Viral sur les réseaux sociaux, voici pourquoi «l’homme performatif» fait tant jaser
Juliette de Lamberterie
Si vous vous identifiez comme chroniquement en ligne, impossible que vous n'ayez pas vu passer des mèmes en tous genres sur une catégorie d'hommes très spécifique: le performative male, ou l'homme performatif. Vous en connaissez? Eh bien, aujourd’hui, c'est leur chance de briller.
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Les mèmes version starter-packs – des collages qui présentent des objets et accessoires associés à un type de personnalité – brossant le portrait de «l’homme performatif» sont partout en ligne ces jours-ci. Si vous avez mieux à faire de vos journées que scroller l’Internet (bravo!), voici comment ce spécimen est communément décrit:
Il est couvert de petits tatouages mignons.
Il porte un tote bag en toile, de préférence sourcé d’une librairie ou d’une épicerie indépendante.
Il lit un livre féministe en terrasse, mais seulement quelques pages par heure.
Il porte des colliers de perle ou des bagues en argent.
Il a toujours ses écouteurs à fil enroulés autour du cou.
Et bien plus encore. En fait, l’appellation performative male est simplement le nom actualisé d’un vieil archétype. Comme un utilisateur de Reddit le résume bien: «Ce n’est que le nouveau terme pour un concept intemporel: le poser.»
Qu’est-ce qu’on lui reproche?
Au premier abord, rien qui cloche. On le sait, les jeunes hommes sont aujourd’hui vite guidés vers un puissant écosystème masculiniste en ligne, et on observe déjà une montée de la misogynie décomplexée dans les salles de classe d’adolescents. Dans ces cercles, les normes de genre traditionnelles sont de mise. Positif, donc, qu’un groupe d’hommes soit fier de soigner leur apparence, d’adopter des comportements perçus comme féminins et de cultiver leur esprit critique. Non?
Entre en jeu la performance. Pour beaucoup de femmes qui naviguent le dating hétérosexuel, certains de ces hommes n’adoptent cette sensibilité qu’en façade. Ils aiment la musique indie, mais monologuent dessus pendant des heures, sans laisser leur date en placer une. Ils se disent émotionnellement intelligents, mais refusent de mettre un préservatif. Ils exhibent la belle couverture rouge de leur exemplaire d’All About Love de bell hooks, mais sont incapables d'officialiser leur relation à long terme, adeptes de la non-monogamie «éthique».
En résumé, un «performative man», c’est un homme qui s’adonne à des activités codées comme féminines dans le seul but d’attirer les femmes, sans réelle sincérité ou envie de les comprendre.
Un concours à Montréal
Le terme a explosé dans les dernières semaines grâce à la tenue d’un premier concours de performative male, à Seattle, le 1er août. Il s’inscrit d’ailleurs dans la popularité des concours de ressemblance où les sosies de diverses vedettes comme Timothée Chalamet ou Pedro Pascal étaient invités à se rassembler dans un parc pour qu’une foule élise le parfait lookalike.
witnessed history at the timothée chalamet lookalike contest pic.twitter.com/dYWqpH5zCi
— jules (@JD_NYC1998) October 27, 2024
Pour le concours d’hommes performatifs, toutefois, une couche d’ironie en plus entre en jeu. Ce n’est pas simplement celui qui adhère esthétiquement le plus à l’archétype qui gagne, mais aussi celui qui incarne le plus cet air hypocrite. Comme Seattle Gay News le rapporte, «ceux jugés assez “performatifs” étaient applaudis, tandis que d’autres, malheureusement trop sincères, étaient hués».
Le concours de performative male à New York
Ce genre de concours tire donc plus vers le comique qu’autre chose, puisqu’il récompense ceux capables d’être doublement conscients d’eux-mêmes, d’offrir «une performance d’une performance».
Et tenez-vous prêtes, un tel concours prendra place à Montréal aujourd’hui, au Parc Jeanne-Mance! L’affiche, postée sur Instagram au début de la semaine, récolte déjà presque 200 commentaires. Les réponses sont unanimes: Montréal est la ville parfaite pour l’événement, avec ses hordes de DJs, de designer graphiques et d’employés de chez Ssence.
Exister en paix
Il y a quelques mois, une photo devenait virale: celle d’un jeune homme calé sur un coussin dans le cadre de sa fenêtre ouverte, un jour d’été, lisant un livre. Elle est vite devenue un mème, avec la description «You’re not a vibe, bro (tu n’es pas un vibe, mec), désignant sa mise en scène cliché. «Comment est-il performatif, s’il est juste chez lui? Pour qui performe-t-il?» commentait un utilisateur.
utterly obsessed with this pic/caption at the moment. “u r not a vibe bro” communicates an accusation of performativity and then the assertion that the performance isn’t convincing in just six words. the emojis give it a lighthearted tone. it’s simply a masterful gambit. pic.twitter.com/JmAlvSIE9W
— quasimatt (@quasimatt) September 26, 2024
Il semble juste de dire qu’alors que chacun est maintenant à risque d’être filmé dans l’espace public ou parfois même privé pour devenir la nouvelle référence virale du Web, la notion de performance se floute. Prenons la littérature: un jeune homme clairement désintéressé par son roman à la mode, tout en en brandissant haut la couverture, nous fait rire.
@betches there's something very...attractive...about this // credit/permission: @finnharryy #boy #boys #hotboy #read #reader #bookish #bookworm ♬ original sound - Betches
En même temps, on le sait, les hommes lisent moins de romans que les femmes, pourtant essentiels au développement de l’empathie et d’une curiosité envers les autres. Personne n'a intérêt à ce qu'ils arrêtent de lire, évidemment. Ce cri à la performance incarne plutôt particulièrement bien le cynisme actuel autour des relations homme-femme, mais aussi notre climat de surveillance où tout le monde s’observe, prêts à se catégoriser les uns les autres.
Finalement, ces concours de performative males sont populaires pour la critique de ces individus qui résonnent chez les femmes, mais aussi pour leur esprit bon-enfant. Ces hommes pas encore abandonnées à des idéaux extrémistes, même si «performatifs» pour certains, expriment de l’intérêt pour les enjeux des femmes et pour une certaine déconstruction de leur masculinité. En 2025, donc, pas si surprenant qu’on s'en moque gentiment à l'occasion d'événements, en partie dans l’espoir de les garder dans notre camp, de cultiver leur humilité et d'entretenir une communauté. Parce qu'un homme qui sait prendre la blague, c’en est un qui peut encore évoluer...