Pris au piège par la Chine autoritaire
Le pays empêche certains Canadiens de quitter son territoire et en emprisonne d’autres injustement

Nora T. Lamontagne
Un homme d’affaires québécois visé par un interdit de sortie de la Chine après une dispute commerciale met en garde ses compatriotes intéressés à y faire des affaires.
• À lire aussi - Chine: le fric avant tout
« Il n’y a pas de limites à ce que [les Chinois] peuvent faire quand il y a un problème entre partenaires. C’est important que les chefs d’entreprise le réalisent », martèle Fabien, un prénom fictif pour taire son identité et lui éviter de nouvelles représailles.
L’entrepreneur en ingénierie-construction l’a appris à ses dépens il y a trois ans et demi, en tentant de quitter la Chine continentale pour un voyage d’affaires.
Les douaniers lui ont alors annoncé qu’un juge avait décrété, six mois plus tôt, un interdit de sortie (exit ban) d’une durée indéterminée à son égard, à la suite de frictions avec son associé chinois.
Une lettre l’a ensuite informé qu’il était privé d’acheter quoi que ce soit « de luxe », comme une place en première classe dans un train ou l’école privée pour son enfant.
Depuis, il a perdu tout statut légal en Chine en dépassant la durée de son visa. Il craint maintenant de se faire déporter au Canada, ce qui l’éloignerait de sa femme, d’origine chinoise, et de leur enfant né en Chine, pendant au minimum cinq ans.
« Mes parents ont 90 ans, mon père n’est vraiment pas en santé... C’est sûr que j’aimerais retourner à Montréal. Mais la vraie problématique, c’est la peur constante d’être emprisonné et déporté », dit-il.
115 détenus canadiens
Fabien est loin d’être le seul à faire les frais du système de justice chinois.
Selon Affaires mondiales Canada, 115 Canadiens sont encore plus mal pris que lui en étant emprisonnés alors même que les Canadiens Michael Spavor et Michael Kovrig viennent d’être relâchés dans la saga Huawei.
« Disons que l’équité des procédures en Chine n’est pas à la hauteur des standards internationaux », affirme Charles Burton, ex-diplomate canadien posté à Beijing.
À titre d’exemple, la Chine détient depuis 2006 Huseyin Celil, un prisonnier politique d’origine ouïgoure, et depuis 2017 Sun Qian, une pratiquante du Falun Gong, une religion considérée là-bas comme une secte.
Sévèrement punis
La plupart des autres prisonniers ayant la nationalité canadienne ont été reconnus coupables de crimes financiers ou reliés au trafic de drogue, poursuit M. Burton, membre de l’Institut Macdonald-Laurier, un institut de politiques publiques.
Quatre d’entre eux font même face à la peine de mort pour des histoires de stupéfiants, un crime que la Chine punit sévèrement. Robert Schellenberg, de la Colombie-Britannique, est l’un d’entre eux. Sa condamnation est passée de 15 ans de détention à la peine de mort en 2019.
« C’est une forme de pression politique sur le Canada. Maintenant, je me demande si les choses vont changer pour lui avec le retour de Meng Wanzhou [dirigeante de Huawei détenue au Canada] en Chine », dit David Webster, professeur à l’Université Bishop’s, spécialiste de l’histoire de la Chine.
Un prisonnier qui mérite aussi l’attention
La femme d’un prisonnier politique détenu en Chine depuis 15 ans voudrait que le gouvernement canadien en fasse autant pour sa libération que pour celle des « deux Michael ».
« Pourquoi est-ce que son cas n’a pas reçu autant d’attention ? Est-ce que c’est parce qu’il est musulman, parce qu’il est de la minorité ouïgoure ? » demande Kamila Telendibaeva, la femme d’Huseyin Celil, 52 ans.
Militant pour les droits de la minorité ouïgoure, son mari a été arrêté en 2006 pendant un voyage en Ouzbékistan, à la demande de la Chine, puis déporté.
Il a été accusé de « terrorisme haineux » et condamné à la prison à vie, une sentence qui a été par la suite réduite à 20 ans de détention.
Sa femme et ses quatre fils — dont deux nés au Canada — sont sans nouvelles de lui depuis 2017, moment où le régime chinois a durci sa répression envers la communauté ouïgoure.
« Le Canada a prouvé qu’il pouvait négocier avec la Chine [avec la libération des deux Michael]. À partir de maintenant, je vais insister encore plus, jusqu’à ce que Huseyin revienne à la maison », affirme d’un ton décidé Mme Telendibaeva, qui habite Brompton, en Ontario.
Privé de visites
Charles Burton, un ancien employé de l’ambassade canadienne en Chine, regrette que le pays n’ait pas fait plus pour lui.
« Le gouvernement chinois ne nous a pas permis de le visiter en prison sous prétexte qu’il n’était pas canadien, ce qu’on n’a pas assez contesté, à mon avis », dit-il.
En 2019, l’ambassadeur du Canada en Chine, Dominic Barton, avait d’ailleurs faussement affirmé que M. Celil n’était pas citoyen, alors qu’il a la double nationalité.
Cet épisode fait encore bouillir de rage Mme Telendibaeva, qui y voit le désintérêt du gouvernement canadien pour le cas de son époux.
Espoir déçu
Bien qu’elle se réjouisse de la libération récente des Canadiens Michael Spavor et Michael Kovrig dans la foulée de l’affaire Huawei, elle entretenait un mince espoir que son mari serait du même vol de retour.
« Les derniers jours ont été très frustrants, très difficiles », laisse-t-elle tomber.