Seulement trois excès de vitesse ont été punis en un an près de l'école de la petite Mariia
Des données obtenues par notre Bureau d'enquête démontrent que les policiers surveillaient très peu la vitesse dans le quartier
Dominique Cambron-Goulet
Les policiers ont très peu sévi contre les automobilistes délinquants aux abords de l’école Jean-Baptise-Meilleur dans l’année précédant le décès de la jeune Mariia Legenkovska, décernant à peine trois constats pour vitesse excessive
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Comme si ce n’était pas assez, les trois seules contraventions de 2022 pour avoir dépassé la limite de vitesse en zone scolaire ont été données lors d’une seule matinée de surveillance, le 8 septembre, entre 7h55 et 8h33.
Cela faisait alors 363 jours que les policiers du poste de quartier (PDQ) 22 n’avaient pas sévi pour un excès de vitesse près de l’une des sept écoles de leur territoire, révèle une analyse de notre Bureau d’enquête.
Trois mois plus tard, Mariia, 7 ans, qui fréquentait l’école Jean-Baptiste-Meilleur, perdait la vie.

«C’est inacceptable et assez choquant, lance Carl St-Denis, cofondateur du Comité de la rue Fullum. Ça fait neuf ans que j’habite sur la rue Fullum et ça a toujours été problématique pour la vitesse tant près de Jean-Baptiste-Meilleur que plus bas, près de l’école Champlain.»
Blessures mortelles
Pendant cette période, ailleurs sur l’île, les forces de l’ordre distribuaient 7429 contraventions pour ce même délit.
«La vitesse est une des premières causes des blessures graves et mortelles. Plus on est frappé à haute vitesse, notamment chez les enfants, moins on a de chance de survivre», rappelle la professeure à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), Marie-Soleil Cloutier.
C’est d’ailleurs pour cette raison que la limite vitesse est fixée à 30 km/h dans les zones scolaires.
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Bon an mal an, la vitesse excessive représente autour de 40% de toutes les infractions observées en zone scolaire, révèlent les données du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).
En 2022, sur le territoire couvert par le PDQ 22, c’était 0,4%.
Cyclistes et piétons visés
Pendant leurs opérations de surveillance des zones scolaires avant le décès de la fillette de 7 ans, les agents de ce PDQ ont pénalisé plus souvent:
- Des cyclistes circulant sur le trottoir (23).
- Des cyclistes portant des écouteurs (9).
- Des piétons traversant la rue alors que c’est interdit (5).
«On entend qu’il y a un manque d’effectifs pour faire des opérations sur la sécurité, mais de voir ça démontre que les priorités ne sont pas à la bonne place», juge le porte-parole du Collectif: apaisement pour Sainte-Marie, Christopher McCray.
Carl St-Denis invite le SPVM a «revoir ses priorités». «Ce sont des vies qui sont en jeu et on en a perdu plusieurs dans notre quartier», déplore-t-il.
La directrice générale de Piétons Québec, Sandrine Cabana-Degani, se désole qu’il y ait une «normalisation des petits excès de vitesse».
Selon un rapport de l'Association des directeurs de police du Québec (ADPQ) publié lundi, 71% des conducteurs dépassent les limites de vitesse près des écoles et des parcs.
«C’est important qu’il y ait une présence policière et que comme conducteur, on ait l’impression qu’on ne peut pas aller au-delà de la vitesse affichée, parce qu’on peut se faire prendre», juge-t-elle.
Pour maintenir ce sentiment en permanence, il faut miser sur des radars photo, croit-elle.
«Aux abords des écoles, ça pourrait contribuer à avoir une surveillance plus uniforme», dit Mme Cabana Degani.

Moins sévères qu’en 2021
Les agents du PDQ 22 ont puni bien moins d’infractions autour de l’école Jean-Baptise-Meilleur en 2022 qu’en 2021.
Au total, 79 infractions ont été punies pendant les opérations de surveillance des zones scolaires dans les 11 mois et demi précédant le décès de Mariia Legenkovska, en décembre.
C’est 40% moins qu’en 2021 (124 contraventions) et à peine plus qu’en 2020 (74 contraventions), une année pourtant marquée par trois mois d’école à distance.
Des 79 constats décernés, seulement 27 l’ont été pour des infractions faites par des automobilistes en mouvement. Pas moins de 48 concernent des stationnements ou immobilisations interdits.
Le SPVM a refusé par deux fois nos demandes d’entrevue sur les données qu’il nous a fournies, tout en affirmant que «la sécurité routière est une priorité».
«La circulation routière peut varier grandement d’un poste de quartier à un autre, en fonction de certains facteurs, tels que le volume de la circulation, la vitesse permise dans le secteur, le nombre d’écoles, l’aménagement des lieux, la présence de mesures d’atténuation, etc.», juge le service de police.
Selon Marie-Soleil Cloutier, directrice du Laboratoire Piétons et Espace urbain, les contraventions ont un effet «à très court terme sur les comportements des usagers de la route.
«La présence à la rentrée a un effet, mais ça réduit considérablement après ça. La peur du conducteur de se faire attraper, il faut qu’elle soit là tout le temps pour qu’il y ait un effet sur le long terme», dit-elle, plaidant aussi pour des radars photo près des écoles.
Selon la responsable du dossier des transports au sein de l'administration Plante, Sophie Mauzerolle, il faut «agir en coercition, mais aussi en prévention».
« Suite au drame épouvantable qu'on a vécu en décembre, on a accéléré la transformation de nos milieux de vie. C'est plus de 110 dos d'âne qui seront ajoutés dans Ville-Marie », indique la consillère du district où se trouve l'école Jean-Baptiste-Meilleur.
Une seule intersection très surveillée

Les agents du poste 22 ont concentré beaucoup d’efforts à une seule intersection dans le quartier en 2022, démontre l’analyse effectuée par notre Bureau d’enquête.
Entre janvier et novembre, les policiers ont puni 265 virages à droite sur la rue Larivière depuis l’avenue De Lorimier, près de l’école secondaire Pierre-Dupuy. Cela représente le tiers de toutes les infractions en zone scolaire.
Le Collectif: apaisement pour Sainte-Marie s’est justement formé il y a un an à cause des enjeux de sécurité à cette intersection, relate Christopher McCray.
«Ça montre bien qu’un panneau d’interdiction, ce n’est pas suffisant. Récemment, le SPVM a fait une opération à cette intersection le soir. Il y avait tellement de délinquance que l’agent a dû bloquer physiquement les automobilistes», raconte-t-il.
En plus de ces nombreuses infractions, les policiers ont passé la bonne majorité de leur temps à:
- Sévir contre 113 stationnements interdits devant l’école primaire Marguerite-Bourgeoys;
- Sanctionner 46 stationnements illégaux près de l’école Saint-Anselme;
- Sévir contre 26 cyclistes n’ayant pas fait un stop au coin de Logan et Fullum;
- Intercepter 23 cyclistes roulant sur le trottoir de Papineau devant l’école primaire Garneau;
Une tragédie qui fait bouger les choses

Depuis le décès de Mariia Legenkovska, la surveillance accrue et l’ajout de nouvelles interdictions de virage ont fait exploser le nombre de contraventions près de l’école Jean-Baptiste-Meilleur.
Pas moins de 80 constats ont été donnés entre la mi-décembre et la fin mars à moins de 250 mètres de l’école, dont 15 pour de la vitesse excessive.
De plus, 30 automobilistes ont aussi été punis non loin de là, au coin des rues Hochelaga et Fullum, n’ayant pas respecté une nouvelle interdiction de virage à droite, ajoutée depuis décembre.
« Dans les derniers mois, le SPVM a particulièrement intensifié ses efforts afin d'envoyer une message fort aux récalcitrants: la vitesse excessive et le non-respect du code de la sécurité routière n'ont pas leur place dans nos quartiers montréalais », défend Sophie Mauzerolle.
«C’est frustrant de voir que ça a pris un décès et qu’on est en mode réaction avec ce genre de chose, juge Christopher McCray. Même avec l’augmentation des opérations [policières] dans les derniers mois, les comportements dangereux sont constants dans le quartier.»
Plusieurs vidéos ont circulé récemment sur les réseaux sociaux montrant des dizaines de conducteurs délinquants bravant une interdiction de virage à gauche au coin des rues Parthenais et de Rouen, endroit exact du tragique accident.
Après leur publication, rapidement des policiers sont venus, raconte M. McCray.
«La présence se fait plus remarquer depuis le décès de Mariia, constate aussi Carl St-Denis. Mais est-ce qu’on cible les bonnes choses, la question se pose encore.»
Et chez vous?
Voyez le portrait des constats d’infraction décernés près de votre école.