Témoignage de Marie-Claude Veilleux, belle-sœur de Suzanne Clermont, victime de Carl Girouard: conséquences
Marie-Claude Veilleux
***Voici le texte intégral du témoignage poignant qu’a livré Marie-Claude Veilleux, belle-sœur de Suzanne Clermont, victime du tueur du Vieux-Québec, Carl Girouard, devant le tribunal***
Bonjour, Monsieur le Juge, et merci de me donner l’occasion de m’exprimer sur les conséquences que le crime a eues sur les proches de Suzanne Clermont.
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Devant pareil crime, le plus sérieux prévu par la loi, exécuté de façon barbare et avec une brutalité inqualifiable, il est difficile de savoir par où commencer.
J’ai été présente à chacune des journées du procès parce que j’avais besoin de savoir ce qui était arrivé à ma belle-sœur Suzanne, mais surtout j’avais besoin de comprendre pourquoi tout cela s’était produit. Bien que je puisse comprendre que les admissions faites favorisent un procès rapide qui ne se concentre que sur les véritables questions litigieuses, il m’a été pénible de voir comment le sort des victimes a été évacué des débats.
Je souhaite profiter de ce moment pour dire à monsieur Girouard qui était Suzanne Clermont, celle qu’il a sauvagement abattue de multiples coups de katana à la tête principalement, un katana dont la lame faisait 70 cm, faut-il le rappeler. L’image est effroyable et dévastatrice.
Vous êtes dans mon dos, monsieur Girouard, et je ne peux pas vous voir, mais j’espère que vous ne faites pas comme vous avez fait tout au long du procès. J’espère que vous ne vous mettez pas les doigts dans les oreilles en vous balançant pour simuler un trouble quelconque.
Je vous demande de m’écouter, monsieur Girouard. Vous devez entendre ce que j’ai à vous dire. Ce sera peut-être pour vous la première étape vers une possible réhabilitation.
Sachez que j’ai écouté avec douleur et effroi le témoignage de la pathologiste qui a décrit dans le menu détail comment, avec votre épée, vous avez charcuté ma belle-sœur. Vous lui avez tranché le cerveau, mais d’abord, vous lui avez sectionné une partie de la main gauche. C’est mon beau-frère Jacques qui a dû ramasser ce morceau. Un pouce, un index et le majeur. Vous lui avez tranché la tête au-dessous des yeux, pratiquement de bord en bord. C’est mon beau-frère Jacques qui a dû désespérément essayer de replacer sa tête ensemble dans l’espoir utopique de la sauver.
On nous a rapporté que vous l’avez frappée encore et encore pour qu’elle cesse de crier. Imaginez-vous un instant, monsieur Girouard, la douleur et la nausée pour nous, ses proches. Suzanne a perdu la vie d’une façon atroce et barbare et vous en êtes l’unique responsable. Vous vous êtes attaqué à une petite dame de 4 pieds et 11, et 93 lb, sans défense sur le pas de sa porte, sournoisement, en lui bondissant dessus tel un prédateur face à sa proie. Suzanne n’a vraiment eu aucune chance en sortant fumer une cigarette au moment où vous descendiez la rue des Remparts pour continuer à semer la mort, son sort était scellé. J’imagine sa terreur! Vous avez souillé notre paisible vieille ville et terrorisé ses citoyens.
Suzanne était une femme bonne et bienveillante, vaillante, généreuse, sociable, joviale et rieuse. Elle habitait le Vieux-Québec depuis toujours. Pour certains, le Vieux-Québec est une destination touristique de choix, pour d’autres, une carte postale. Mais le Vieux-Québec a aussi une âme, celle de ses résidents, et c’est en partie pour ça que la vieille ville est si belle. Suzanne a toujours contribué à rendre cette ville si belle, si accueillante. Elle parlait à tout le monde, elle accueillait avec son sourire et sa bonne humeur les visiteurs qui s’arrêtaient devant sa fenêtre aux multiples petits carreaux blancs de cette curieuse adresse du 3 3⁄4 des Remparts. Elle se réunissait avec ses voisins dans un petit parc qui porte aujourd’hui son nom. Rares sont les secteurs de la ville où règne une aussi belle vie de quartier et c’était beaucoup grâce à elle.
Suzanne était une travailleuse autonome, elle passait de longues heures, debout, à coiffer sa fidèle clientèle. Elle rendait ses clientes heureuses et fières, elle les embellissait tout comme elle embellissait le monde dans lequel nous vivons.
Depuis quelques années, elle consacrait son réveillon de Noël à servir des repas aux plus démunis et infortunés de la ville qui se réunissaient à Lauberivière les 24 et 25 décembre.
Suzanne était généreuse et n’avait aucune malice. Contrairement à vous, Suzanne aimait la vie.
Vous souhaitiez, semble-t-il, un monde où les gens se saluent et se parlent. Votre victime faisait exactement cela, et ce, plus que quiconque.
Ça ajoute une couche d’absurdité à vos gestes déjà absurdes.
Suzanne était un actif pour la société. J’ignore si un jour vous allez en devenir un, mais dans l’intervalle, vous avez un immense passif à rembourser.
Vous avez choisi de joindre les rangs du tristement club sélect des tueurs de masse, et je le dis dans le sens le plus péjoratif et ignoble du terme.
Vous allez rejoindre les Anders Breivik, Brenton Tarrant et Alexandre Bissonnette de ce monde. Bissonnette, lui, a choisi d’assumer ses responsabilités, et j’attends toujours l’expression de l’ombre d’un remords de votre part. J’ignore si vous allez le faire lorsque le juge vous offrira de prendre la parole avant de vous imposer la peine que vous méritez.
Sachez que mon beau-frère a dû être hospitalisé durant une semaine après avoir été témoin d’une partie de l’horreur que vous avez laissée dans votre sillage. Il a dû être suivi en psychothérapie plusieurs mois pour aujourd’hui pouvoir à peine garder la tête hors de l’eau. Sa vie est en dents de scie. Les militaires les plus aguerris et les mieux entraînés reviennent parfois avec un syndrome de choc post-traumatique après avoir été exposés à semblable horreur, imaginez comment le commun des mortels peut s’en remettre. Vous vous en êtes remis dans les heures sinon les minutes qui ont suivi votre carnage. Jacques a vieilli de 10 ans suite à vos actes monstrueux, il m’apparaît normal que vous soyez enfermé pour les 25 prochaines années au minimum et j’ose espérer qu’on saura bien évaluer le danger que vous représentez pour la société avant de penser vous accorder une libération conditionnelle. Il ne faudrait pas que l’histoire d’Eustachio Gallese se répète!
Nous vivons dans une société extraordinaire. Une société dans laquelle la très vaste majorité des membres respectent le contrat moral et social, mais aussi le code de valeurs qu’est le Code criminel. Une société qui cherche à limiter le plus possible les injustices. Une société qui offre un système de santé gratuit et qui fait de son mieux pour ne jamais laisser personne derrière.
On vous a offert cette aide, vous avez été référé en santé mentale. Vous avez choisi de tourner le dos à cette société et à l’aide qu’elle souhaitait vous offrir.
Vous avez choisi de vous complaire dans vos complexes et votre mésadaptation sociale. Vous avez choisi de vous réfugier dans vos macabres jeux vidéo et nourrir votre haine de cette belle société qui est la nôtre. Vous vous êtes déshumanisé en vous désensibilisant à la violence et à la valeur d’une vie humaine. Vous méprisez les membres de cette société en les qualifiant de moutons. Si être une honnête citoyenne, respectueuse des lois, fait de moi un mouton, laissez-moi vous dire, monsieur Girouard, que je préfère de loin être un mouton.
Le juge va bientôt vous mettre à l’écart de la société pour une très longue période de temps et vous méritez chaque jour que vous aurez à purger. Il y aura un loup de moins dans la bergerie et vous serez enfermé dans un lieu où il y a un certain nombre de loups comme vous. Vous souhaitiez un monde dans lequel il faut se battre pour survivre, vous serez sans doute bien servi. Je souhaite que vous utilisiez ce temps pour réfléchir à tout le mal que vous avez fait, de vous l’approprier et d’en assumer l’entière responsabilité. Vous avez l’obligation de travailler sur l’ensemble de vos troubles de personnalité et d’assumer tout le tort qui vous revient.
Mais pour cela, il vous faudra emprunter un chemin très difficile vers l’introspection, et cela, on l’aura bien compris, n’est pas la voie que vous avez choisie pour vous illustrer jusqu’à maintenant. Il vous faudra cesser de blâmer le mauvais Carl pour vos actes monstrueux, abandonner le mécanisme de clivage que vous avez adopté jusqu’ici pour vous dédouaner de votre côté obscur, il vous faudra accepter que vous êtes le mauvais Carl.
Dans l’intervalle, notre monde sera un peu plus sûr en vous sachant neutralisé et à l’écart. La ville, comme la vie, va reprendre ses droits...
Et Suzanne pourra peut-être reposer en paix.

Marie-Claude Veilleux, belle-sœur de Suzanne Clermont, victime de Carl Girouard • À lire aussi: Reposer en paix