Qu’est-ce qu’on mange à l’hôpital? On est allé dîner à Notre-Dame pour le savoir


Anne-Sophie Poiré
La qualité de la nourriture servie dans un hôpital peut favoriser la guérison des patients, plaident des experts en nutrition. Alors que les établissements de santé tentent de révolutionner la nourriture «brune et molle» qu'ils ont la réputation de servir, on s’est rendu à l’Hôpital Notre-Dame pour savoir ce qu’on y sert à l’heure du lunch.
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Au menu lors du passage de 24 heures: potage de brocoli, coq au vin, légumes, demi-sphère de purée de pomme de terre façonnée à la cuillère à «crème à glace», carré aux dattes et café.

«Tout est fabriqué dans les cuisines de l’Hôpital Notre-Dame», assure le chef des services alimentaires du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, Jean-Marc Riverin.
La soupe est lisse, onctueuse et salée. Sa teinte verte n’est pas seulement une illusion: la saveur de brocoli est omniprésente.
Le poulet est tendre et la sauce renferme un bon goût de fond de viande. La purée – que l’on imagine en poudre – et les légumes – assurément congelés – qui accompagnent la pièce de résistance manquent cruellement d’assaisonnement. J’aurais pu y saupoudrer un sachet de sel pour rehausser les saveurs, mais avec la sauce du coq au vin, l’équilibre est sauvé.
Ma plus grande surprise a été le carré aux dattes: juste assez dense, juste assez moelleux, juste assez sucré. Malgré un estomac bien rempli, j’ai terminé le traditionnel dessert canadien en quelques bouchées.

Ce jour-là, le plateau-repas de l’Hôpital Notre-Dame s’est mérité une note de 7,6/10.
Et pour 9,43$ – le prix «syndical» gentiment offert par le caissier –, ce menu plus que complet demeure abordable. Sans compter qu’une foule d’options de repas chauds et froids sont proposées pour les clients de la cafétéria et les patients hospitalisés.
Un horaire serré
Il est 11 heures.
Dans les cuisines de l’Hôpital Notre-Dame, l’équipe du service alimentaire se prépare à l’afflux de l’heure du lunch. À la chaîne, on remplit les plateaux-repas qui seront servis à la chambre des patients.

Entre 11h15 et 12h15, 325 repas sont distribués sur les différents étages de l’hôpital.
«On est dans une logistique chronométrée», lance Jean-Marc Riverin.

Il précise qu’une grande partie de la clientèle de l’établissement situé sur la rue Sherbrooke séjourne «en santé mentale et toxicomanie». Il faut donc que les repas arrivent à l’heure, pour la prise de médicaments et les examens.
«Si elle [une personne traitée en santé mentale] ne reçoit pas les autres repas à l’heure, même avec cinq minutes de retard, elle peut décompenser (rupture de l'équilibre psychologique) comme elle fonctionne avec une routine. L’aile psychiatrique est donc servie en premier le midi et le soir», ajoute-t-il.
Le repas est aussi le médicament
Il n’y a pas que l'heure du service qui compte: le contenu des plateaux aussi.
«La texture, l’apparence et la température des aliments sont d’autant plus importantes dans les établissements de soins. Si le repas n’est pas suffisamment attrayant pour satisfaire les besoins nutritionnels du patient, ça peut ralentir la guérison et prolonger le séjour à l’hôpital. Et ce sont des coûts énormes pour le système de santé», signale la présidente de l'Ordre des diététistes-nutritionnistes du Québec (ODNQ), Joëlle Emond.
«L’aliment est aussi le médicament», insiste-t-elle.

Quand les usagers ne mangent pas tout leur plateau, Jean-Marc Riverin révise ses dossiers.
«Le menu n’est pas automatique. Lorsqu’un patient est admis, il remplit un questionnaire selon ses goûts, ses aversions, ses allergies, en incluant le plan clinique», explique celui qui enseigne aussi à l’Institut de tourisme et d'hôtellerie du Québec (ITHQ).
Il faut savoir s’adapter, dit-il.
Réduire le gaspillage
Depuis un an, la lutte au gaspillage est au cœur de la politique alimentaire de l’Hôpital Notre-Dame.
«Le contexte économique et écologique fait en sorte que le gaspillage n’est plus seulement vu comme un enjeu environnemental, mais comme une partie prenante de la gestion des établissements», signale Jean-Marc Riverin.
L’automne dernier, l’établissement s’est doté de deux biodigesteurs dans lesquels sont incorporés les restes des repas: pour transformer les déchets alimentaires en matière organique, mais aussi pour connaître la quantité exacte de nourriture gaspillée.
«Tout ce qui n’est pas consommé dans les assiettes s’en va dans le biodigesteur. Si je mets 100 kilogrammes de déchets, j’en récolte 25 de matière compostable», explique le chef des services alimentaires.

«En sachant exactement combien de nourriture est jetée, je sais également ce qu’il faut faire pour réduire le gaspillage», assure-t-il.
Depuis toujours, la lasagne de la cafétéria de Notre-Dame était servie avec de la salade. Cette combinaison faisait partie des mœurs, jusqu’à ce que Jean-Marc Riverin commence à analyser le contenu des cabarets après les repas.
«Les assiettes revenaient toujours pleines de salade. On a donc décidé d’arrêter d’en servir avec la lasagne. Ça peut paraitre banal, mais ça nous permet de réduire de beaucoup le gaspillage», fait-il valoir.
Acheter québécois
Avec près de 1200 transactions par jour, les services alimentaires de l’Hôpital Notre-Dame réalisent un chiffre d’affaires de 2 millions de dollars par année.
«Nous sommes profitables, soutient M. Riverin. L’argent que je dégage ici — avec ce qui se trouve dans les poubelles notamment —, c’est de l’argent qu’on ne demande pas à Santé Québec pour financer nos opérations.»

En réduisant le gaspillage, il peut notamment se permettre d’acheter plus d'aliments du Québec, qui peuvent être plus chers, mais qui sont plus responsable pour la planète et l’économie locale.
«Environ 63% des produits cuisinés proviennent du Québec», indique Jean-Marc Riverin, qui est membre du projet Commun'assiette d’Équiterre.
«On s’est rendu compte qu’il manquait d’espace dans les institutions pour les produits québécois», explique la chargée de projet en approvisionnement alimentaire durable pour Équiterre et gestionnaire de Commun'assiette, Lyne Royer.
«On a donc mis sur pied une communauté de pratique qui regroupe tous les maillons de la chaine d’approvisionnement, de la terre à l’assiette, pour aider les institutions à acheter des produits d’ici», poursuit-elle.
Sur les 70 membres de l’initiative répartis entre Montréal, Québec, en Outaouais, le Saguenay-Lac-Saint-Jean, les Laurentides et la Montérégie, 20 ont l’obligation de quantifier leurs achats locaux. Il n’y a pas de quantité minimum, mais l’objectif est d’augmenter le volume.
Dans les institutions publiques québécoises, les produits locaux comptent actuellement pour environ 60% de tous les achats, selon Mme Royer.