Jérôme 50: «J’avais le désir de parler au monde qui chauffe des tracteurs »


Cédric Bélanger
Qu’ont en commun le succès country dance de 1994 Cotton Eye Joe, Alex Ovechkin, le plaisir de fumer de la marijuana en étudiant et une chanson finaliste au Gala de l’ADISQ ? L’inclassable Jérôme 50, pardi !
Grâce à sa décapante satire néo-trad Tokébakicitte, succès-surprise de 2021 avec ses 1,2 million d’écoutes sur Spotify et son clip vu plus de 800 000 fois sur YouTube, cet artiste de Québec, amateur de Brassens, de littérature et de produits de la SQDC, est sorti de l’anonymat pour de bon.
En moins de trois minutes, Tokébakicitte pointe du doigt, avec un humour à faire grincer des dents, les travers de sa génération sur une entraînante mélodie.
Le titre lui-même emprunte une expression née sur le web qui raille le racisme de certains Québécois.
Dans Tokébakicitte, on croise Kevin Tremblay, un gars qui fait le tour du Lac-Saint-Han (sic) avec sa Civic montée, Marilou Thibodeau, une végane adepte du compostage sauf quand elle voyage, Joanie Gendron, une postulante à Occupation double qui se tape son beau-frère, et Gros bras grand Joe, un policier raciste.
Le tout est servi avec références au célèbre mème « Tequila, Heineken, pas le temps de niaiser » et au refrain du classique de la Bottine souriante, La Ziguezon.
Même si Tokébakicitte dénonce sur le ton de l’humour, tout le monde n’a pas souri en écoutant la chanson.
« J’ai croisé un flic au parc Laurier, à Montréal. Il était sorti de Nicolet et il m’a dit qu’au début, ma toune l’avait mis en tabarnac parce qu’il s’était reconnu dans Gros bras grand Joe », raconte Jérôme 50.
Pour sa famille
Tokébakicitte est une tentative avouée de Jérôme 50, artiste qui évolue depuis ses débuts hors des sentiers commerciaux, d’élargir son public, en commençant par rallier sa propre famille.
« Dans les soupers de Noël, on me parle peu de ma musique parce que ça ne les rejoint pas. Ma famille habite en région. Quand j’ai sorti mon album La hiérarchill, ma grand-mère m’a dit qu’il y avait une faute dans mon titre », dit-il.
« Avec Tokébakicitte, j’avais le désir de parler au monde qui chauffe des tracteurs un peu plus qu’à ceux qui font leur mémoire universitaire sur les différences hiérarchiques entre la classe ouvrière et je ne sais pas quoi. Ce n’est pas intellectuel et c’est voulu comme ça. »
Un Cotton Eye Joe québécois
Malgré les ambitions populaires de Jérôme 50, l’inspiration de départ de Tokébakicitte surprend quand même. « Tu connais sûrement la chanson Cotton Eye Joe ? » glisse-t-il.
Comment l’oublier ? Quiconque a mis le pied dans une discothèque durant les années 1990 a entendu cette adaptation par le groupe eurodance Rednex d’une chanson folk traditionnelle du sud des États-Unis.
Comme la formation suédoise il y a 25 ans, Jérôme 50 a voulu marier des éléments musicaux traditionnels et contemporains.
« Mon objectif, affirme-t-il, était de faire un Cotton Eye Joe québécois. »
L’exemple d’Ovechkin
Honoré d’être en lice pour la chanson de l’année aux côtés des Cowboys Fringants, Roxane Bruneau et Cœur de pirate, Jérôme 50 refuse tout de même de s’en enorgueillir.
« Je veux que ma carrière dure une cinquantaine d’années. Jusqu’à ma mort. Pour y arriver, il ne faut pas trop se flatter des premiers honneurs et toujours chercher à créer de meilleures choses. Comme Ovechkin en ce moment. Il pourrait s’asseoir sur son top 5 des meilleurs buteurs, mais il a la chance... toi, penses-tu qu’il va rejoindre Gretzky ? » demande-t-il en faisant dévier la conversation sur l’attaquant des Capitals de Washington.
Pour ce qui est d’un nouvel album, il faudra attendre parce que Jérôme 50, qui travaille à la rédaction d’un dictionnaire du parler des jeunes, vient d’amorcer une maîtrise en linguistique à l’Université Laval.
Et il tripe. Le mot de la fin ?
« J’aime fumer un bat et lire sur la linguistique. C’est comme si ça donne une perspective nouvelle sur la langue. »