Publicité
L'article provient de TVA Nouvelles
Justice et faits divers

Profilage racial: fini les interceptions sans motif, ordonne un juge

Partager

Michaël Nguyen | Journal de Montréal

2022-10-25T19:16:07Z
2022-10-26T19:19:23Z
Partager

Les policiers ne pourront plus intercepter sans motif des automobilistes, vient d’ordonner la Cour supérieure dans un dossier intenté par un jeune Noir qui se faisait arrêter des policiers qui voulaient juste pour vérifier ses papiers. 

• À lire aussi: Prochain chef de police: un bon communicateur qui mettra fin à la violence armée

«On ne peut pas comme société attendre qu’une partie de la population continue de souffrir en silence [...]. Le profilage racial existe bel et bien. Ce n’est pas une abstraction construite en laboratoire. Ce n’est pas une vue de l’esprit. C’est une réalité qui pèse de tout son poids sur les collectivités noires», a commenté le juge Michel Yergeau au palais de justice de Montréal.

Ce faisant, il a déclaré que «la règle de droit autorisant les interceptions routières sans motif réel [...] viole les droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés».

Dans sa décision excessivement fouillée, le juge Yergeau a rappelé que le profilage racial est «vécu comme un stigmate par les collectivités noires».

«Il marque à la fois le cœur et l’esprit de leurs membres qui perçoivent très tôt dans la vie que la loi ne s’applique pas à eux comme aux autres et que la liberté n’est pas garantie de la même façon selon qu’on est noir ou blanc», a-t-il entre autres mentionné. 

Publicité

Rappelant que le pouvoir discrétionnaire d’intercepter des automobilistes était «arbitraire» et qu’il ne reposait que sur «l’intuition» des forces de l’ordre, le juge a rappelé que «le profilage racial s’exerce ainsi de façon insidieuse, sans que le policier ne soit pour autant mû par des valeurs racistes».

Interpellations sans raison

Dans cette affaire, le juge était saisi d’une demande intentée par Joseph-Christopher Luamba, un étudiant d’origine haïtienne dans la jeune vingtaine. À trois reprises en à peine plus d’un an, il s’était fait intercepter sans motifs. Après s’être identifié, il était chaque fois libéré sans constat d’infraction.

Lors du procès, plusieurs autres personnes ont témoigné avoir fait l’objet d’un tel traitement. Et il s’est avéré qu’elles étaient toutes noires.

 Écoutez l'entrevue avec l’ex-enquêteur du SPVM André Gélinas à l’émission de Richard Martineau diffusée chaque jour en direct 9 h 05 via QUB radio : 

«Pour banales qu’elles puissent paraître, ces interceptions routières se révèlent intolérables aux intéressés puisqu’elles reposent sur des apparences et des préjugés plus ou moins conscients associés à la couleur de leur peau plutôt que sur un objectif de sécurité routière», a dit le juge.

Or, après analyse, il a conclu que la règle autorisant les interceptions sans motifs n’avait plus lieu d’être, puisqu’elles violaient la Charte. Et que si les policiers ne voulaient pas changer leur façon de faire, il fallait les forcer.

Publicité

«Les droits garantis par la Charte ne peuvent être laissés plus longtemps à la remorque d’un improbable moment d’épiphanie des forces policières, a tranché le juge. L’éthique et la justice doivent se donner la main pour tourner cette page».

Justice modernisée

Pour l’avocate Me Arij Riahi, qui a fait partie d’une équipe de recherche ayant produit une expertise dans le dossier, la décision du juge Yergeau n’est rien de moins qu’une «nouvelle réforme qui ne s’est pas vue depuis longtemps».

C’est qu’en 1990, la Cour suprême avait autorisé les interceptions d’automobilistes sans motifs. Or, les juges minoritaires avaient prévenu que des faits sociaux nouveaux pouvaient faire changer la donne.

Et c’est exactement ce qui est arrivé. Car en 2019, le plus haut tribunal du pays a appelé tous les juges à comprendre la question du profilage racial.

«La décision du juge Yergeau est en quelque sorte une mise à jour [du droit]», explique Me Riahi.

Elle se dit toutefois certaine que l’affaire ne s’arrêtera pas là, et qu’elle sera rapidement portée en appel. 

Lors du procès, le ministère public avait assuré que des mesures avaient été prises pour combattre le profilage racial et que les policiers étaient maintenant formés «pour ne pas tenir compte des considérations raciales ou sociales» lors des interceptions aléatoires.

Dans sa décision, le juge a donné six mois aux autorités pour mettre fin à leur pratique de contrôle routier aléatoire.

Publicité
Publicité