Quatre anesthésistes de l’hôpital Royal Victoria devant le Collège des médecins du Québec pour des pratiques douteuses
Un des médecins a témoigné comme expert pour la Couronne dans un procès criminel en octobre

Laurent Lavoie
Prescription à l’aveugle, évaluations médicales incomplètes: quatre anesthésistes accusés d’avoir eu des pratiques douteuses à l’hôpital Royal-Victoria doivent maintenant s’expliquer devant le Collège des médecins du Québec.
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«La circonstance exceptionnelle, c’est le fait qu’il y ait plusieurs personnes d’un même département qui soient visées par une plainte», a récemment souligné en audience Me François Daoust, qui représentait le syndic devant le conseil de discipline du Collège des médecins du Québec.
Le Dr Thomas Schricker plaidait alors coupable d’avoir entre autres effectué des suivis médicaux inadéquats et d’avoir omis d’intégrer d’importantes informations dans des dossiers de patients.
Bien connu dans le monde médical montréalais, il a été directeur du département d’anesthésie à l’hôpital Royal Victoria, avant de devenir en 2016 anesthésiste en chef du Centre universitaire de santé McGill (CUSM).

Désormais directeur du département d’anesthésie à la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université McGill, il a témoigné en octobre dernier comme témoin pour la Couronne dans le procès hautement médiatisé d’une ex-anesthésiste accusée de l’homicide involontaire d’un patient.
Cela survenait alors qu’il est visé dans une poursuite de 1,4 M$ pour la mort nébuleuse d’une patiente, comme le révélait hier notre Bureau d’enquête.
Voilà qu’à la fin novembre, le conseil de discipline a pris en délibéré une recommandation conjointe voulant que le Dr Schricker soit radié trois mois.
Pour éviter un bris de service à Royal Victoria, la sanction entrerait en vigueur quand un autre collègue, le Dr Ralph Bernd Lattermann, aura complété sa propre radiation d’un mois pour avoir prescrit du fentanyl à un patient sans le rencontrer.
Tensions internes
Selon des sources qui se sont confiées au Journal ainsi qu’à notre Bureau d’enquête, les Drs Schricker et Lattermann font partie d’un groupe d’anesthésistes qui a été à l’origine d’importantes tensions pendant plusieurs années à l’hôpital Royal-Victoria.
Deux anesthésistes d’expérience aussi écorchés par ces critiques, Thierry Daloze et Caroline Goyer, devront d’ailleurs se défendre devant le conseil de discipline en février 2025 (voir encadré).

Parmi les sources de conflits, on rapporte une pratique qui aurait porté un risque pour la sécurité des patients.
Des anesthésistes vaquaient à d'autres occupations et déléguaient temporairement leurs interventions à d’autres collègues, qui se retrouvaient à surveiller plusieurs salles d’opération en même temps.
Rappelons qu’en plus d’avoir la charge de la douleur ressentie par les patients, les anesthésistes doivent être en mesure d’intervenir rapidement en cas de réanimation.
Malgré des plaintes, la direction de l’hôpital ne serait pas intervenue.
Pratique usuelle
Les infractions commises par le Dr Schricker sur trois patients, en décembre 2018, offrent un échantillon des autres lacunes observées au sein du département, selon nos informations.
Le Dr Schricker a, par exemple, mal évalué un individu aux prises avec de graves problèmes de santé nécessitant de l’oxygène supplémentaire aux poumons en continu. Faute de suivi, l’homme a été plus tard transporté à la salle de réveil sans prescription d’aide respiratoire.

Pire encore, «conformément à sa pratique usuelle, l’intimé a signé le congé du patient sans le revoir ni l’évaluer», lit-on dans un résumé de l’affaire.
On indique également que le Dr Schricker a omis de noter des données mesurant l’évolution de la santé d’une patiente lors d’une anesthésie.
«Ces paramètres sont importants, car ils représentent des indices précoces d’une insuffisance respiratoire et d’une sédation trop profonde lors d’administration d’oxygène», explique-t-on.

Le CUSM, qui chapeaute l'Hôpita Royal Victoria, n’a pas répondu à nos questions.
Néanmoins, une décision du conseil de discipline révèle certaines mesures récemment prises en anesthésie, comme un changement des gabarits d’ordonnances médicales.
Une «réflexion institutionnelle sur la présignature de documents» a aussi été lancée.
Qui sont ces anesthésistes de l’hôpital Royal Victoria?

Thomas Schricker
Anesthésiologiste depuis 2008
Nommé anesthésiste en chef du CUSM en 2016
Directeur du département d’anesthésie à la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université McGill
A plaidé coupable à:
- Évaluation préanesthésique incomplète et insuffisante;
- Défaut de surveiller et d’évaluer adéquatement les paramètres cliniques et les signes vitaux;
- Défaut d’effectuer le suivi médical requis, omettant notamment de prescrire de l’oxygène à un patient durant son transport;
- Signature à blanc sans rencontrer ni évaluer un patient;
- Omission d’inscrire des observations médicales au dossier du patient.
Suggestion commune de trois mois prise en délibéré par le conseil de discipline.
Ralph Bernd Lattermann

Anesthésiologiste depuis 2011
A plaidé coupable à l’infraction suivante:
- Signature à blanc de l’évaluation préanesthésie, du protocole anesthésique, d’une ordonnance de fentanyl et d’une autorisation de congé, sans avoir évalué le patient ni l’avoir rencontré.
Un mois de radiation.
Thierry Daloze
Anesthésiologiste depuis 1997
Chef du département à Royal Victoria de 2016 à 2020
Infraction reprochée:
- Défaut d’exercer selon la norme reconnue.
Audiences en février 2025.
Caroline Goyer

Anesthésiologiste depuis 2000
Cheffe du département à Royal Victoria depuis 2020
Infractions reprochées:
- Défaut d’assurer la prise en charge ou le suivi adéquat;
- Défaut d’exercer selon la norme reconnue;
- Traitement ou intervention inapproprié ou non justifié;
- Facturation déraisonnable ou non justifiée de services non assurés.
Audiences en février 2025.
Thierry Daloze
Anesthésiste depuis 1997
- Chef du département à Royal Victoria de 2016 à 2020
- On lui reproche de ne pas avoir respecté les normes de pratique
- Des audiences sont prévues en février.
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