Romans d’ici: ce qui se cache sous un sourire
Josée Boileau
Déjà photographe renommé, James Becker va carrément atteindre la célébrité avec une photo qui fait scandale. Belle occasion de plonger dans le monde des apparences.
Avant de parler de James Becker, protagoniste du roman qui porte son nom, il faut s’arrêter à François Ulrich, l’auteur qui l’a créé.
Celui-ci vient du monde de la publicité ; c’est à lui que la radio de Radio-Canada doit l’astucieux slogan « Écoutez pour voir ». Ulrich maîtrise donc l’art d’attirer l’attention et c’est ce qu’il met en scène dans Fais pas tout foirer, James Becker — son premier livre après une série de nanoromans numériques.
Fort de son expérience professionnelle, Ulrich nous entraîne avec jubilation dans une histoire a priori folichonne, mais qui soulève d’intéressantes questions éthiques.
Tout commence avec le décès de Solange, la mère de James. Celui-ci a coupé les ponts avec elle depuis des décennies, mais les funérailles exigent qu’il quitte les États-Unis, où il est installé, pour retourner en France, son pays natal.
Sauf qu’une fois devant ce corps sans vie, il ne peut résister à la tentation de se venger d’une enfance détestée. Il plante un stylo rouge dans la bouche de sa mère, puis il prend la photo de ce sinistre sourire, qu’il dépose ensuite sur Instagram avec toute une série de mots-clics, dont #mereindigne. Et il n’y pense plus.
Son agente le ramènera sur terre : les dénonciations pleuvent tellement que les contrats du grand photographe tombent les uns après les autres ! Qui veut s’associer à un être aussi cynique ?
Mais les scandales ont des cycles qui leur sont propres. À l’indignation succédera l’envie de se frotter à cet artiste qui a osé un tel pied de nez. Après tout, la controverse fait aussi vendre — ainsi varie l’opinion publique !
Deux histoires
Mais pourquoi James Becker en voulait-il à ce point à sa mère ? Celle-ci a laissé un excellent souvenir à ceux qui l’ont côtoyée. Quel est donc le mystère de cette femme pour laquelle James, devenu grand, n’a pour sa part aucune indulgence ?
François Ulrich ajoute donc à son récit l’histoire de cette Solange. Il nous ramène à Paris, en 1969, aux côtés d’une jeune enseignante dynamique et attentive à ses élèves, et qui le restera tout au long de sa carrière. Rien à voir avec l’image que son fils en donne.
Pourtant, même de bonnes personnes ont leur côté sombre, ce que l’auteur expose avec subtilité. Tant chez la mère que chez le fils, les blessures vécues expliquent l’esprit vengeur, mais les gens ne se réduisent pas non plus à un seul aspect de leur personne. Les individus sont faits de plusieurs couches. Ce contraste, rarement mis à ce point en évidence, est bien exploré.
La plume de l’auteur est par ailleurs d’une grande vivacité et nous entraîne sur des chemins qui font souvent sourire et des passages touchants. Comme la finale, inattendue, dont la belle ironie va droit au cœur.