Livraisons de drogue et d'armes: on a perdu le contrôle des drones en prison

Erika Aubin
Les livraisons par drone sont devenues quasi quotidiennes dans des établissements, au grand désespoir des agents correctionnels. Des détenus en sont à découper leur fenêtre pour se faire livrer drogue et armes directement à leur cellule.
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« Clairement, on est en train de perdre le contrôle des établissements au profit de ceux qui trafiquent à l’intérieur. Ce qu’on intercepte, ce n’est que la pointe de l’iceberg », s’alarme Mathieu Lavoie, président du Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec.

On est passé d’une vingtaine de drones signalés à proximité et interceptés annuellement il y a 7 ans à plus de 350 en 2020, et ce, seulement dans les établissements provinciaux, selon les données du ministère de la Sécurité publique.
« C’est un fléau depuis plus de quatre ans, principalement dans les prisons à Montréal, où c’est devenu presque tous les jours. Parfois, il y a plusieurs drones en même temps pour faire diversion. Maintenant, on en voit aussi dans le reste de la province, comme à Hull, Québec et Rimouski », rapporte M. Lavoie.
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Même son de cloche dans les pénitenciers fédéraux : « Avant, c’était surtout dans les établissements à sécurité maximale, comme Donnacona. On voit de plus en plus de drones dans les médiums », explique Frédérick Lebeau, président de la région du Québec pour le Syndicat des agents correctionnels du Canada-CSN.
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Fenêtres brisées

Les détenus ont une imagination sans borne pour se faire livrer sans se faire pincer. Dans les prisons de Bordeaux et de Rivière-des-Prairies, certains ont carrément découpé leur fenêtre, probablement avec des outils livrés par drone, afin de recevoir des livraisons.
Plusieurs cellules ont été condamnées le temps d’être réparées, confirme Mathieu Lavoie.

« Ils reçoivent ça directement à la fenêtre. Un service de livraison encore meilleur que [celui de FedEx]. De cette façon, ça devient pratiquement indétectable », déplore Frédérick Lebeau.
Récemment, des fenêtres ont aussi été brisées dans les pénitenciers, dont celui de Donnacona.
Au profit du crime organisé

Cellulaires, chargeurs USB, tabac, stupéfiants, médicaments : ces objets prohibés à l’intérieur des murs valent trois à quatre fois plus cher que dans la rue, estiment les deux présidents. Il n’est pas rare que les agents correctionnels saisissent des colis valant plus de 20 000 $.
« Les gangs criminalisés sont morts de rire. Ils reçoivent leur drogue et peuvent même se faire du profit en vendant. Avec les cellulaires, des proxénètes fonctionnent encore en prison », illustre Jean Rousselle, député du Parti libéral du Québec et porte-parole de l’opposition officielle en matière de sécurité publique.
Preuve qu’il s’agit d’un marché particulièrement lucratif, certains drones utilisés pour les livraisons sont munis de GPS ou encore de caméra thermique, explique Mathieu Lavoie.
« Ces drones peuvent valoir plusieurs milliers de dollars et transportent facilement de grandes quantités. Clairement, ce sont les gangs de rue et le crime organisé derrière ça qui en profitent », conclut-il.
Drones signalés et saisis dans les prisons du Québec
- 2020-21 : 354*
- 2019-20 : 225
- 2018-19 : 173
- 2017-18 : 180
- 2016-17 : 120
- 2015-16 : 27
*Du 1er avril 2020 au 31 janvier 2021
Source : Études des crédits du ministère de la Sécurité publique
Après la drogue, la livraison d’armes ?
Des agents correctionnels qui craignent que des couteaux et des armes à feu soient livrés par drone élèvent leur voix afin de réclamer des moyens pour stopper ce fléau.

« Un cellulaire, ça peut paraître banal. Mais la journée où un gun va entrer, c’est une autre histoire. Ça nous inquiète », confie un agent correctionnel du pénitencier de Cowansville, pas autorisé à parler aux médias.
Cette semaine, à la prison de Bordeaux, des agents ont saisi un paquet livré par drone contenant du tabac, de la marijuana, des têtes de tournevis ainsi que des couteaux, rapporte Mathieu Lavoie, président du Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec. Le lendemain, cinq drones ont été aperçus en une seule nuit, dont quatre qui ont volé au même moment.
Violences et dettes de drogue

La présence d’armes et de drogue à l’intérieur des murs engendre des flambées de violence entre personnes incarcérées et même envers les agents correctionnels, explique M. Lavoie. Sans parler des détenus qui accumulent des dettes pour payer leurs stupéfiants, ce qui mène à des conflits.
Pour cette raison, le président réclame au gouvernement depuis au moins quatre ans déjà des outils performants afin de détecter les drones qui survolent les centres de détention.
« On se fait toujours répondre que ça s’en vient, qu’il y a des appels d’offres en cours, mais rien ne se passe, déplore Mathieu Lavoie. La technologie existe, mais ça va prendre des investissements. On a des outils, mais qui devaient être temporaires et qu’on utilise depuis des années. »
Brouilleurs d’ondes
Depuis un peu plus d’un an, le pénitencier de Cowansville est doté d’un détecteur de drone portatif.
« Au début, ça fonctionnait bien. Puis, on a remarqué que le détecteur sonne seulement quand le drone quitte le périmètre. Ils ont des brouilleurs d’ondes. Donc, difficile pour nous de savoir où la livraison a été droppée », explique l’agent correctionnel.
« La technologie détecte certains types de drones, mais pas tous. Et ça n’a pas été long que les détenus ont su lesquels », précise Frédérick Lebeau, président de la région du Québec pour le Syndicat des agents correctionnels du Canada-CSN.
À Donnacona, on leur avait promis un système 3D de détection radar qui devait être fonctionnel ce mois-ci.
« Mais l’échéancier a été repoussé au printemps ou à l’été 2022, dit M. Lebeau. Il y a clairement un manque de volonté politique. »