Ukraine: «C’est le désastre absolu» à Kharkiv

Martin Lavoie
Dès 5h ce matin les roquettes russes sont tombées sur Kharkiv et ont pris ses habitants par surprise. Après les bouchons, l’essence maintenant manque pour ceux qui voudraient fuir, laissant les gens en quête d’un abri sous les tirs incessants, un «désastre absolu».
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Kharkiv, deuxième plus grande ville d’Ukraine avec son million et demi d’habitants, n’est située qu’à 30 km de la frontière russe.
La ville se trouve également à l’intersection des régions du Louhansk et du Donets où l’armée russe mène depuis 2014 des opérations de support à des milices séparatistes dans ce qui est appelé la guerre du Donbass.
«Jusqu’à aujourd’hui, il ne se passait rien ici (en lien avec ce conflit)» a répondu Alexander Volkov, contacté alors qu’il se trouvait dans un abri avec son fils, sa femme et huit autres membres de la famille ou amis.
«Les tirs viennent de Belgorod en Russie. Ils ont commencé à 5h ce matin exactement», ajoute-t-il.
Dans des vidéos que lui ou de ses amis ont fait parvenir au Journal, les explosions peuvent être vues ou entendues alors que le soleil n’est pas encore levé.
«La cible semblait être la base militaire, mais j’ai rencontré des témoins qui ont vu une maison être détruite», a expliqué M. Volkov.
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Coincés
Au son des bombardements, le père de famille est allé acheter des provisions et des médicaments dès 6h du matin. Des files étaient déjà présentes devant les commerces qui ont ouvert plus tôt, mais ont fermé depuis.
Comme bien des édifices de Kharkiv, celui où travaille Alexander Volkov est muni au sous-sol d’un abri où il s’est réfugié. Ces édifices ont été construits tout juste après la Deuxième Guerre mondiale durant laquelle la ville avait été en grande partie détruite.
Les beaux-parents de M. Volkov ont tenté de quitter Kharkov en voiture tôt ce matin.

«Il y avait tellement de voitures qu’ils n’ont pu faire que 50 km en six heures. Maintenant les stations sont à court d’essence. Les gens abandonnent leurs voitures sur le bord de la route. C’est le désastre absolu», dit-il.
Une source a indiqué au Journal que la même situation prévalait à Kiev.
«Nous voulions aussi quitter, mais avec ce que l’on voit, on a décidé de rester. Nous allons voir comment se déroule la nuit et nous prendrons une décision demain», ajoute celui qui partage son abri avec quatre enfants.
«Les gens qui ont des enfants ont tenté ou vont vouloir quitter la ville. Les autres, peut-être la moitié des adultes, vont rester pour se battre», assure-t-il.
Alexander Volkov ne pourra cependant quitter le pays si cette option est retenue par sa famille.
Après avoir mobilisé les hommes de 18 à 60 ans à l’intérieur d’une période de 90 jours, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a en fin de soirée donné l’ordre que cette catégorie de citoyens ne puisse quitter le pays.
Le monde averti
Le sentiment anti-russe, déjà fort présent, galvanise les Ukrainiens affirme M. Volkov.
Ce dernier réagit un peu brusquement lorsque la question sur ce que peut faire le reste du monde pour aider l’Ukraine lui est posée.
«Ça a commencé il y a huit ans», lance-t-il en référence à l’intervention des Russes dans le Donbass et à l’invasion de la Crimée.
«Tous les politiciens (des autres pays) ont été avertis que ce qui se passe maintenant allait se produire et rien n’a été fait. Nous avons été laissés à nous-mêmes. Gloire à l’Ukraine», conclut-t-il
Apeurée
Oksana Ortiz Salinas, qui vit à Kherson, à proximité de la frontière avec la Crimée, a aussi fait part de sa surprise.
«C’est vraiment beaucoup de peur ici. [...] Je me suis réveillée et j’ai entendu quatre coups de feu et j’ai senti le tremblement de l’édifice où j’étais», a-t-elle témoigné à LCN ce matin.

«Tout le monde en parle, mais personne ne pense que [la guerre va avoir lieu]. On a été beaucoup surpris», a expliqué cette femme dont le conjoint vit au Québec.
L’Ukrainienne compte rester avec son enfant dans la résidence de ses parents, malgré l’arrivée des soldats russes à Kherson.
«Je ne sais pas où aller, les frontières sont fermées et il y a beaucoup de soldats, alors la situation n’est pas facile pour rester ici, mais pour s’enfuir non plus», a-t-elle avancé. «On doit choisir entre nos vies et notre patrie.»
Les hélicos fondent sur Kiev
L’armée russe n’a mis que quelques heures à prendre le contrôle de l’aéroport militaire d’Antonov à Gostomel, aux portes de la capitale ukrainienne, Kiev.
Les forces russes sont arrivées les portes des hélicoptères grandes ouvertes, tirant en rafales à la mitraillette avant de descendre en rappel, ont raconté des témoins à l’AFP.

«Il y avait des gens assis dans les hélicoptères, les portes ouvertes, qui survolaient nos maisons», raconte aux abords de l’aéroport Serguiy Storojouk, sacs de voyage à la main, fuyant la zone l’air hagard.
«Les hélicoptères sont arrivés et ensuite les combats ont commencé. Ils utilisaient des mitrailleuses, des lance-grenades», ajoute-t-il.
Complicité du Bélarus
L’essaim d’hélicoptères russes est arrivé en fin de matinée depuis le Bélarus, frôlant les toits des maisonnettes et semant la terreur sur sa route vers la capitale Kiev, a constaté une journaliste de l’AFP.
L’aéroport de Gostomel se trouve immédiatement à la limite nord de Kiev, et les combats qui s’y déroulent sont les plus proches de la capitale au premier jour de l’invasion russe.
Selon Olexandre Kovtonenko, un civil de 30 ans vivant à proximité, ils étaient appuyés par deux avions de chasse qui ont tiré des missiles sur des unités terrestres ukrainiennes au début de l’assaut.
«Puis il y a eu des tirs, ça a duré trois heures», témoigne t-il auprès de l’AFP. «Ensuite, trois autres avions sont arrivés et ils ont recommencé à tirer.»
Forces en retrain
Puis, les soldats russes sont tombés du ciel, relate Mykola Chymko, chauffeur de taxi qui fait la navette depuis la matinée dans la zone.
«Deux hélicoptères volaient derrière moi et tiraient sur le côté de la route», relate-t-il.
«Ensuite, je suis revenu et je vois environ 100 personnes. Et je vois que leurs uniformes ne sont pas les nôtres».
Les soldats et parachutistes portaient des brassards blancs et aussi un insigne rayé orange et noir, celui de Saint-George, qui les identifie comme russes.
Plusieurs fois par heure les forces armées ukrainiennes et les forces russes croisent les tirs d’artillerie. Après le bruit sourd des tirs, une fumée noire stagne dans le ciel gris.
Le président Volodymyr Zelensky a dit espérer que les forces russes soient rapidement encerclées et détruites.
Mais dans le périmètre rapproché de l’aéroport, les forces ukrainiennes sont restées peu visibles, ont constaté des journalistes de l’AFP.
Plusieurs colonnes de char ukrainiens manoeuvraient à couvert dans les bois, surgissant parfois en file sur la route principale, embouteillée dans la direction de Kiev par ceux qui fuient, déserte dans la direction des combats.
Quelques unités de protection de la défense civile sont apparues sur le bord de la route fusils et pelles à la main.
Civils en déroute
La station-service du carrefour a été assaillie par les automobilistes, espérant un dernier plein d’essence avant la fuite.
À vélo, à pied ou en tentant de faire du stop, provisions et sac de voyage à la main, certains habitants errent le long de cette route.
À Gostomel, Ludmyla Klimova, qui tremble comme une feuille entre chaque explosion, marche aussi mais ne sait plus où aller ni quoi faire.
«La base fume là-bas, elle a été bombardée, nos maisons sont à proximité. Nous ne savons pas où courir, mes parents sont ici, ma sœur», dit-elle sur la placette du village.
«Les troupes russes sont là, un de mes amis vit là-bas, et les Russes ont déjà approché sa mère avec une mitrailleuse», dit-elle avant de raconter, qu’hier encore, son petit village sans histoire grouillait de vie.
Et surtout n’était pas tombé aux mains de l’ennemi.
– Avec l’Agence QMI et l'AFP