La petite histoire du garage Bellechasse, le «beigne» à 584 millions $ que construit la STM


Anne-Sophie Poiré
La mise en service cet automne du «beigne» qui servira de nouveau garage à autobus pour la STM, sur la rue Bellechasse, fait débat. D’un côté, on y voit un legs architectural iconique pour la ville de Montréal. De l’autre, un centre de transport à 584 millions de dollars qui ne pourra pas accueillir de bus électriques, comme prévu. Qui dit vrai?
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«C’est le plus beau garage d’autobus des Amériques, et peut-être même au monde», lançait l’urbaniste et fondateur de Projet Montréal, Richard Bergeron, au micro du 15-18, en juin 2024.
Cette «icône architecturale d’une beauté inouïe», dit-il, conçu par la firme Lemay, a remporté en 2019 le Prix du mérite aux Canadian Architect Awards, en plus de trois autres récompenses internationales en 2020.
La Société de transport de Montréal (STM) «s’est fait plaisir», affirme Richard Bergeron, en se dotant du «plus beau garage» souterrain pour y stationner et y entretenir une flotte de 250 autobus.

«On voulait aller au-delà du modèle habituel des garages fermés et monolithiques», explique l’architecte et associé principal à la conception chez Lemay, Jean-François Gagnon.
Un «beigne» pour l’acceptabilité sociale
La forme de «beigne» – ou de tore en géométrie – s’est imposée, précise-t-il, par souci d’harmonie avec les éléments architecturaux déjà en place et pour adoucir l’impact visuel de la structure dans le paysage.
«Elle permet aussi d’optimiser les flux d’autobus vers le sous-sol, tout en libérant un espace central qui favorise la lumière naturelle, la ventilation et le verdissement», ajoute M. Gagnon.

C’est que les résidents du secteur de Rosemont–La Petite-Patrie ne voulaient pas de l’édifice à trois étages d’abord proposé par la STM. L’organisation a donc décidé d’enfouir son garage. Et pour minimiser le bruit dans le voisinage, les autobus circulent entièrement à l’intérieur.
Ce serait «pour l’acceptabilité sociale», donc, que la STM a décidé «de faire si beau», selon l’urbaniste Richard Bergeron.

584 M$ et un mandat reporté
Si à peu près tout le monde s’entend pour dire que le garage Bellechasse est beau, le prix est dur à avaler pour ses détracteurs: 584 millions $ au lieu de 254 millions $, comme le prévoyait le budget initial présenté en 2018.
Richard Bergeron trouve que le prix est «nettement excessif», surtout que le bâtiment ne pourra pas remplir son mandat initial d’accueillir une flotte d’autobus entièrement électriques.
«Le centre de transport Bellechasse sera électrifié dans une phase ultérieure de la transformation vers le tout-électrique à la STM», indique la STM dans un courriel envoyé à 24 heures.
Les études sur les systèmes d’incendies ont dévoilé que les normes n’étaient pas suffisamment «matures» pour un stationnement souterrain, précise la société de transport.

En d’autres termes, les risques de feu et de problèmes de sécurité liés à la technologie des batteries sont trop grands pour que le garage puisse remplir son mandat. Il devait initialement héberger jusqu'à 300 autobus électriques.
Le garage ne servira qu'aux véhicules diesel et hybrides, pour quelques années du moins.
Pourquoi ça coûte aussi cher?
Une des raisons évoquées pour expliquer le dépassement de coût: le fait que le mandat a été attribué à une firme d’architecture externe.
En 2015, la commission Charbonneau a recommandé «en lettres majuscules» que les organismes publics diminuent leur dépendance au secteur privé pour leurs besoins en matière de services professionnels, comme les contrats d’architecture et d’ingénierie.
«La sous-traitance ajoute un acteur externe et demande une coordination supplémentaire entre l’organisme public et la firme qui, parfois, se déroule mal. Ça peut conduire à des livrables plus chers et de moins bonne qualité», explique le chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), Colin Pratte.
En 2024, cinq firmes externes de génie-conseil ont pourtant obtenu 76% de la valeur des contrats accordés par la Ville de Montréal dans le domaine des infrastructures, selon une étude signée par le chercheur parue en mai dernier.
«Cette même année, la Ville de Montréal s’est plainte aux firmes avec qui elle fait affaire de la diminution de la qualité de leur livrable», signale-t-il.

«Est-ce que c’est ce qui s’est produit dans les plans de la conception du garage Bellechasse? On ne sait pas, mais ça ne serait pas la première fois que ça arrive», ajoute M. Pratte.
Les montants soumis dans les appels d’offres par les sous-traitants sont, en moyenne, 20% supérieurs au juste prix, toujours selon l’étude de l‘IRIS.
Un drapeau rouge levé trop tard
Et si le projet du garage Bellechasse avait été géré à l’interne, les risques d’incendie liés aux autobus électriques auraient-ils été soulevés plus rapidement?
Le candidat de Transition Montréal Simon Dubois croit que oui.
«C’est arrivé parce qu’on a travaillé avec une firme privée, en sous-traitance. En travaillant avec l’expertise à l’interne, qui a déjà des compétences dans ce genre de projet, on aurait levé le flag beaucoup plus rapidement devant ce problème», estime celui qui brigue un siège dans le district de Saint-Édouard où se situe le nouveau garage.
Ensemble Montréal juge pour sa part que les grands projets, comme celui du nouveau garage la STM, doivent être mieux planifiés pour éviter ce genre de «dérives».
«L'administration Plante-Rabouin a complètement revu le projet pour en faire un garage souterrain, et ce, sans analyses d'impacts supplémentaires. Résultat: on est passé d'un projet 250 à près de 600 millions de dollars, à ce jour, pour entreposer des autobus», indique l’attaché de presse du parti, Guillaume Pelletier.
Projet Montréal n’a pas répondu aux demandes d’entrevue de 24 heures.