Adoption de l’Acte de Québec il y a 250 ans: une acceptation du peuple canadien-français en Amérique
Martin Lavallée
Pour souligner les 250 ans de l’Acte de Québec, un colloque réunissant plusieurs spécialistes s’est tenu au Musée de la civilisation de Québec au début du mois de juin. L’un des co-organisateurs, Dave Guénette, professeur adjoint à la faculté de droit de l’Université de Sherbrooke, a bien voulu répondre à nos questions sur le sujet.
• À lire aussi: Il y a 250 ans, l’Acte de Québec redonnait vie au Canada français
Quelle est l’importance de l’Acte de Québec et quel impact cette loi aura-t-elle pour la suite de notre histoire?
L’Acte de Québec représente l’ouverture d’un nouveau sentier constitutionnel pour la population catholique et francophone de l’époque. Plutôt que l’assimilation, les autorités britanniques vont opter à ce moment pour l’accommodation. D’une certaine manière, c’est un premier jalon permettant d’inscrire dans la durée l’existence du Québec et de sa spécificité. D’autres moments marquants auront ensuite l’effet contraire; on peut penser par exemple au rapport Durham. Mais l’Acte de Québec, s’il peut donner lieu à des interprétations nuancées et parfois à une certaine instrumentalisation, est généralement synonyme d’une acceptation du peuple canadien-français en Amérique.
![Richard Short et Ignace Fougeron, Vue du palais épiscopal et de ses ruines [où se tiendront les rencontres du Conseil législatif à partir de 1782] (1761).](/_next/image?url=https%3A%2F%2Fm1.quebecormedia.com%2Femp%2Femp%2Fdownload6ed47f6c-e4d6-44bf-92df-7f89ac9981c3_ORIGINAL.jpg%3Fh%3D433%26impolicy%3Dcrop-resize%26w%3D690%26width%3D1600%26x%3D0%26y%3D0&w=3840&q=75)
Cependant, cette acceptation est avant tout culturelle, car le pouvoir politique demeure entre les mains des Britanniques. Cet état de fait, qui sera davantage perceptible sous l’Acte constitutionnel de 1791, a-t-il contribué selon vous aux luttes constitutionnelles ultérieures entre les Canadiens (français) et les Britanniques?
En fait, je dirais que ce qui a contribué aux luttes entre Canadiens français et Britanniques, c’est plutôt la Conquête. Il n’y a rien d’étonnant là, mais avec la Conquête, il est évident que les Britanniques vont chercher à administrer leur nouvelle possession d’une manière qui soit à leur avantage, et que cela pourra se faire parfois en tenant compte des intérêts de la population locale, et d’autres fois au désavantage de cette dernière. Je pense qu’on peut ensuite interpréter tout ce qui va suivre, y compris l’Acte de Québec de 1774, l’Acte constitutionnel de 1791, l’Acte d’Union de 1840, etc., comme des moments qui témoignent de l’évolution de rapports de force au sein de la colonie. Je dirais enfin qu’il ne faut pas surinterpréter les conséquences positives ou négatives de l’Acte de Québec. On peut certes y voir un jalon important de l’histoire du Québec, mais il s’agit d’un événement qui doit être remis dans le contexte d’une histoire longue de plus de 250 ans, depuis la Conquête.
Après avoir voulu assimiler les Canadiens en 1763, pourquoi Londres y renonce à peine 11 ans plus tard?
Principalement pour des raisons pratiques. La Proclamation royale était très difficile d’application, et ce, à divers niveaux. Il y a un pragmatisme dans les choix faits par les Britanniques à ce moment. Pour eux, l’Acte de Québec n’a pas forcément vocation à mettre en place une solution pérenne qui vise à tout régler pour les siècles à venir, mais il s’agit plutôt d’une solution aux problèmes de gestion et d’administration de la colonie. Les réformes suivantes, comme l’Acte constitutionnel de 1791 et l’Acte d’Union de 1840, sont similaires sur ce point; ce sont des solutions pragmatiques proposées pour permettre de faire face aux enjeux et problèmes rencontrés.

D’un point de vue pratique, qu’est-ce qui change concrètement pour un Canadien (français) après 1774?
L’adoption de l’Acte de Québec va introduire une série de mesures à la faveur des catholiques de l’époque, comme le droit d’exercer leur religion et l’abandon du serment du test, qui exigeait précédemment des catholiques qu’ils renient leurs croyances s’ils souhaitaient accéder à des charges publiques. Le serment du test est alors remplacé par un serment d’allégeance au roi. Outre ce qui concerne la religion, l’Acte de Québec réintroduit le droit civil dans la province, avec quelques exceptions, notamment en matière criminelle. Enfin, l’Acte de Québec consacre la liberté testamentaire, un régime caractéristique du droit anglais et distinct de la tradition juridique française.