Hydro-Québec a déjà signé un pacte avec une firme liée à l’armée chinoise
En Chine, la frontière entre le secteur privé et l’appareil de sécurité et de renseignement est souvent très floue


Francis Halin
Hydro-Québec a signé une entente de licence de sa technologie de batterie au lithium avec une firme liée à l’armée chinoise, il y a quatre ans, mais assure qu’elle ne le referait pas aujourd’hui.
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« Le contexte politique et d’affaires a beaucoup changé depuis 2018. En 2022, un tel projet ne serait pas envisagé », a indiqué Francis Labbé porte-parole d’Hydro-Québec, quelques jours après l’arrestation et l’inculpation, le 14 novembre dernier, d’un espion présumé.
Cet incident a suscité des questions sur les liens d’affaires de la société d’État avec la Chine.
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Pas de financement
En 2018, Hydro a signé une entente de licence de sa technologie de batterie au lithium des années 2000 à la chinoise Dongshi Kingpower, mais le projet est tombé à l’eau faute d’argent du côté chinois.
« Aucun transfert de connaissances n’a eu lieu », a assuré Francis Labbé.
À l’époque, le communiqué de la société d’État mentionnait que la firme chinoise en question était dans plusieurs projets, dont le « Programme 863 ».
« Nous savions que l’entreprise avait des liens avec le gouvernement chinois », a confirmé Hydro-Québec lorsqu’interrogée par Le Journal.
Hydro mal informée ?
Or, le « Programme 863 » est codirigé par l’armée chinoise, selon des experts (voir autre texte ci-bas).
« TOUS [sic] les 863 projets sont disponibles pour l’armée chinoise. Peut-être qu’Hydro-Québec n’était pas au courant de la politique sur la technologie militaire », s’interroge Margaret McCuaig-Johnston, ancienne vice-présidente du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada.
« Personne n’ira chercher de la technologie à l’étranger si ce n’est pas pour avantager l’aspect militaire du gouvernement chinois », estime aussi Michel Juneau-Katsuya, ex-directeur de la zone Asie-Pacifique du Service canadien du renseignement de sécurité.

« Aucun secret »
Joint par Le Journal, le premier ministre d’alors, Philippe Couillard, a dit qu’il ne se souvenait pas de cette entente vu le grand nombre de dossiers traités.
L’ex-représentant du Québec en Chine, Jean-François Lépine, a précisé que la technologie vendue était « déjà publique » et qu’il n’y avait donc « aucun secret ».
« Il faut faire très attention avec l’armée chinoise, car c’est du complexe militaro-industriel américain dont s’inspirent les Chinois. Aux États-Unis, il est très difficile de faire la différence entre les programmes de l’armée et ceux de l’industrie », a-t-il rappelé.
Vendredi dernier, Le Journal rapportait que le Pentagone s’apprête à allonger des millions de dollars pour financer nos minières, ce qui donne raison à l’ex-diplomate.
Pour ce qui est du présumé espion arrêté la semaine dernière chez Hydro, Jean-François Lépine s’est dit consterné par l’affaire.
« Je ne comprends pas pourquoi Hydro-Québec et son centre de recherche ont engagé un chercheur chinois, qui n’est pas un citoyen canadien », a-t-il conclu.
– Avec la collaboration de Marie Christine Trottier
En 2018, l’entente entre Hydro-Québec et Dongshi Kingpower prévoyait la mise en place d’une chaîne de production pilote à l’usine de l’entreprise chinoise.
ENTENTE AVORTÉE ENTRE HYDRO-QUÉBEC ET DONGSHI KINGPOWER
- Signature : 22 janvier 2018, Pékin
- Type : contrat de licence
- Montant de l’entente : inconnu
- Partenaire : National and Local United Engineering Laboratory for Power Batteries
- Technologie: batterie au lithium (datant des années 2000)
- Utilisation chinoise : autobus (sécuritaire et peu coûteux)
Source : Hydro-Québec
En quoi consiste le « Programme 863 » ?
Qu’est-ce que le « Programme 863 » du gouvernement chinois ? Pourquoi des experts s’inquiètent de voir qu’Hydro-Québec a déjà signé une entente avec une firme chinoise de pointe liée à ce programme stratégique ?
D’après le ministère chinois de la Science et de la Technologie, son but est de « renforcer la capacité d’innovation dans les secteurs de haute technologie, en particulier dans les domaines stratégiques de haute technologie ».
« Le “Programme 863” a commencé en 1986 [probablement en mars, d’où le 3] et est cogéré par l’Armée populaire de libération et le ministère de la Science et de la Technologie », souligne Margaret McCuaig-Johnston, ancienne vice-présidente du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada.
« Il est également connu sous le nom de programme Spark », poursuit-elle.
Des efforts détournés
Le hic, c’est que les scientifiques d’ici ne réalisent souvent pas que leurs recherches peuvent être détournées vers l’armée grâce à lui, avance l’ex-fonctionnaire.
« Nos chercheurs universitaires doivent être très prudents, et encore plus ceux qui sont financés par les contribuables », prévient-elle.
Biologie, vols spatiaux, laser, robotique... le « Programme 863 » touche à de nombreux secteurs, selon un rapport américain déclassifié de 2006.
Mariage techno

Pour Michel Juneau-Katsuya, ex-directeur de la zone Asie-Pacifique du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), ce programme est l’exemple parfait du mariage entre les entreprises technos et l’armée chinoise.
« Il y a une relation directe entre le gouvernement, les services de renseignement et la recherche de technologie », soutient-il.
D’après l’ex-représentant du Québec en Chine, Jean-François Lépine, il faut cependant garder en tête que la Chine s’est inspirée « des Américains et des Israéliens » pour concevoir sa stratégie de partenariat militaro-industrielle.
Ces derniers jours, Le Journal n’a pas réussi à s’entretenir avec l’ex-directeur général du Centre d’excellence en électrification des transports et stockage d’énergie d’Hydro-Québec, Karim Zaghib, qui a signé une entente avec une firme chinoise liée au « Programme 863 » en 2018.

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