Philippe Boxho: faire parler les morts, un médecin légiste démystifie son métier

Paul Therrien
Après trois décennies à pratiquer son métier et plus de 4000 dossiers d’enquête, le Dr Philippe Boxho, médecin légiste en Belgique, est devenu un auteur à succès. À travers ses livres, il raconte avec un humour noir et de manière pédagogique les dessous de la médecine légale et du monde des autopsies, grâce à des histoires inspirées de cas réels. Nous avons discuté avec lui de son parcours atypique. Voici une plongée fascinante, humaine et lucide dans l’univers de ceux qui parlent sans mots.
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Comment êtes-vous devenu médecin légiste?
Par hasard, comme pour beaucoup de choses dans ma vie. À 18 ans, je me destinais à la prêtrise, figurez-vous! Mais après réflexion, j’ai hésité entre le droit et la médecine : j’ai littéralement tiré à pile ou face! C’est la médecin qui l’a emporté. Et c’est durant mes études que je suis tombé sur la médecine légale, presque par accident. J’ai assisté à une autopsie, et ça a fait «clic». C’était évident pour moi que c’était là que je devais être. J’ai tout de même exercé un peu de médecine générale, y compris durant mon service militaire, mais c’est la médecine légale qui m’a passionné. J’aime dire que j’ai préféré faire parler les morts que d’écouter les vivants se plaindre. (rires)
Lorsqu’on pratique un métier comme le vôtre, comment vit-on au quotidien avec la mort?
C’est une question d’approche. Pour moi, un mort n’est pas quelqu’un qui souffre. Il est mort, donc je ne ressens rien. C’est un objet de travail. C’est différent si je connaissais la personne ou si la famille m’a parlé de lui. Avec son histoire, sa vie... Il redevient un être humain à mes yeux. Mais sinon, je garde une distance. Cette neutralité est essentielle pour être objectif. On ne peut pas exercer ce métier en étant dans l’émotion.
Comment avez-vous développé un rapport aussi détaché à la mort?
Ça ne vient pas tout seul. À l’université, j’avais peur de la mort. Mais pour faire ce métier, on doit régler ce problème rapidement. Sinon, on casse. Aujourd’hui, je ne dirais pas que je suis ami avec la mort, mais elle est devenue une connaissance que je croise presque tous les jours. Ce n’est pas une personne, mais plutôt un concept. Si on veut travailler de manière objective, il faut la considérer comme telle. Il faut comprendre que le travail du médecin légiste repose sur des faits, sur des analyses. L’émotion peut fausser le jugement. Cela ne veut pas dire que je n’ai pas d’empathie. Mais au moment de l’autopsie, l'empathie n’a pas sa place.
La mort ne vous fait donc plus peur?
Pas la mort en elle-même. Ce serait absurde d’en avoir peur, puisqu’elle est inévitable. Ce qui me fait peur, comme beaucoup de gens, c’est la manière de mourir. Je n’ai pas envie d’être brûlé vif ou torturé comme au Moyen Âge! Mais mourir? Ça arrivera. Qu’on en ait peur ou non, ça ne changera rien.
Comment avez-vous commencé à écrire, après presque 30 ans à pratiquer votre métier?
Encore une fois, par hasard! Un journaliste est venu m’interviewer pour un sujet de déontologie médicale. Je lui ai raconté quelques anecdotes de médecin légiste et il a éclaté de rire. Il m’a proposé de faire un podcast où je raconterais trois histoires... Cet épisode a été écouté près de 10 millions de fois. Ensuite, un éditeur m’a contacté pour écrire ces histoires. Je lui ai répondu que je ne savais pas écrire, mais que j’allais essayer! Depuis, tout s’est enchaîné. Aujourd’hui, mes livres se sont vendus à plus d’un million d’exemplaires.
Comment expliquez-vous cet engouement des lecteurs pour vos histoires?
Je le demande souvent à mes lecteurs, car je suis moi-même surpris. Ils me disent que les histoires sont courtes, faciles à lire, qu’on peut poser le livre et reprendre sans problème. Ils aiment aussi le ton, qui est à la fois humoristique, cynique et très vulgarisé. J’enseigne depuis 24 ans à des criminologues sans bagage scientifique, dont j’ai appris à tout expliquer clairement en partant de zéro. Et, surtout, ces histoires sont inspirées de cas réels. Ce ne sont pas les histoires exactes, bien sûr – je les transforme par respect éthique, même si ce n’est pas obligatoire –, mais elles sont vraies d’un point de vue médico-légal.
Diriez-vous que vos livres ont une mission?
Oui, clairement. En Belgique, nous manquons cruellement de médecins légistes. C’est un métier en crise, notamment à cause des politiques d’austérité. En publiant ces histoires, j’essaie de faire découvrir ce métier, de le rendre accessible et compréhensible. Si cela peut susciter des vocations ou, au moins, un peu plus de respect pour ce que nous faisons, alors j’aurai réussi quelque chose.
Pensez-vous que la fiction (les séries télé et les films policiers) a brouillé la perception du public sur le métier de médecin légiste?
Beaucoup, oui. Les séries télévisées montrent des médecins légistes jeunes, beaux et des bombes sexy qui résolvent eux-mêmes des enquêtes... La réalité est très différente. Ce que je veux, c’est montrer le vrai métier, avec ses difficultés, ses limites, mais aussi sa beauté: celle de chercher la vérité pour les vivants, à travers les morts.
Vous dites souvent que vous faites «parler les morts». Comment ça se passe, un entretien avec un cadavre?
Le cadavre ne me répond pas avec des mots, évidemment. Mais quand je l’examine, il me parle autrement. Si je lui demande : «Est-ce que tu as été tué?», ce sont les lésions qui vont me répondre. C’est mon rôle de médecin légiste de donner une dernière fois la parole à ce corps, de le faire parler pour comprendre ce qui s’est passé.
Vous avez traité près de 4 000 cas. C’est toujours différent et nouveau?
Toujours. C’est comme une boîte de chocolats: on ne sait jamais sur quoi on va tomber. Je pars parfois avec une idée en tête, et l’autopsie me révèle autre chose. Par exemple, dans un de mes livres, je raconte l’histoire d’un homme retrouvé avec une arme à feu. Tout le monde parlait de suicide, mais j’ai démontré qu'il s'agissait d'un meurtre. Sans autopsie, deux personnes coupables de meurtre seraient libres aujourd’hui: son épouse et son amant. C’est dire l’importance du regard du médecin légiste.
Le plus récent livre de Dr Philippe Boxho, La mort en face, est disponible dès maintenant.
