Décès de Norah et Romy Carpentier: le rapport du coroner écorche une Sûreté du Québec débordée et orgueilleuse
Le coroner Luc Malouin soulève dans son rapport plusieurs manquements dans les décisions du corps policier lors de l’opération de juillet 2020

Pierre-Paul Biron
«Trop peu, trop tard.» C’est en ces termes durs à l’endroit de la Sûreté du Québec et de ses opérations de recherche que se résume le rapport du coroner Luc Malouin sur le décès de Norah et Romy Carpentier, survenu en juillet 2020.
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Après 19 jours d’enquête publique, 51 témoins et 713 pièces déposées en preuve, Me Luc Malouin a rendu public mardi matin son rapport d’enquête sur le meurtre de Norah et Romy, tuées par leur père, Martin Carpentier.

Pour le coroner, il apparaît clair que la direction de la Sûreté du Québec a mal évalué la situation et a peiné à mettre en place des mesures pour maximiser les chances de retrouver les fillettes en vie après l’accident «qui a fait basculer» leur père le soir du 8 juillet 2020.
«Dans les instances hiérarchiques de la SQ, on a oublié la notion d’urgence de la situation. [...] Des enfants sont probablement quelque part dans le bois sans eau ni nourriture. Il est urgent de les retrouver», martèle Luc Malouin, estimant que «la hiérarchie policière doit se questionner sérieusement sur son modèle d’intervention en cas d’urgence.»
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Maximiser les chances
Dans son rapport de 85 pages, le coroner relève de nombreux éléments qui, s’ils avaient été traités différemment, auraient pu changer les choses.
Parce que si la SQ avait conclu dans les semaines suivant le drame qu’au matin du 9 juillet, une douzaine d’heures après la sortie de route, tout était joué, le coroner voit les choses d’un autre œil.

«Je crois que M. Carpentier est passé à l’acte vers la fin de la journée [du 9] devant le constat de l’impasse dans laquelle il se trouvait», établit Me Malouin.
Rappelons que certains témoins avaient estimé à l’enquête que des recherches déployées plus rapidement auraient pu permettre de retrouver les fillettes vivantes.
Me Malouin ne va pas aussi loin, mais admet que «les chances auraient été maximisées».
«Absence de personnel formé évidente»
Et donc, qu’est-ce qui a fait défaut?
Tout d’abord, la SQ aurait dû traiter le dossier selon «le pire scénario envisageable» dès les premières heures, parlant d’une disparition et de crainte pour les fillettes. Me Malouin en fait d’ailleurs une de ses 11 recommandations (voir encadré).
«Je dois constater que dans la hiérarchie policière, quelqu’un, quelque part, a oublié le Guide des pratiques policières, entraînant des délais indus pour la suite du dossier», déplore-t-il.

Ces délais ont ensuite retardé tout le processus de lancement des recherches. Les premiers policiers spécialisés ne sont entrés dans la forêt qu’à 10h le lendemain matin de l’accident, critique Me Malouin.
Puis, les premiers périmètres de recherches ont été ciblés sans suivre les règles de pratique. Et les effectifs, eux, étaient clairement insuffisants après des changements dans la structure de l’unité spécialisée en recherche, relève Me Malouin.

«Je me dois de constater qu’en juillet 2020, cette unité n’a pas été en mesure de répondre à l’urgence qui existait dans le présent dossier. L’absence de personnel formé est évidente», note le rapport.
Ce sont ces éléments qui mènent malheureusement trop rapidement, et sans maximiser l’ensemble des techniques d’enquête et de recherche à la fin de journée du 9 juillet, à la mort de Norah et Romy Carpentier.
«Orgueil organisationnel»?
Et devant ces problèmes, notamment les enjeux d’effectifs, pourquoi la SQ n’a-t-elle pas sollicité d’aide? Le coroner Malouin se demande si le corps policier n’a pas fait preuve à ce moment «d’orgueil organisationnel», malheureusement au détriment de la protection du public.
«La SQ a choisi, pour quelque raison que ce soit, de faire cavalier seul. Les choix stratégiques des dirigeants ont certainement nui au bon déroulement des recherches», écrit Luc Malouin, martelant que «le temps de l’orgueil organisationnel et du protectionnisme syndical est révolu».
Des membres de l’Association québécoise des bénévoles en recherche et sauvetage (AQBRS), des agents de la protection de la faune et des policiers du SPVQ auraient notamment pu prêter main-forte rapidement après la disparition de Norah et Romy.
Enjeux de communication
Le rapport de Luc Malouin propose également le déclenchement rapide d’une alerte médiatique, aux critères moins contraignants que l’alerte Amber, dès le signalement de la disparition d’un enfant.

«D’autant plus qu’il était possible de profiter d’une heure de grande écoute», soulève le coroner à propos du matin du 9 juillet.
«Plus vite on demande l’aide de la population, plus on a de chances de réussir à retrouver les personnes disparues», évoque-t-il.
Rappelons qu’une alerte Amber avait été déclenchée par la Sûreté du Québec, mais qu’elle n’avait été publiée qu’à 15h23 le lendemain de l’accident.
Réactions à venir
Le coroner tiendra un point de presse mercredi en journée pour présenter ses conclusions et répondre aux questions des médias.

La mère des fillettes, Amélie Lemieux, qui avait assisté à l’ensemble des journées d’audience, pourrait réagir demain au terme de la sortie du coroner.
Quant à la Sûreté du Québec, écorchée durement par le rapport Malouin, sa direction n’avait toujours pas réagi au moment d’écrire ces lignes.
Le ministre de la Sécurité publique, François Bonnardel, a toutefois réitéré sa confiance envers le corps de police provincial mardi matin.
«Il y a un constat fort clair: le temps compte quand on a des enfants disparus. Déjà, la Sûreté du Québec a répondu à plusieurs recommandations ou constats pour ce qui est de ses équipes de sauvetage et de recherche. J’ai entièrement confiance en eux», a souligné le ministre, disant s’attendre à ce que la SQ «mette en place» les recommandations du coroner Malouin.
Les recommandations de Luc Malouin
– De modifier la Politique de gestion «fugue, disparition, enlèvement» ENQ, CRIM.-36 afin de prévoir la présence de deux enquêteurs pour toute disparition d’un enfant de moins de 13 ans;
– De rappeler à tous ses officiers, enquêteurs et policiers l’importance de toujours considérer la disparition d’un enfant de moins de 13 ans comme le pire des scénarios et d’agir en conséquence;
– D’équiper les véhicules et les policiers de la technologie nécessaire au partage commun de l’information recueillie lors d’une opération policière;
– De former les policiers de son service d’urgence, tant pour les policiers du bassin 1 que pour ceux du bassin 2, conformément aux normes nationales en matière de recherches et de sauvetage, et de s’assurer du maintien des compétences et de l’expérience conformément à la norme nationale CSA Z1620-15;
– De mettre en place des protocoles de partenariat et de collaboration simples et efficaces avec les autres corps policiers, les agents de protection de la faune et les bénévoles de l’Association québécoise des bénévoles en recherche et sauvetage (AQBRS) et de diffuser ces protocoles à l’ensemble de ses officiers;
– De déclencher rapidement après la disparition une alerte média dans les dossiers de disparitions, spécialement ceux impliquant un enfant de moins de 13 ans;
– De mettre en place un poste de commandement unifié dès le début d’une opération de recherches terrestres;
– D’assigner un technicien en recherche terrestre à ce poste de commandement afin de faire le lien entre les chercheurs et les enquêteurs;
– D’effectuer des rétroactions complètes à chaque fin de journée;
– De mieux rédiger tous les registres des opérations, tant pour le travail d’enquête que pour les recherches terrestres;
– D’assigner deux techniciens en recherche terrestre lorsqu’après les recherches initiales, du personnel supplémentaire est ajouté.
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