Travail au noir: des migrants recrutés en plein centre-ville
Nora T. Lamontagne et Erika Aubin
Des demandeurs d’asile qui ont travaillé illégalement pour Jean Lemay disent avoir d’abord été recrutés dans un parc près de leur hébergement temporaire à Montréal, sous le nez des autorités responsables.
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Arturo* raconte s’être fait approcher en espagnol par l’un de ses compatriotes alors qu’il tuait le temps au parc Émilie-Gamelin au printemps dernier avec d’autres migrants.
«Le gars nous a dit: “si ça vous intéresse, el patrón a du travail pour vous”», se rappelle le Mexicain, qui tait son vrai nom par peur de représailles.
L’offre consistait à travailler pour Jean Lemay, un agriculteur de Saint-Jude aujourd’hui soupçonné par les services frontaliers d’avoir mis sur pied un véritable réseau de travailleurs étrangers au noir, raconte-t-il. Son témoignage concorde avec celui d’autres ex-employés.
Selon notre source, le rabatteur José Ángel Cortes Mendoza aurait fait miroiter un emploi – même sans permis de travail – aux demandeurs d’asile intéressés. Plusieurs logeaient à la Place Dupuis, en face du parc.
Une cible facile
Les 1150 lits de cet hôtel reconverti et du YMCA Atwater sont gérés par le PRAIDA via le CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal.
Or, notre Bureau d’enquête a découvert que les abords de ces centres sont devenus un terrain fertile pour des recruteurs peu scrupuleux.

En été, il n’est pas rare de voir des petits groupes de demandeurs d’asile prendre l’air dans les environs, constituant une cible facile.
«Évidemment que les gens ne restent pas enfermés toute la journée à l’hôtel, ils vont se promener. Et c’est là que les recruteurs en profitent», constate Viviana Medina, organisatrice communautaire au Centre des travailleurs et travailleuses immigrants (CTI).
«On sait qu’il y a beaucoup de gens qui se font approcher, surtout en soirée. C’est quelque chose qui nous préoccupe», ajoute-t-elle.
Pour sa part, Cortes Mendoza nie avoir recruté des travailleurs pour Jean Lemay dans les parcs montréalais. «Je travaille seulement pour Jean [Lemay] comme chauffeur», a affirmé l’homme au téléphone. «Et je leur dis tout le temps que travailler sans permis est un délit très grave.»
Pressés de s’intégrer
Le PRAIDA, lui, affirme être au courant du phénomène, tout en soulignant ses possibilités limitées d’intervention.
«Nous n’avons pas de pouvoir sur la place publique. Nous ne pouvons qu’informer nos usagers et travailler en partenariat avec le SPVM en cas de besoin», écrit le porte-parole Barry Morgan. Des ateliers sur les droits du travail sont régulièrement à l’horaire, ajoute-t-on.
Mais pressés de se trouver un hébergement plus stable et de gagner leur vie en attendant un permis de travail, certains migrants sont particulièrement à risque de se faire avoir, croit la directrice générale du Carrefour en ressources en Interculturel, à Montréal.
«Ces personnes ne veulent pas être dépendantes de l’aide sociale, elles veulent contribuer, s’intégrer et être autonomes. Et elles acceptent ce genre de travail parce qu’elles ne connaissent rien de mieux», se désole Veronica Islas.
Le CTI a accompagné deux ex-travailleurs qui ont porté plainte à la CNESST contre José Ángel Cortes Mendoza, que plusieurs identifient comme le bras droit de Jean Lemay. Ils allèguent avoir été harcelés psychologiquement et ne pas avoir été payés.
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