Sophie Tal Men raconte l’histoire d’un homme incapable de parler après un AVC mais qui a encore des choses importantes à dire dans son nouveau roman
Les cœurs silencieux


Marie-France Bornais
Écrivaine aussi empathique que talentueuse, la neurologue française Sophie Tal Men invite ses lecteurs à découvrir l’univers de Pedro, un homme qui perd la parole à la suite d’un AVC, dans son nouveau roman, Les cœurs silencieux. Pedro prend alors conscience de tout ce qui lui reste à dire. Sarah, sa belle-fille d’un second mariage, lui offre d’être sa voix et de partir à la recherche de ses fils, perdus de vue depuis plusieurs années.

Entre la Bretagne et Lisbonne, deux régions qui lui sont chères, Sophie Tal Men raconte une émouvante histoire de réconciliation, de paix et de pardon. Les cœurs silencieux rappelle l’importance des mots et l’importance de dire les choses quand c’est le temps.
«J’aime bien parler de médecine dans mes histoires», dit Sophie Tal Men en entrevue. «C’est mon univers. C’est vrai que je suis partie de mes patients, qui sont atteints d’aphasie très marquée, où il n’y a même pas un son qui sort. Je vois l’angoisse dans leurs yeux. Je vois qu’ils ont peur de ne pas pouvoir communiquer les choses qu’ils ont tardé un peu à dire. C’est là que le personnage de Pedro est né.»
«Je voulais créer un personnage qui gardait plein de secrets, et qui se retrouve dans cet état, avec l’urgence de renouer avec ses proches et avec les gens qu’il aime et dont il s’est éloigné.»
Des vagues d’émotions
La période d’écriture a été exigeante au niveau émotif. «C’est toujours exigeant. Je pleure quand j’écris. La scène où Tomas se retrouve en face de son père, à l’hôpital, dans le coma, et qu’il arrive à lui parler, quand je l’ai écrite, je pleurais, et dès que je la relisais, je pleurais. Je me suis dit: “Allez, je suis vraiment dans l’histoire!”»
«Dès que j’écris une histoire, je passe par plein d’émotions. Et c’est ça, la magie de l’écriture.»
L’écriture diffère de son travail de neurologue. «Je dois avoir du recul, je dois gérer mon empathie, je dois avoir un certain masque. Je suis une hypersensible donc régulièrement, j’ai la larme à l’œil.»
C’est quelque chose qui ne se voit pas forcément, ajoute-t-elle, mais qui est régulier. «Écrire ce genre d’histoire permet aussi de me mettre dans la peau de mes patients et comprendre aussi ce qu’ils peuvent ressentir. Je comprends certaines choses en écrivant.»
Le sentiment d’être invulnérable
La vulnérabilité dans laquelle le personnage de Pedro se retrouve est celle de tous ses patients, en face des soignants. «Quand on le touche, quand on lui met ses capteurs, au début il est très surpris. Il s’y habitue, mais c’est quelqu’un qui est très pudique.»
Sophie Tal Men trouvait intéressant que Pedro soit un homme qui a fait attention à son corps, à sa santé, qui est sportif, qui va bien et qui est en pleine forme, mais qui est quand même frappé par un AVC.
«Il a le sentiment d’être invulnérable: rien ne va lui arriver. Et ça, je le vois chez mes patients. Le couperet tombe, ils sont invalidés et ils sont complètement décontenancés. Ils n’avaient pas du tout projeté ça, forcément: ils se sentaient invincibles.»
Un long parcours
Pedro, au cours d’un long et difficile cheminement, doit accepter sa condition, se reconnecter avec ses émotions et aller au-devant de ses proches.
«C’est quelqu’un de maladroit, qui a eu une enfance meurtrie, mais quelqu’un de très attachant: il a plein d’amour à donner. Et plein de regrets. Ces gens qui n’arrivent pas à communiquer m’intéressent.»
Les cœurs silencieux
Sophie Tal Men
Éditions Albin Michel
Environ 340 pages
- Sophie Tal Men est écrivaine et neurologue.
- Ses huit romans parus depuis 2015 s’inspirent de son quotidien à l’hôpital.
- Elle a publié les best-sellers La Promesse d’une île, Des matins heureux, Là où le bonheur se respire, Va où le vent te berce.
- Elle habite en Bretagne (France).
- Elle a de la parenté au Québec.
«Jusqu’à ce jour, Pedro n’avait jamais remarqué à quel point les bruits environnants paraissaient amplifiés quand on était seul, muré dans son propre silence – un vacarme confus, rapide, énergique, terrifiant. À quel point les mots pesaient plus lourd quand on ne pouvait répliquer. N’avait-il pas éprouvé le même sentiment de vulnérabilité à son arrivée en France il y avait plus de quarante ans? Quand il ne maîtrisait pas encore bien la langue et devait se faire une place dans cette société. Mais là, c’était différent. Il comprenait tout ce qu’on lui disait, c’était son propre langage qui déraillait.»
- Sophie Tal Men, Les cœurs silencieux, Éditions Albin Michel
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