«Le privé est rendu normalisé»: trois fois plus de jeunes médecins tournent le dos au réseau public québécois depuis 6 ans
La grande majorité d’entre eux sont des médecins de famille

Héloïse Archambault
Le nombre de jeunes médecins qui ont tourné le dos au réseau public a pratiquement triplé depuis six ans au Québec, une perte d’effectifs que le gouvernement veut éviter en leur interdisant d’aller au privé dans les cinq premières années de leur pratique.
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Pas moins de 193 jeunes médecins du Québec qui pratiquent depuis moins de cinq ans s’étaient désaffiliés de la Régie de l’assurance-maladie du Québec (RAMQ) en date du 13 janvier dernier, montrent les données obtenues par Le Journal.
Il s’agit d’un bond de 192% depuis 2019. C’est beaucoup plus que la hausse globale de médecins qui ont quitté le public (84%). La grande majorité des jeunes médecins concernés sont des omnipraticiens (79%).
Médecins qui ont quitté le réseau public selon l’expérience:
- Moins de 5 ans: 193
- Entre 6 et 10 ans: 106
- Entre 11 et 15 ans: 113
- Entre 16 et 20 ans: 66
- Entre 21 et 25 ans: 83
- Entre 26 et 30 ans: 68
- Entre 31 et 35 ans: 41
- Entre 36 ans et 40 ans: 73
- 41 ans et plus: 105
- Total: 848
Source: RAMQ, 13 janvier 2025
«Ça nous inquiète depuis longtemps, avoue Dre Isabelle Leblanc, présidente du Regroupement des médecins québécois pour le régime public (MQRP). Le privé est rendu normalisé. Les résidents reçoivent plein d’offres des compagnies privées. Il y a des vins et fromages, [il] y a plein de choses pour les attirer.»

Depuis 2019, le nombre total de médecins qui ont quitté la RAMQ a presque doublé, mais il représente encore un faible pourcentage (3,6%) des 23 269 médecins au Québec.
Médecins qui ont quitté le réseau public:
- 2025: 848
- 2024: 777
- 2023: 666
- 2022: 543
- 2021: 487
- 2020: 470
- 2019: 460
NDLR: au 31 mars de chaque année, excepté pour 2025 (13 janvier)
Source: RAMQ
Horaire flexible, choix de la région de pratique, plus de temps: plusieurs raisons sont évoquées par les jeunes médecins pour tourner le dos au public. En décembre dernier, le ministre de la Santé, Christian Dubé, a annoncé vouloir obliger les jeunes docteurs à travailler cinq ans au public. S’ils refusent, ils s’exposent à des amendes allant jusqu’à 100 000$ par jour.
Une formation en médecine peut coûter jusqu’à 790 000$ aux contribuables, indiquait récemment le gouvernement.
«S’il y a des gens pour qui la pratique publique, ce n’est pas important ou ça ne fait pas partie de leurs priorités ou de leurs valeurs, j’aimerais mieux prendre le deuxième ou le troisième pour être certain qu’on a les bonnes personnes», évoquait le ministre Dubé.
Les syndicats s’opposent
Cette mesure est vivement dénoncée par tous les syndicats de médecins. Le MQRP croit que si les jeunes médecins sont barrés pour cinq ans, les cliniques vont simplement recruter des médecins plus âgés.
«Il faut faire quelque chose de drastique. Ce qu’il faut, c’est arrêter le privé pour tout le monde, mettre le Québec sur pause, souligne Dre Leblanc. Le projet de loi actuel sous-entend qu’après cinq ans, les médecins peuvent faire ce qu’ils veulent.»
«On ne défend pas le droit des médecins d’aller travailler au privé. [...] On s’oppose parce qu’on a peur des conséquences inattendues qui affaiblissent le réseau public, réagit Dr Ghassen Soufi, président de l’Association des médecins résidents du Québec. Ça envoie un très mauvais message de la manière dont on valorise le système de la santé.»
Selon un récent sondage, la Fédération des médecins étudiants du Québec évoque que 57% de ses membres envisagent de poursuivre leurs études (résidence) hors Québec si le projet de loi est adopté.
Plusieurs raisons peuvent expliquer une désaffiliation du réseau public en général: exode au privé, retraite, déménagement dans une autre province. La RAMQ ne peut estimer quel pourcentage de médecins vont travailler au privé dans le lot.
Par ailleurs, des centaines de médecins (surtout des spécialistes) profitent des deux systèmes et font le va-et-vient du public au privé plusieurs fois dans l’année.