Qui blâmer pour les crises à Montréal: Valérie Plante ou François Legault?


Alice Fournier
«Valérie Plante a fait de sa ville un désastre, dont elle semble fière»: voilà ce qu’écrivait en septembre le chroniqueur Mathieu Bock-Côté, qui s’inquiétait de la qualité des candidats aux élections municipales. Sur les réseaux sociaux, le bilan des huit années de la mairesse sortante divise. Certains électeurs lui reprochent presque d’avoir transformé l’île en une immense piste cyclable où il est impossible de circuler en voiture. Mais a-t-on raison de blâmer son administration pour toutes les crises qui frappent la métropole? Quel rôle ont pu y jouer François Legault et son gouvernement à Québec? On fait le point.
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Qui fait quoi?
Avant de montrer du doigt Québec ou Montréal, rappelons les rôles de chacun des paliers de gouvernement.
«Les municipalités ne sont pas tout à fait un gouvernement, ce sont des créatures du gouvernement du Québec et il leur donne des rôles», souligne la chercheuse de l'Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), Eve-Lyne Couturier.
Les municipalités, dont Montréal, ont pour mission principale de livrer des services locaux à leurs citoyens: gestion des eaux, des routes, des ordures, des transports en commun, du déneigement. Pour assurer ces services de proximité, les villes ont comme principale source de revenus les taxes foncières.
Le gouvernement provincial établit les lois et les politiques qui régissent une municipalité. Il gère ses propres compétences: la santé, l'éducation et la justice, par exemple. Québec peut décider d’aider financièrement les municipalités pour la réalisation d’un projet ou les aider à remplir leur mandat.
Certains dossiers sont gérés conjointement. Prenons l’exemple du transport en commun. Si les villes sont responsables d’assurer les services par l’entremise des sociétés de transport, le gouvernement joue un rôle de premier plan en financement des infrastructures, comme le prolongement de ligne bleue du métro de Montréal.
Logement
Comme bien des municipalités au Québec, Montréal est frappée par une crise du logement. Le taux d'inoccupation pour les loyers abordables se trouve à moins de 1%, alors que 60% des résidents sur l’île sont locataires. Les prix des loyers ont également bondi de 71% depuis 2019: le loyer moyen pour un 4 1/2 est passé de 1130$ à 1930$ entre 2019 et 2025, selon des données de Statistique Canada.
Construction et règlement 20-20-20
La Ville et le gouvernement du Québec se renvoient la balle dans ce dossier.
La professeure en finance et fiscalité publique de l’UQAM, Danielle Pilette, critique le bilan de Valérie Plante, surtout son Règlement pour une métropole mixte. Aussi appelé 20-20-20, il exigeait des promoteurs immobiliers d'inclure 20% de logements sociaux, 20% de logements abordables et 20% de logements familiaux (ou de payer une pénalité).
Ce règlement, dont certains éléments ont été suspendus, est souvent évoqué comme un frein à la construction à Montréal.
«Le règlement 20-20-20 qui obligeait les promoteurs à inclure du logement abordable dans leur projet a définitivement joué en défaveur de la Ville. Le résultat, c’est que les promoteurs n’ont pas souscrit à [l’obligation d’inclure du logement social] et que des projets ont été grandement retardés, voire même judiciarisés», affirme-t-elle.
Et où en seraient les mises en chantier si le règlement 20-20-20 n’avait jamais existé? Difficile à dire, soutient le professeur d'économie urbaine et finances publiques locales à l’Université de Montréal, Jean-Philippe Meloche.
«L’impact du programme a été modeste jusqu’à présent et il est difficile de spéculer sur ce qui serait survenu s’il n’avait pas été mis en place», se contente-t-il de répondre.
En plus du règlement, des promoteurs pestent contre les délais d’obtention d'un permis de construction. Entre 2019 et 2024, les délais ont explosé, passant de 175 jours à 369 jours, rapportait l’Agence QMI en juin dernier.

Crise du logement
Le gouvernement de François Legault est aussi à blâmer pour les ratés en matière d’habitation.
«Il aurait fallu miser sur de véritables subventions [du gouvernement] pour construire des logements sociaux», soutient le chercheur au laboratoire de politiques de santé mentale et évaluation économique du Centre de recherche Douglas, Éric Latimer.
La Coalition Avenir Québec (CAQ) a aussi été critiquée de toute part pour avoir tardé à reconnaître qu’une crise du logement secouait Montréal et le reste du Québec. Ce n’est qu’en avril 2022 que le gouvernement a admis, pour la toute première fois, qu’il y avait bel et bien une crise.
Début octobre, le maire sortant de Québec, Bruno Marchand, a d’ailleurs reproché au premier ministre de n’avoir fait aucune mention du logement et de l’itinérance dans son discours d’ouverture de la session parlementaire.
«Quand on trace les priorités du Québec pour les prochains mois et qu'on ne parle pas d'itinérance, qu'on ne parle pas de logement, pas de logement social, honnêtement, pour moi, il manque un pan de mur hyper important», a-t-il déploré.
Itinérance
Depuis la pandémie, les campements se multiplient à Montréal. Pour répondre au sentiment d’insécurité grandissant dans le métro, la Société de transport de Montréal (STM) a interdit le flânage, ce qui a ramené encore plus de personnes vulnérables dans les rues.
«50% de la population en situation d’itinérance du Québec est à Montréal, et la cohabitation est un enjeu extrêmement important», rappelle la professeure en sciences sociales à l'Université de Montréal, Élisabeth Greissler.
Cette fois-ci, le coupable se trouve à Québec.
Danielle Pilette insiste: «La responsabilité du dossier de l’itinérance est surtout provinciale.»
En ce sens, Éric Latimer reproche au gouvernement «de ne pas avoir fait de cette priorité une action concrète».
«Globalement, on constate qu’elle [la mairesse de Montréal] a participé à mettre la question de l’itinérance à l’agenda politique», affirme Mme Greissler.
La Ville aurait néanmoins pu en faire davantage, selon Jean-Philippe Meloche. «Si on a un problème de personnes dans la rue, le signe que ça devrait donner c’est d’augmenter les impôts [les taxes municipales]», affirme-t-il.
Selon lui, la Ville devrait hausser les taxes municipales pour arriver à des solutions durables. En ce moment, ses finances ne lui permettent pas d’agir efficacement pour sortir du monde de la rue.

Mobilité
Les automobilistes montréalais n’en peuvent plus d’être pris dans les bouchons. Si certaines reprochent à la Ville de mal gérer les chantiers, d’autres accusent la mairesse sortante d’avoir mené une guerre à l’auto et d’avoir construit des pistes cyclables qui bloquent la voie aux voitures. Les services de transport en commun font aussi souvent l’objet de critiques.
Transport en commun
La responsabilité est partagée dans ce dossier.
Prenons l’exemple de la ligne rose que proposait Valérie Plante en 2017 pour desservir, entre autres secteurs, le nord-est de l’île. Si cette ligne n’a pas vu le jour, c’est notamment parce que Québec a préféré aller de l’avant avec le projet du Réseau express métropolitain (REM).
Jean-Philippe Meloche trouve que le REM est «rigide» et qu’il coûte cher à construire, alors que «les municipalités n’ont jamais été consultées avant son lancement.» Selon lui, pour améliorer le service à Montréal et mieux desservir l’île, il vaudrait mieux ajouter des autobus, qui sont plus flexibles qu’un train léger.
Le professeur reproche aussi au gouvernement Legault de ne pas en faire assez pour soutenir le transport en commun, alors que des baisses de fréquentations ont exacerbé les problèmes financiers des sociétés de transport. «La fréquentation du transport en commun reste inférieure à l’avant-pandémie, notamment dans le métro, ce qui limite la faisabilité de nouveaux grands projets», indique-t-il.
Malgré des aides d’urgence de Québec pour éponger une partie de ses pertes financières, la STM accuse un déficit d’entretien de 6 milliards $, qui s’ajoute aux investissements nécessaires de 10,7 milliards $ pour le maintien des actifs.
Le plus récent Plan québécois des infrastructures présenté par le ministre des Finances Eric Girard prévoit des sommes additionnelles de 560 millions $ entre 2030 et 2035, ce qui est nettement moins que les 585 millions $ sur trois ans que la STM a demandés pour entretenir certaines de ses infrastructures. Ce sous-investissement met à risque l’offre de service à long terme.
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Chantiers
Les chantiers — et les cônes orange qui viennent avec — donnent des maux de tête aux Montréalais. Comme lors de chaque campagne électorale, les principaux candidats à la mairie promettent de mieux coordonner les travaux et de réduire les bouchons de circulation.
Si la mairesse peut être critiquée pour la gestion des chantiers, une chose est sûre: la liste de travaux à réaliser est longue et la Ville a le devoir d’agir.
«Il faut qu’on répare!», insistait la directrice du programme de maîtrise en Gestion des infrastructures urbaines de l’École de technologie supérieure (ÉTS), Michèle Saint-Jacques, dans une entrevue à 24 heures plus tôt ce mois-ci.

Transport actif
La mairesse sortante a beaucoup fait pour améliorer la mobilité active sur l’île et la fluidité des cyclistes et des piétons. C’est l’un de ses grands legs, croit Jean-Philippe Meloche.
Il cite l’exemple du Réseau express vélo (REV) sur la rue Saint-Denis, qui a enregistré près de 1 500 000 passages cette année (intersection Saint-Denis et Des Carrières). L’été, il y a des journées où le nombre de passages dépasse les 14 000 ou 15 000.
Est-ce que la CAQ ignore Montréal?
«La CAQ n’a presque pas de comtés à Montréal, ce qui fait que Québec a peu d’intérêt politique à intervenir dans certains dossiers sociaux municipaux», tranche Danielle Pilette de l’UQAM. Elle ajoute que la CAQ, qui est portée sur les droits individuels, a tendance à ignorer des enjeux comme l’itinérance.
«Il y a une déconnexion entre la vision de la CAQ et les enjeux sociaux», renchérit Eve-Lyne Couturier de l’IRIS.