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L'article provient de Le Journal de Montréal
Santé

Nos hôpitaux en «décrépitude»: l’état des établissements québécois a de quoi inquiéter

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Elisa Cloutier et Charles Mathieu

2025-04-05T04:00:00Z
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Dégâts d’eau, ailes fermées, corridors inadéquats et embourbés et présence de chauves-souris: l’état de nos hôpitaux a de quoi inquiéter et dans plusieurs cas, les bâtiments sont si vieux que la facture pour les rénover serait «astronomique».

• À lire aussi: De vieux hôpitaux de moins en moins attirants pour les nouveaux médecins

Selon des données obtenues par Le Journal auprès de Santé Québec, près de 16% des hôpitaux du Québec se retrouvent avec un indice d’état général au plus bas, récoltant des cotes de D ou E.

Fournie par la Coalition pour un hôpital régional à Drummondville
Fournie par la Coalition pour un hôpital régional à Drummondville

Certains bâtiments, dont un pavillon de l’hôpital Notre-Dame et deux de l’Institut national en psychiatrie légale Philippe-Pinel de Montréal, ont même un indice de vétusté de 100 sur 100.

Les hôpitaux et les centres de soins les plus vétustes au Québec
Installation Moyenne de l'indice de vétusté sur 100 Nombre de pavillons ou ailes
Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel 54 11
Hôpital de Mont-Laurier 50 2
Hôtel-Dieu de Sorel 38 9
Centre multi. SSS de Rivière-Rouge 35 1
Centre pédo-psychiatrique - Laval 28 1
CHSLD et CLSC de Palmarolle 28 3
CHSLD et CLSC de Lambton 27 1
Résidence à assistance continue de transition Delage 25 1
Institut universitaire en santé mentale de Montréal 23 5
Centre multi. SSS de Sainte-Agathe 22 3
Hôpital Douglas 19 29
Centre multi. SSS des Escoumins 18 2
Hôpital en santé mentale Albert-Prévost 17 4
CHU Sainte-Justine 16 8
Hôpital Mont-Sinaï 16 1
Source des données : Santé Québec, 2021.
L'indice de vétusté est calculé sur 100. Plus le bâtiment est vétuste, plus le nombre est élevé. Plusieurs hôpitaux et centres de santé ont plus qu'un bâtiment.
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Situation encore pire

Cette statistique, basée sur les plus récentes évaluations des hôpitaux datant 2021, peut sembler peu élevée, mais ne représenterait que la pointe de l’iceberg. La situation est criante à plusieurs endroits qui ont une cote avantageuse comme A.

C’est d’ailleurs cas de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, à Montréal, dont l’état de désuétude suscite l’indignation. Malgré cela, cinq pavillons de cet hôpital obtiennent la note de A, alors qu’un autre récole la note de C. 

La situation est semblable à Drummondville, où Santé Québec accorde les notes A et B pour les différents blocs et pavillons de l’hôpital Sainte-Croix. Mais, son état est si «préoccupant» qu’une coalition réclamant un nouvel hôpital régional a été créée en 2023.

Les employés de l’hôpital Sainte-Croix ont d’ailleurs manifesté en ce sens à deux reprises au cours des dernières années.

«Si ça, ce sont des bâtiments d’hôpitaux A et B, je n’aimerais pas voir les hôpitaux [classés] E. Il faudrait sûrement se promener avec une armure de protection!» s'étonne Robert Pelletier, vice-président de la Coalition.

Le vice-président de la Coalition pour un nouvel hôpital régional à Drummondville, Robert Pelletier.
Le vice-président de la Coalition pour un nouvel hôpital régional à Drummondville, Robert Pelletier. Photo fournie par Robert Pelletier

Les dégâts d’eau sont si fréquents à l’hôpital Sainte-Croix qu’un «code turquoise» a été mis en place pour alerter le personnel lors de tels incidents. «Ça veut dire "Attention, dégât d’eau majeur, il faut mobiliser les gens de toute urgence pour limiter les dégâts et déplacer le matériel"», illustre M. Pelletier. «On répare un bout de tuyau, mais le bout d’à côté, on ne connaît pas son échéance!» lance M. Pelletier, en affirmant que la plomberie et la tuyauterie de l’hôpital sont désuètes. 

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Au début du mois de mars, un important dégât d’eau a endommagé la salle des archives de l’hôpital Sainte-Croix de Drummondville, abîmant plusieurs dossiers confidentiels de patients. La situation s’était aussi produite en 2023.
Au début du mois de mars, un important dégât d’eau a endommagé la salle des archives de l’hôpital Sainte-Croix de Drummondville, abîmant plusieurs dossiers confidentiels de patients. La situation s’était aussi produite en 2023. Photo fournie par la Coalition pour un nouvel hôpital régional à Drummondville

Chaise d’aisance

Par ailleurs, l’automne dernier, la salle de bain du personnel de l’urgence a été condamnée en raison d’un refoulement d’égout. Résultat: une chaise d’aisance a été mise à la disposition des infirmières et des médecins, raconte M. Pelletier.

Qui plus est, la présence d’amiante dans la plupart des murs cause tout un casse-tête lorsque vient le temps de colmater les fuites. 

Médecin de famille depuis 18 ans à l’hôpital de Drummondville, Nancy Durand raconte qu’il y a un dégât d’eau chaque mois, dans le centre hospitalier, causant plusieurs maux de tête au personnel, alors que des secteurs ou des ailes doivent fermer notamment en raison de la présence d’amiante entre les murs de l’hôpital.
Médecin de famille depuis 18 ans à l’hôpital de Drummondville, Nancy Durand raconte qu’il y a un dégât d’eau chaque mois, dans le centre hospitalier, causant plusieurs maux de tête au personnel, alors que des secteurs ou des ailes doivent fermer notamment en raison de la présence d’amiante entre les murs de l’hôpital. Photo fournie par la Dre Nancy Durand

«La pharmacie a coulé encore au mois de mars, ça a coulé dans la clinique de grippe en janvier, ça coule tout le temps quelque part, c’est comme ça», se désole la Dre Nancy Durand, qui travaille au centre hospitalier depuis 18 ans.

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Des chauves-souris sont même capturées «à quelques reprises dans l’année» entre les murs de l’hôpital, affirment-ils.

Personnel «habitué»

«Habitué» à travailler dans de telles conditions, le personnel de la santé est aussi épuisé par les espaces restreints, les chambres à plusieurs patients et les couloirs encombrés, liés à l’âge avancé des hôpitaux, nous indique-t-on.

Une chaise d’aisance a été installée dans cette chambre à quatre patients de l’hôpital de Drummondville. Le patient, en situation d’isolement, devait faire ses besoins dans une chaise d’aisance pour éviter la propagation des virus. Plusieurs employés affirment que les chambres multiples causent d’importants enjeux en ce qui concerne la propagation de virus. Ce type de chambre est toutefois encore bien présent dans plusieurs hôpitaux du Québec.
Une chaise d’aisance a été installée dans cette chambre à quatre patients de l’hôpital de Drummondville. Le patient, en situation d’isolement, devait faire ses besoins dans une chaise d’aisance pour éviter la propagation des virus. Plusieurs employés affirment que les chambres multiples causent d’importants enjeux en ce qui concerne la propagation de virus. Ce type de chambre est toutefois encore bien présent dans plusieurs hôpitaux du Québec. Photo fournie par une source anonyme

«Ce n’est plus adapté aux besoins d’aujourd’hui et les corridors deviennent envahis par des chariots et toutes sortes de choses», déplore Geneviève Viau, du Syndicat des travailleurs en santé et services sociaux CSN des Laurentides.

À l’hôpital de Mont-Laurier, les planchers sont craqués à plusieurs endroits.
À l’hôpital de Mont-Laurier, les planchers sont craqués à plusieurs endroits. Photo fournie par une source anonyme

C’est le cas, entre autres, à l’hôpital de Saint-Jérôme, où plus de 50% de l’établissement devait être rénové. Estimée à près de 450M$, la modernisation de l’hôpital annoncée en 2019 se fait toujours attendre. Selon Santé Québec, les blocs A, B, C, D et J de l’hôpital obtiennent la note d’état général de D.

Plusieurs secteurs de l’hôpital de Saint-Jérôme sont désuets, déplore le syndicat représentant le personnel en soins. Des travaux de réparation sont ici laissés en plan depuis plusieurs semaines.
Plusieurs secteurs de l’hôpital de Saint-Jérôme sont désuets, déplore le syndicat représentant le personnel en soins. Des travaux de réparation sont ici laissés en plan depuis plusieurs semaines. Photo fournie par une source anonyme

Questionnée par Le Journal, Santé Québec n’a pas pu confirmer les prochains travaux de rénovation dans nos hôpitaux, outre des projets d’agrandissement prévus à Mont-Laurier et à l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel. Ceux-ci sont toutefois à l’étape de réalisation des plans et devis.

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Comme leur cote est supérieure à C, les sommes nécessaires pour remettre les hôpitaux de Drummondville et de Maisonneuve-Rosement ne sont pas détaillées par Santé Québec.

Mais, en 2023, le ministre de la Santé, Christian Dubé, annonçait que la reconstruction de Maisonneuve-Rosemont était estimée à 2 milliards$. Il avait ajouté que la facture pour de tels projets atteint souvent «le double du coût de construction».

Piscine sur le «respirateur artificiel»

Le pavillon juvénile de l’hôpital en santé mentale Pierre-Janet de Gatineau obtient l’indice d’état général de D. Dans cette région aussi, un troisième hôpital est réclamé pour répondre à la demande.

Selon Alain Smolynecky, président du Syndicat des travailleurs de la santé CSN de l’Outaouais, des interventions sont faites «régulièrement» auprès de l’administration de l’hôpital pour des questions de sécurité, liées à la vétusté du bâtiment.

Les infiltrations d’eau sont fréquentes dans le tunnel souterrain reliant deux pavillons de l’hôpital en santé mentale Pierre-Janet, critique un employé, sous le couvert de l’anonymat.
Les infiltrations d’eau sont fréquentes dans le tunnel souterrain reliant deux pavillons de l’hôpital en santé mentale Pierre-Janet, critique un employé, sous le couvert de l’anonymat. Photo fournie par une source anonyme

«Juste le souterrain, il y a des infiltrations d’eau. Nous avons aussi une piscine grandement bénéfique pour la clientèle, mais elle fonctionne à la limite. La journée où le système de chauffage ou de pompage va arrêter, ce n’est pas certain qu’ils vont pouvoir la rénover», dit-il.

Ascenseurs en panne

Les ascenseurs causent aussi des maux de tête à l’Hôtel-Dieu de Sorel, qui arrive en troisième position des hôpitaux les plus vétustes au Québec, selon Santé Québec.

«Il n’y a que quatre ascenseurs dans tout l’hôpital et ça fonctionne une fois sur deux. Il faudrait les changer complètement, mais on ne fait que les réparer, puis ça recommence», mentionne Carl Barabé, délégué syndical de la CSN pour les employés du milieu de la santé de la Montérégie-Est.

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Selon lui, «tout, des plafonds aux planchers», mériterait une remise à neuf.

Les récents travaux de peinture n’ont aucunement amélioré la qualité des chambres, ajoute-t-il. «Au lieu de rénover, de moderniser les chambres comme il se doit, ils n’ont mis que des tapisseries de type trompe-l’œil, comme de faux paysages», déplore-t-il.

Des cloches à l’urgence

À l’urgence de l’hôpital du Suroît, à Salaberry-de-Valleyfield, les employés ont récemment distribué des cloches de réception, semblables à celles qu’utilisent les chefs dans les restaurants, aux patients sur civière dans les corridors de l’urgence, vu l’absence de cloches de secours sur les murs.

«C’est notre réalité, c’est complètement ridicule», s’insurge de son côté Nancy Quenneville, présidente du Syndicat canadien de la fonction publique 3247, représentant les employés de l’établissement. Les différents pavillons de l’hôpital obtiennent les notes de A, B, C, D et E.

À l’hôpital du Suroît, l’absence de cloches sur les murs de l’urgence, où des patients sont hospitalisés sur civière, force le personnel à mettre des notes autocollantes sur les cellulaires des patients, munies du numéro d’une agente administrative qui pourra envoyer une infirmière ou un préposé aux bénéficiaires en cas d’urgence. «Ça n’a pas de sens», déplore le syndicat.
À l’hôpital du Suroît, l’absence de cloches sur les murs de l’urgence, où des patients sont hospitalisés sur civière, force le personnel à mettre des notes autocollantes sur les cellulaires des patients, munies du numéro d’une agente administrative qui pourra envoyer une infirmière ou un préposé aux bénéficiaires en cas d’urgence. «Ça n’a pas de sens», déplore le syndicat. Photo fournie par une source anonyme

Constatant les lacunes de cette méthode parce que des patients partaient avec lesdites cloches, le personnel appose désormais des post-it sur les cellulaires des patients, comprenant le numéro d’une agente administrative au poste des infirmières. «Les patients doivent appeler et l’agente leur demande où ils sont et elle tente de trouver le personnel demandé [...] Si quelqu’un est en détresse, il ne prendra pas le temps de prendre son téléphone et composer le numéro. Ça ne fait pas de sens», déplore Mme Quenneville.

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