Cinq partis, cinq propositions: quel troisième lien entre Québec et Lévis?
Des experts se prononcent

Taïeb Moalla
Le troisième lien entre Québec et Lévis est devenu un des enjeux électoraux de cette campagne.
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Chacun des cinq principaux partis en lice y est allé de sa solution en vue de limiter la congestion routière dans la région de la Capitale-Nationale et d’améliorer l’offre en transport en commun. Interrogés par Le Journal, des experts en mobilité se prononcent sur les projets qui sont sur la table.
Le tunnel de la CAQ

■ Un tunnel sous-fluvial bitube de 6,5 G$.
■ Il relierait l’autoroute 20 aux autoroutes Laurentienne et Dufferin-Montmorency.
■ Quatre voies de circulation.
■ Connecté au tramway de Québec.
■ Inauguré en 2032.
«C’est un très mauvais projet», assène Marie-Hélène Vandersmissen, directrice du Département de géographie à l’Université Laval. D’après elle, «ce n’est pas une solution aux problèmes de congestion entre les deux rives puisqu’il encouragera l’étalement urbain, entraînera de nombreux impacts environnementaux et créera à moyen terme de nouveaux problèmes de congestion».
Tout aussi critique, Dominic Villeneuve, professeur adjoint en transport et mobilité à l’École supérieure d’aménagement du territoire et de développement régional (ÉSAD), affirme que «le projet de la CAQ favorise la demande induite en augmentant la capacité autoroutière, favorise l’étalement urbain, ne priorise pas assez le transport en commun. Il ajoutera à la circulation et à la congestion automobile et aux défis du stationnement au centre-ville de Québec».
Pierre Cliche, professeur associé à l’École nationale d’administration publique (ÉNAP), est un des rares spécialistes à défendre ce mégaprojet. Dans une lettre ouverte publiée le printemps dernier, il a minimisé le phénomène de l’étalement urbain. Aussi, il a affirmé qu’une «meilleure connexion» est nécessaire pour le développement économique de la grande région dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre. Le professeur a avancé l’argument de la sécurité en rappelant que «lorsque l’un des deux ponts est bloqué par des travaux ou par des accidents, ce sont tous les services publics de santé et de sécurité qui sont entravés».
Le train léger du PQ

■ Un train léger de 15 km empruntant un tunnel sous-fluvial sur 7 km.
■ Coûts préliminaires de 4 à 5 G$ (dont 3,6 G$ pour la construction du tunnel).
■ Des travaux de 4 à 8 ans.
■ Connecté au futur tramway de Québec.
■ Reliant les secteurs Lebourgneuf, Vanier, Saint-Roch, ExpoCité et la colline Parlementaire (à Québec) au secteur Desjardins (à Lévis).
Dominic Villeneuve affirme d’emblée que ce projet «fait rêver en reliant les deux centres-villes en transport collectif rapide, mais aussi Vanier, Saint-Roch et Lebourgneuf. Il a donc un bon potentiel pour le report modal de la voiture aux modes alternatifs et sera bien connecté au tramway». Cela dit, «qui dit tunnel dit aussi risque de dépassement de coût et d’échéancier», nuance-t-il.
Pour Fanny Tremblay-Racicot, professeure adjointe en administration municipale et régionale à l’ÉNAP, «les propositions d’investissements dans les transports collectifs sont louables, mais les [partis de l’opposition] font ce qu’[ils] reprochent à leur principal adversaire, soit de promettre un projet sans faire d’études préalables».
Opinion semblable du côté de Marie-Hélène Vandersmissen. L’experte qualifie la proposition du PQ de «projet porteur et intéressant, entièrement dédié au transport en commun et qui serait relié au tramway. Mais de plus amples études sont nécessaires».
Le SRB de Québec solidaire

■ Un SRB (Service rapide par bus) entre le centre-ville de Lévis et l’ouest de Québec en passant par le pont de Québec.
■ À certains endroits, il y aurait une réduction des voies pour les automobilistes pour faire place à une plateforme surélevée en béton.
■ Un plan d’investissements de 5,3 G$, sur huit ans, pour dix projets de transport en commun dans la région de la Capitale-Nationale.
Qualifiant ce projet «d’intéressant», Marie-Hélène Vandersmissen signale que ce SRB « permettrait de desservir l’axe est-ouest sur la rive sud en plus de relier les pôles d’activité situés à l’ouest des deux rives et [...] pourrait jouer un rôle structurant en termes d’aménagement».
Dominic Villeneuve va plus loin en soutenant qu’il s’agit là de «la meilleure proposition» sur la table. «Elle a l’avantage d’être plus rapide à mettre en place et de pouvoir se baser sur les études antérieures bien avancées pour le SRB originel. De plus, elle répond aux besoins de mobilité connus». L’accueil très froid du maire de Lévis, Gilles Lehouillier, peut toutefois rendre le projet «plus difficile à réaliser», convient l’expert.
D’après Fanny Tremblay-Racicot, de l’ÉNAP, «la seule proposition qui se tienne est celle du SRB sur le pont de Québec, car elle était inscrite au Plan métropolitain d’aménagement et de développement de 2012, dont les propositions visant à réduire la congestion n’ont jamais été mises en œuvre».
Les deux ponts des conservateurs

■ Deux ponts avec une autoroute traversant l’île d’Orléans.
■ Le nouveau pont au nord de l’île serait prêt en 2027 (comme c’est prévu) et la seconde infrastructure verrait le jour en 2030.
■ Le coût serait compris entre 3 et 5 G$.
■ Le nombre de voies de circulation n’est pas spécifié.
Il s’agit d’un «très mauvais projet avec encore plus d’impacts négatifs que le troisième lien de la CAQ», tonne Marie-Hélène Vandersmissen.
Cette dernière pointe «la destruction du paysage patrimonial de l’île d’Orléans, les impacts environnementaux, l’impact sur l’utilisation du sol [terres agricoles de l’île et de la rive sud], l’étalement urbain. [Tout ça] sans pour autant régler le problème de congestion. Bien au contraire».
De son côté, Dominic Villeneuve soutient que «le projet des conservateurs est le moins convaincant. Il n’y a aucune mesure pour le transport en commun, il ne relie pas l’ouest des deux rives et il contribuera le plus à l’étalement urbain. En plus, le projet empiète sur le patrimoine de l’île d’Orléans et met en danger les terres agricoles».
L’expert émet un bémol. «Le seul point que l’on peut accorder comme étant mieux que le projet de la CAQ, c’est que ce projet est un peu plus crédible pour “servir la circulation” de la Côte-Nord au Bas-du-Fleuve. Mais ce besoin reste à démontrer», avance-t-il.
Le tramway des libéraux

■ Une future (troisième) ligne du tramway de Québec se rendra jusqu’à Lévis.
■ Des experts devront préciser le trajet et les modalités exactes.
■ Le coût n’a pas été dévoilé.
■ L’idée d’un tunnel sous-fluvial pour faire passer ce lien nord-sud n’est pas exclue.
■ D’autres détails devraient être communiqués d’ici le 3 octobre.
Dominic Villeneuve, professeur adjoint en transport et mobilité à l’ÉSAD, qualifie ce projet «d’extrêmement flou sauf sur la technologie à favoriser». Favorable au principe d’un tramway qui peut inciter une partie de la population à abandonner la voiture, le spécialiste note «qu’on ne précise pas ici si la traversée sera par les ponts ou par un tunnel ni d’où elle s’effectuera. Sans budget, ni échéancier, ni plan précis, c’est sûr que ça ne sera pas demain que ça sera mis en œuvre».
Cela dit, «ce projet a l’avantage de ne pas ajouter de capacité aux autoroutes et d’être exclusivement dédié au transport en commun», insiste-t-il.
Aux yeux de Marie-Hélène Vandersmissen, directrice du Département de géographie à l’Université Laval, la suggestion libérale est «intéressante, mais encore très vague, notamment pour le lieu de la traversée du fleuve».
Jean Dubé, professeur à l’ÉSAD et coauteur d’un livre portant sur les controverses entourant le transport à Québec, juge – de façon générale – que «la seule option qui semble intéressante avec le troisième lien sous-fluvial est l’option du transport en commun uniquement».
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