pour bris du contrat de franchise. 

De nombreux franchisés en faillite – des jeunes familles, surtout – refusent de parler aux médias en raison de l’accord de non-divulgation qu’ils ont signé avec Tite Frette. 

Les bonbons ou la sortie

Cette baisse de 43% des magasins Tite Frette – de 53 à 30 – ne sort pas de nulle part. Les Québécois boivent moins depuis qu’ils subissent l’inflation.

«Mes ventes ont chuté de 30%. Avant, les clients prenaient un 4-pack, là, c’est deux canettes», raconte le proprio de l’ex-Tite Frette de Rosemont, à Montréal. 

Philippe Boehm est devenu indépendant le mois dernier quand Tite Frette a offert à tout le monde de quitter l’enseigne.  

Philippe Boehm a lancé une franchise Tite Frette à Rosemont, à Montréal, en 2021. Il fait maintenant cavalier seul sous le nom Le Ravitailleur à la suite de sa désaffiliation du réseau.
Philippe Boehm a lancé une franchise Tite Frette à Rosemont, à Montréal, en 2021. Il fait maintenant cavalier seul sous le nom Le Ravitailleur à la suite de sa désaffiliation du réseau. Photo Julien McEvoy

La volonté de se diversifier du franchiseur de Granby l’a mené à s’associer avec les bonbons Sugar Daddy’s. L’Alsacien, qui s’est lancé dans la bière en 2021, n’avait pas envie de vendre des bonbons. 

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«Je vais tenter de me diversifier dans d’autres choses», propose le patron du Ravitailleur – son nouveau nom –, lui qui vend déjà beaucoup de bouffe locale. 

Chez Tite Frette, on pense avoir trouvé une façon de se maintenir à flot avec la double franchise aux identités distinctes. Les bonbons d’un côté, la bière de l’autre. 

«Ça amène plus de clients en magasin. Les ventes augmentent d’au moins 50%, le projet-pilote est un succès», jure Karl Magnone.

Un contrat béton 

Oui, les ventes ont baissé, avoue Nicolas Ratthé, de l’association des détaillants de bières spécialisés du Québec (DBSQ).

«Il faut appeler un chat un chat. Le marché local vit une crise d’adolescence et va éventuellement grandir», illustre l’homme qui dirige aussi la boutique Au Vent du Nord, à Sherbrooke, depuis 21 ans.

Mais les points de vente de Tite Frette, qui ne fait pas partie de la DBSQ et qui existe depuis 2018 seulement, ont poussé comme des champignons, avec comme engrais la pandémie. 

Puis boum, le retour à la normale a été brutal. 

«Ils nous ont vendu du rêve avec de faux chiffres non vérifiés», accusent trois franchisés en faillite dont nous tairons les noms pour leur éviter des problèmes. 

Tite Frette oblige par exemple ses franchisés à vendre des produits en exclusivité. «Ces produits-là ne se vendaient souvent pas et devaient compter pour 15% de notre budget, alors que dans les faits, c’était plus entre 22% et 30%», raconte un ex-franchisé. 

La moyenne des dettes des 13 franchisés en faillite atteint 158 000$. 

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Le franchiseur demande au moins 25 000$ – voire bien davantage – pour ouvrir une boutique. La vente se fait au moyen d’un contrat de 100 pages. 

Le Journal a consulté une copie du document.

Lorsqu’un franchisé tombe en faillite avec des dettes de 424 546 $, comme c’est le cas à Mont-Saint-Hilaire, Tite Frette peut tout de même lui réclamer 25 000$ pour bris de contrat.

C’est ce qu’on lit dans l’article sur les effets de la fin du contrat. L’entreprise l’a d’ailleurs réclamé à de nombreux franchisés en faillite, ce qui a eu le don de soulever leur ire. 

Dans un autre article, on remarque qu’il n’y a pas de limite fixée à la caution du franchisé : il est personnellement responsable face au franchiseur. Même si le franchisé est une corporation dotée d'une personnalité juridique distincte de l'entrepreneur qui a acheté la franchise, cet entrepreneur devient responsable de toutes les obligations du franchisé.

Il est même prévu qu'en cas de faillite du franchisé, la caution devienne le nouveau franchisé. Il est aussi prévu que la caution soit responsable des futurs engagements que prend le franchisé (renouvellement ou amendements du contrat).

8% des ventes

Quand les ventes se sont mises à chuter, en 2022, Tite Frette a embauché Gildor Roy et Michel Barette à gros prix comme porte-paroles. 

Les franchisés, qui devaient donner 8% de leurs ventes au franchiseur, tombaient alors comme des mouches. 

Dès que quelqu’un émettait un commentaire négatif sur les réseaux sociaux, Karl Magnone envoyait une demande de retrait sous peine de poursuite, disent nos six sources. 

 «Non. C'est arrivé une fois, il y a très longtemps», dit le chef de Tite Frette. 

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