Nouveau roman de Catherine Mavrikakis: la mélancolie des chutes

Marie-France Bornais
Auteure maintes fois récompensée pour ses romans, ses récits et ses essais, qui sont traduits en plusieurs langues, la Montréalaise Catherine Mavrikakis parle de l’impermanence, du temps qui passe, des souvenirs qui s’accrochent ou s’évaporent dans son nouveau roman, Niagara. La narratrice de cette nouvelle œuvre de fiction, fascinée par les cours d’eau, saisit des histoires, des moments, des instantanés, rappelant avec une pointe de mélancolie que tout coule, irrémédiablement.
Au pied des chutes, toujours, l’eau se fracasse dans un tonnerre et bouillonne. Plus loin, les rivières et les fleuves irriguent les territoires, terminant leur course dans la mer, comme le Mississippi se jette dans le golfe du Mexique.
La narratrice de Niagara observe ces mouvements, ne quitte pas de vue les flots, se questionne en les observant. Surgissent dans sa rêverie les histoires des disparus, le fantôme de sa mère, des souvenirs précis ou plus diffus, qui passent puis s’évanouissent.
Catherine Mavrikakis, une écrivaine d’une grande sensibilité et d’une lucidité intense, évoque l’effet Niagara dans son roman : ce qu’il en coûte d’être passif et de se laisser dériver dans la vie.
Communier avec les disparus
Elle parle aussi de la mort de sa mère, un fantôme qui apparaît sur différents cours d’eau du continent nord-américain, de différentes manières. Le concept est brillant, la puissance d’évocation, exceptionnelle.
«Je ne dis pas que je crois à la vie après la mort, mais j’ai l’impression que dans la nature, on peut recommuniquer encore, sentir des présences. Il me semble que dans la nature, quelque chose apparaît de l’absence et de la présence. On retrouve une communion avec ceux qu’on a perdus», partage-t-elle en entrevue.
«J’avais envie que ce soit un peu loufoque, que ce soit un peu comme un rêve, et très géographique, très nord-américain. Je voulais que ma mère devienne les États-Unis, le Canada, les chutes du Niagara. Elle n’avait pas du tout aimé ce continent et je voulais la faire voyager dans ce continent-là.»
Grande voyageuse
Née à Chicago, Catherine Mavrikakis est allée dans les endroits qu’elle évoque dans ce roman.
«J’ai beaucoup voyagé et je suis déjà allée presque jusqu’à La Nouvelle-Orléans avec ma mère, quand j’étais petite, comme je le raconte. Et j’avais envie que ce soit encore un peu plus fou.»
Catherine voulait aussi parler du temps qui passe.
«Quand on est enfant, on a peur que ses parents meurent. Et il arrive un jour où ils meurent vraiment. J’avais envie de montrer comment le temps coule, quoi qu’il arrive.» Un peu comme les flots du Mississippi, du Saint-Laurent...
En même temps, elle décrit une Amérique difficile, remplie d’injustices et de conflits sociaux.
«Le territoire n’est pas neutre : il est traversé par des conflits, des batailles, des inégalités sociales. Petite, j’étais toujours contente de voyager, mais j’avais toujours aussi beaucoup d’appréhension de ce que je voyais, j’avais peur de découvrir quelque chose d’horrible dans ce monde.»
♦ Catherine Mavrikakis a publié de nombreux romans, dont La ballade d’Ali Baba, Les derniers jours de Smokey Nelson, Oscar De Profundis et L’annexe.
♦ Elle est l’auteure d’un oratorio, Omaha Beach, et d’un récit sur sa mère, L’absente de tous bouquets.
♦ Elle a aussi écrit des essais.
♦ Son œuvre est traduite en plusieurs langues et elle a été plusieurs fois récompensée par des prix prestigieux.
EXTRAIT

«Les chutes sanglotaient et plus personne n’allait les voir. On disait qu’elles rendaient malades. Leur beauté inquiète provoquait un syndrome, celui de Niagara, qui fait l’objet de ce récit. Ceux et celles qui étaient contaminés par la magnificence du lieu prenaient conscience de la violence du temps qui passe.
Pour ce virus, on n’a toujours pas mis au point de vaccin. Certaines créatures, sans que l’on comprenne pourquoi, le chopent à répétition. Les scientifiques s’interrogent.
On chute, on chute... et on fait des rechutes... Je ne le sais que trop.»