Elle voulait tomber enceinte: morte à 33 ans dans des circonstances troublantes à l'Hôpital Royal Victoria
«Si vous aviez fait votre travail, ma fille ne serait pas dans sa tombe»: Une famille réclame 1,4 M$ à un hôpital et des médecins

Éric Yvan Lemay
Une jeune femme qui voulait tomber enceinte est morte dans des circonstances troublantes à l’Hôpital Royal Victoria après une opération de routine, a découvert notre Bureau d’enquête.
La famille et le mari de Joëlle Audrey Glan réclament une somme de 1,4 million $ à la suite de son décès subit lors d’une simple chirurgie pour retirer un fibrome à l’utérus.
Au-delà de l’argent, ils souhaitent surtout obtenir des réponses concernant la série de problèmes qui ont mené à son tragique arrêt cardiaque survenu le 6 août 2021.
«Les médecins me disaient qu’elle avait manqué d’oxygène, qu’elle était aux soins intensifs. Je ne comprenais rien», raconte son conjoint, Yannick Hébert, en se remémorant péniblement cette triste journée.

Les enquêtes du coroner, de l’hôpital et du Collège des médecins n’ont pas permis de clarifier hors de tout doute ce qui s’était passé.
La famille de la patiente est donc restée dans le noir, jusqu’à ce que M. Hébert reçoive une lettre anonyme détaillant certains manquements qui se seraient déroulés lors de l’opération.
On sait aussi que l’anesthésiste ne se trouvait pas dans la salle au moment de l’arrêt cardiaque et que certaines informations importantes n’ont pas été inscrites dans le dossier médical (voir autres textes). Ce problème de documentation «vient poser un risque pour la sécurité des patients», soutient Me Patrick Martin-Ménard qui représente la famille.

Elle voulait un enfant
La jeune femme avait décidé de passer sous le bistouri dans le but de tomber enceinte. Dans les mois précédents, elle et son mari avaient multiplié en vain les démarches.
«Elle était convaincue que cette chirurgie-là allait lui permettre d’avoir des enfants», dit celui qui l’a épousée en 2016.
Or, elle a plutôt quitté le bloc opératoire inconsciente. Elle a été maintenue en vie artificiellement pendant une vingtaine de jours avant que la famille se résigne à ce qu’on la débranche.

Selon la poursuite, une importante quantité de liquide s’est accumulée dans les poumons de la patiente lors de l’opération. Malgré les tentatives, il a été impossible de l’intuber. L’équipe du bloc opératoire a pratiqué des techniques de réanimation pendant près de 45 minutes, la laissant avec des lésions cérébrales graves qui ont mené à son décès le 27 août.
Le même jour, un médecin a approché Lucine Ekomano, la mère de Mme Glan, et lui a suggéré de contacter le Collège des médecins pour savoir ce qui s’est passé.

«C’est très difficile de faire le deuil. Je vois les amies d’Audrey qui ont des enfants. Je suis très malheureuse, parce que j’aurais voulu qu’elle aussi, elle soit maman», confie Mme Ekomano, qui réside en France.
Pressentiment
Elle raconte que sa fille s’était établie en 2009 au Québec pour ses études. Lorsqu’elle lui a parlé le matin de la chirurgie, elle avait un mauvais pressentiment.
«Elle m’a dit: “dès que je sors, je t’appelle”. Mais, elle n’est jamais sortie», raconte-t-elle en réprimant un sanglot.

Dans les jours suivants, elle a pris l’avion et a remué ciel et terre pour obtenir des réponses. Une rencontre avec le personnel du bloc opératoire l’a laissée sur sa faim puisque personne ne semblait savoir ce qui était arrivé.
«Si vous aviez fait votre travail, ma fille ne serait pas dans sa tombe», a-t-elle dit à une infirmière.
La direction de l'établissement assure qu'un rapport d'évaluation de la Direction de la qualité a été fait et que plusieurs recommandations ont été mises en œuvre.
«Nous comprenons à quel point cette période doit être difficile pour la famille et nous lui présentons nos plus sincères condoléances. Cette affaire étant présentement devant les tribunaux, nous ne pouvons émettre de commentaires pour le moment», écrit la conseillère en relation médias Annie-Claire Fournier dans une déclaration transmise à TVA Nouvelles.
-Avec la collaboration d'Andy St-André
Lettre anonyme
Six mois après la mort de sa femme, Yannick Hébert a reçu par la poste une lettre anonyme dans laquelle on parlait de fautes professionnelles et de détails troublants sur les circonstances du décès.
La lettre indiquait qu’une quantité importante de liquide s’était répandue dans les vaisseaux sanguins et les poumons sans qu’on arrête la chirurgie.
«Un tel déficit hydrique serait un risque bien connu de provoquer la mort d’un patient. Le reste de l’histoire est un camouflage», concluait la lettre, dont on ignore toujours la provenance.
Manque de rigueur
Le Collège des médecins déplore un manque de rigueur de la part des différents intervenants dans le dossier. Une situation qui n’a pas permis de déterminer si des médecins impliqués auraient commis des fautes professionnelles.
«Comment expliquer que des informations aussi factuelles que l’heure du début de la chirurgie, de l’anesthésie ou encore l’heure à laquelle la désaturation s’est manifestée divergent autant entre les informations versées au dossier par différents professionnels?» questionne le Dr Steven Lapointe dans une lettre dont notre Bureau d’enquête a obtenu copie.

Celui qui est syndic adjoint au Collège des médecins indique notamment que l’anesthésiologiste n’était pas dans la salle où l’intervention se déroulait. Combien de temps lui a-t-il fallu pour revenir auprès de la patiente lors des complications? Le Dr Lapointe dit ne pas avoir été en mesure de le déterminer.
Il a recommandé une visite d’inspection des départements d’anesthésie et de gynécologie en contexte opératoire.
Cependant, aucune plainte n’a été déposée contre les médecins en lien avec les évènements survenus ce jour-là.
«Nous sommes en présence d’un problème de nature systémique sans pouvoir établir la responsabilité particulière d’un individu», indique le syndic adjoint.
Le coroner critique
Le coroner qui a enquêté sur le dossier de Joëlle Audrey Glan a constaté plusieurs anomalies dans les notes prises par le personnel du bloc opératoire.
Le Dr Jean Brochu a lui-même décidé de déclencher une enquête une dizaine de jours après la mort, au moment où le corps devait être rapatrié en France pour son dernier repos.
Dans son rapport, il écrit qu’il n’y a eu aucun rapport d’incident/accident, que le suivi de l’anesthésie durant l’opération n’était pas assez précis et qu’il n’y a pas de note rédigée par l’anesthésiologiste. Une information contredite par le Centre universitaire de santé McGill qui soutient qu'un rapport d'incident et une note de l'anesthésiste ont bel et bien été produits.

De plus, le coroner indique que le compte-rendu de chaque intervenant présent dans la salle de chirurgie, avec leurs décisions et leurs observations, ne semble pas avoir été consigné de façon précise.
En partie à cause de ces informations manquantes, «on ignore donc ce qui a causé les problèmes respiratoires et l’arrêt cardiaque de Mme Glan durant la chirurgie», écrit le Dr Brochu.
Le coroner recommande à l’hôpital de réviser la qualité de la prise en charge de la patiente et d’apporter des correctifs le cas échéant. Il demande aussi de s’assurer qu’un rapport de déclaration d’incident soit rempli dans ce genre de situation, comme le prévoit la Loi sur la santé et les services sociaux.
La COVID-19 en cause?
Le CUSM croit que Joëlle Audrey Glan est décédée suite à une réaction inflammatoire extrêmement rare.
«Selon la littérature scientifique, une complication sévère de cette nature survient dans environ 3 cas sur 17 000», a écrit la Dre Claudine Lamarre, de la Direction des services professionnels du CUSM, dans une lettre adressée à la famille.
Selon l’hôpital, cette réaction aurait été amplifiée par les poumons fragilisés de la patiente à la suite d’une infection à la COVID-19 survenue deux mois plus tôt. Mme Glan avait alors été hospitalisée à l’Hôpital de Saint-Eustache.

Selon la poursuite, un courriel aurait ensuite été envoyé au médecin qui devait l’opérer pour lui dire qu’elle avait notamment reçu une transfusion de sang.
On a toutefois jugé qu’elle pouvait être opérée quand même. Selon l’hôpital, les standards de l’époque ont été respectés puisqu’il s’était écoulé plus de six semaines entre les deux hospitalisations.
Sans reconnaître de torts, la Dre Lamarre mentionne que plusieurs changements ont eu lieu après ce triste décès. On a notamment formé le personnel sur la quantité maximale de liquide pouvant être administrée durant ce type d’intervention et rappelé l’importance d’une bonne documentation.
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