Un site névralgique de notre filière électrique, lieu d’action d’un espion
Le CEETSE est notamment reconnu pour ses travaux sur les systèmes de stockage

Martin Jolicoeur
Deux ans après l’affaire Karim Zaghib, qui aura fait grand bruit, le Centre d’excellence en électrification des transports et en stockage d’énergie (CEETSE) d’Hydro-Québec redevient le centre de l’attention.
• À lire aussi - Espion chinois arrêté chez Hydro-Québec: une menace de plus en plus inquiétante
C’est au cœur de ce lieu, d’ordinaire sans histoire, en bordure de l’autoroute 30 à Varennes, que le chercheur Yuesheng Wang, 35 ans, qui a été arrêté lundi, œuvrait depuis quatre ans avec le dessein présumé d’en faire profiter la République populaire de Chine.

Le CEETSE est une composante majeure de l’Institut de recherche d’Hydro-Québec, qui est communément connu sous l’acronyme IREQ.
Chercheurs de 18 pays
Regroupant autrefois un millier de travailleurs, ce dernier embauche aujourd’hui 400 à 500 employés — des techniciens, doctorants et chercheurs, pour la plupart.
De ce nombre, quelque 120 professionnels de recherche, originaires de 18 pays, appartiennent spécifiquement au Centre d’excellence en électrification, reconnu à travers le monde pour ses travaux parmi les plus avancés sur le développement des véhicules électriques et les systèmes de stockage.
De concert avec les laboratoires de recherche de l’Armée américaine et de l’Université Berkeley, notamment, le Centre cherche à faire avancer la connaissance du secteur et en développer des applications technologiques.
Ses travaux, notamment sur les batteries avancées au lithium-ion et les batteries solides, ont d’ailleurs déjà donné lieu à un important volume de brevets et publications.
• À lire aussi: Hydro a déjà signé une entente de licence avec une société chinoise
Plusieurs avancées majeures
Une de ses fiertés concerne le développement d’une anode en lithium ultramince, pouvant être intégrée aux batteries toute solide. Elle a l’avantage, dit-on, de pouvoir être adaptée à des matériaux de cathode et de faire chuter les coûts de production, un défi majeur pour l’industrie.

Le chercheur de renommée internationale, Karim Zaghib, a d’ailleurs longtemps été associé à ce centre. Trois ans après sa fondation, M. Zaghib a étrangement été relevé de ses fonctions en 2020 pour occuper de nouvelles fonctions à Investissement Québec qu’il n’occupe plus depuis.
Directeur général du CEETSE
Hier, M. Zaghib n’a pas donné suite à nos demandes d’entrevue (voir texte ci-dessous). Pas plus d’ailleurs que son successeur, Pierre-Luc Marcil, devenu directeur général du CEETSE.
- Écoutez la rencontre Foisy - Bureau diffusée chaque jour en direct 8 h 05 via QUB radio :
Le patron... au Japon
De fait, tandis que des failles de sécurité majeures du centre de recherche en électrification des transports faisaient l’objet d’une conférence de presse de la GRC hier à Montréal, il appert que son directeur général se trouvait au Japon, à tenter de tisser des liens avec des chercheurs asiatiques, nous a confirmé Hydro-Québec.
En entrevue il y a un an, M. Marcil affirmait au micro de Cogeco avoir pour objectif de créer une batterie deux fois « plus puissante » et « moins coûteuse » que celles que l’on retrouve actuellement sur le marché. Après être parvenu à un partenariat avec Mercedes pour les batteries d’autobus, ce dernier se disait à la recherche d’une collaboration similaire dans l’industrie automobile.
« On est sur le b... [bord], on n’est pas loin d’une solution, disait-il. Comme plusieurs autres centres de recherche, au monde, qui cherchent la même chose que nous. On est en compétition mondiale. On est sur le point de trouver une solution qui fonctionne, qui serait commercialisable [...]. »
Trop tard?
M. Marcil s’exprimait ainsi en novembre 2021... Six mois plus tard, soit en mai 2022, des premiers soupçons envers le chercheur Yuesheng Wang, entraînait la révocation de tous ses accès au CEETSE, soutient Hydro-Québec.
Trois mois après, en août, Hydro-Québec informait la police de la situation qui mena finalement en novembre -encore 3 mois plus tard- au congédiement et à l’arrestation pour espionnage de M. Wang.
Étais-ce trop tard? Un chose est sûre, le jour où la GRC put finalement lui passer les menottes aux poignets, le chercheur Wang était déjà à l’embauche d’Hydro-Québec depuis... 2018.
– Avec la collaboration de Francis Halin et David Descoteaux
Le CEETSE en bref
Centre d’excellence enélectrification des transportset en stockage d’énergie
- Fondé en 2017
- Regroupe 72 laboratoires
- 120 professionnels de recherche
- 2003 brevets dans 27 pays
- Une composante de l’Institut de recherche d’Hydro-Québec (IREQ)
Source : CEETSE
Mais où est Karim Zaghib ?
Impossible lundi de joindre Karim Zaghib, le principal architecte du CEETSE d’Hydro-Québec, théâtre d’une importante affaire d’espionnage mise au jour par la GRC.
À l’instar de son actuel DG (Pierre-Luc Marcil), M. Zaghib brillait par son mutisme hier alors qu’on apprenait que Yuesheng Wang, un des chercheurs du Centre de recherche qu’il a mis sur pied, fait officiellement face à des chefs d’accusation en lien avec des activités d’espionnage.
M. Wang, un chercheur de nationalité chinoise, a été embauché par Hydro en 2018, soit un an après la création du CEETSE. Est-ce que M. Zaghib, alors qu’il était à la tête du centre, aurait été le recruteur de ce chercheur inculpé aujourd’hui ?
Silence total
Questionné sur le sujet, M. Zaghib n’a pas donné suite à notre message. Ce dernier est également demeuré silencieux lorsque questionné sur sa connaissance de M. Wang, chercheur que l’on retrouve aux côtés de M.Zaghib, sur nombre de brevets enregistrés par le CEETSE au cours des dernières années.
Silence également à nos questions visant à connaître si l’enquête de la GRC, dévoilée hier à propos d’un des chercheurs du centre de recherche qu’il dirigeait, avait quelque chose à voir avec son départ soudain du Centre de recherche en juin 2020?
On se rappellera qu’à la surprise générale, ce dernier avait été démis de ses fonctions puis nommé conseiller stratégique d’Investissement Québec. Or, Le Journal révélait que 18 mois plus tard, le 16 décembre 2021, M. Zaghib quittait déjà ses fonctions chez IQ, non sans avoir d’abord lancé aux États-Unis, sa propre entreprise dans le secteur des batteries au lithium-ion.
M. Zaghib n’a pas rappelé Le Journal pour dissiper les doutes à ce propos. Hydro-Québec a répondu pour sa part que le départ de M. Zaghib à l’époque n’était pas lié à quelque activité d’espionnage au CEETSE.
–Avec Philippe Langlois, du Bureau d’enquête
Vous avez des informations à nous communiquer à propos de cette histoire?
Vous avez un scoop qui pourrait intéresser nos lecteurs?
Écrivez-nous à l'adresse ou appelez-nous directement au 1 800-63SCOOP.