Tragédie sur Dufferin-Montmorency: témoignages déchirants d’une famille brisée
Pierre-Paul Biron | Journal de Québec
Décimés, mais forts et unis dans le drame, les proches des quatre personnes fauchées par un chauffard en septembre dernier sur l’autoroute Dufferin-Montmorency ont témoigné mardi des conséquences de la tragédie sur leur vie, qui «ne sera plus jamais la même».
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La charge émotive était telle que le juge Jean-Louis Lemay a pris la parole d’entrée de jeu pour rassurer les familles présentes pour les observations sur la peine de l’accusé, Éric Légaré.
«Le tribunal est là pour vous écouter. [...] Si je peux faire quelque chose pour vous aider dans le cadre de votre témoignage, n’hésitez pas», a insisté le magistrat, sensible à la difficulté de l’exercice.
Menotté dans le box des accusés, Éric Légaré est apparu amaigri et ébranlé par moment. L’homme a semblé affecté par le récit des conséquences des décisions fatales qu’il a prises le 2 septembre 2021.
Emma Lemieux, 10 ans; son frère, Jackson Fortin, 14 ans; leur mère, Shellie Fletcher-Lemieux, 44 ans; et leur grand-père James Fletcher, 68 ans, ont tous péri dans l’accident causé par le chauffard, en état d’ébriété après un après-midi dans un bar de Saint-Roch.
«Important pour leur mémoire»
Les témoignages ont permis de mieux connaître ces quatre vies envolées trop vite, cernant du même coup «l’abîme» qui s’est creusé dans la vie de leur famille. «Je devais le faire pour les honorer», a confié après-coup Jean-Dominic Lemieux, le père d’Emma et conjoint de Shellie.

Jackson était «le petit clown de la famille», «un rayon de soleil» amoureux de football et de musique. Le garçon, sensible et généreux, «ne laissait personne derrière».
«C’est un petit gars qui n’avait pas de gangs, il avait toute la gang», a témoigné son père, Daniel Fortin, qui a expliqué s’être fait tatouer un dessin fait par son fils en insérant dans l’encre une petite partie des cendres de ce dernier. «Il est imprégné en moi à vie, dans ma peau».
Quant à Emma, «la bienheureuse», elle avait déjà l’esprit entrepreneurial malgré son jeune âge. «Elle cueillait des fleurs et allait les vendre aux voisins du quartier», a relaté, un sourire dans la voix, son père, Jean-Dominic Lemieux, qui a aussi perdu son roc dans l’accident, sa conjointe des 12 dernières années, Shellie.
«C’est elle qui s’assurait que tout roulait rondement», a-t-il ajouté avec émotion.

Le père de Shellie, James Fletcher, avait quant à lui pris sa retraite deux semaines à peine avant l’accident. Il avait travaillé dur toute sa vie dans l’industrie minière du Cape Breton pour subvenir aux besoins de sa famille et il était maintenant excité de passer du temps en famille et d’avoir finalement la chance d’assister à un match de football de Jackson.
«Ils ont plutôt été fauchés par un missile sous l’influence de l’alcool et de la drogue», a déploré dans un touchant témoignage David Fletcher, le frère de Shellie.
Traces majeures
Une telle tragédie laisse évidemment des traces, et ce, à bien des niveaux. Jean-Dominic Lemieux s’est dit marqué par l’image des portes d’ascenseur qui se ferment alors que l’on emportait Emma, puis Jackson, pour le don d’organes qui allait marquer le point final à leur trop courte vie.
«Quand la porte s’est fermée, je lui ai dit: "adieu, mon amour, je t’aime. Va sauver des vies". [...] Et la scène s’est répétée le lendemain avec Jackson», a raconté le père de famille, saluant les 10 vies sauvées par les enfants.
Sans vouloir s’étendre sur sa vie depuis l’accident, l’homme a confié au passage avoir été forcé de vendre la maison familiale, tout simplement incapable de l’habiter sans les siens.
De son côté, le père de Jackson, Daniel Fortin, mélomane et sportif, a confié n’avoir tout simplement plus envie de s’adonner à ce qui occupait sa vie avant qu’il ne perde son fils.

«Je ne suis plus capable parce que je le faisais avec Jackson. Ça me fait trop de peine», a témoigné avec beaucoup de solidité le père de l’adolescent qui aurait eu 15 ans le mois dernier.
Disant lutter encore aujourd’hui contre des idées suicidaires, l’homme de 46 ans a remercié son entourage, «qui ne le lâche pas d’une semelle». «Je ne serais plus ici sans eux», a-t-il admis, ravalant des sanglots.
Trois cousines des jeunes victimes et une amie de la petite Emma ont aussi présenté de touchantes lettres au tribunal mardi, tout comme d’autres membres de leur famille.
La rencontre Gibeault-Pettersen avec Nicole Gibeault, juge à la retraite
Témoignage des parents de l’accusé
Éric Légaré avait plaidé coupable en décembre dernier à la kyrielle d’accusations qui pesaient contre lui, 19 au total, dont quatre de conduite en état d’ébriété causant la mort. L’homme aujourd’hui âgé de 44 ans n’en était pas à sa première infraction en la matière, lui qui avait déjà été condamné dans une histoire de conduite avec les facultés affaiblies en 2017.
Les observations sur la peine se poursuivront mercredi alors que l’on devrait entendre les témoins de la défense, dont les parents de Légaré. Ce dernier pourrait aussi témoigner.
Les avocats des deux parties présenteront ensuite leurs avis sur la peine avant que le juge ne prenne la cause en délibéré le temps de fixer la sentence.
Extraits des témoignages
- «Le pire cauchemar, ce n’est pas celui qu’on fait lorsqu’on rêve parce que ceux-là se terminent quand on se réveille. Le pire cauchemar, c’est de croire que rien de tout ça ne s’est passé, qu’on est entouré de notre famille et que lorsqu’on se réveille, c’est le silence complet. Qu’il n’y a plus personne autour de nous.» – Jean-Dominic Lemieux, père d’Emma, beau-père de Jackson, conjoint de Shellie et gendre de James Fletcher.
- «M. Légaré, vous nous avez tous condamnés à une sentence à vie. [...] À Noël, vous avez probablement pu parler à votre famille, entendre leurs voix. Moi, tout ce que j’ai, ce sont des urnes à la maison.» – Anne-Marie Fletcher, conjointe de James, mère de Shellie et grand-mère de Jackson et Emma.
- «Le soir du 2 septembre 2021, j’ai reçu un appel de mon fils qui m’a glacé le sang dans les veines et qui restera à jamais dans ma mémoire. [...] À partir de ce moment, ma vie n’a plus jamais été la même.» – Éric Fortin, grand-père paternel de Jackson.
- «Quand ils ont fait le test de respiration pour voir s’il respirait par lui-même, ça a été les 15 minutes les plus longues de ma vie. Je ne suis pas croyante, mais ces 15 minutes-là, je les ai priées pour qu’il me revienne.» – Gabrielle Bonneville, cousine de Jackson Fortin.