«Nid-de-poule»: autopsie d’un réseau à la dérive
Alexe-Sandra Daigneault
Tout le monde s'entend pour dire que les routes du Québec sont dans un état lamentable, et la situation ne semble pas s'améliorer avec les années. La grande enquête menée par Ève Duranceau révélera-t-elle pourquoi?
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Pour un citoyen comme les autres, le problème semble simple: aussitôt qu'un nid-de-poule apparaît, il suffit de le réparer pour éviter que la situation s'envenime. Ève Duranceau a toutefois entendu un tout autre son de cloche au cours de ses deux années de recherche sur le sujet, qui l'ont amenée à la rencontre de dizaines de politiciens, d'ingénieurs, de chercheurs et de victimes de notre réseau routier.

Au cours de ce documentaire-théâtre réalisé par Paul-Maxime Corbin, la comédienne nous fait part de ses découvertes avec le soutien de Mathieu Gosselin, Catherine Bérubé, Martin-David Peters et Marco Collin. Ces quatre comédiens, qui incarnent les différents intervenants rencontrés par Ève en rapportant leurs paroles mot pour mot, révèlent l'ampleur du gouffre financier et social dans lequel le Québec s'est embourbé.
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Ligne de départ
L'enquête d'Ève débute avec l'histoire de Johanne Lortie, dont le conjoint a perdu la vie en 2022 dans un accident de la route causé par un nid-de-poule sur la route 117, à Sainte-Adèle. Elle-même gravement blessée, elle a voulu entamer des poursuites contre le ministère des Transports du Québec (MTQ), mais son avocat lui a fait comprendre que le gouvernement est protégé par le régime «no fault» de la Société d'assurance automobile du Québec (SAAQ): en gros, le gouvernement n'est pas responsable des accidents qui se produisent sur ses routes.

Pourquoi, dans ce cas, se presserait-il de les réparer? En allant à la rencontre de la mairesse de Sainte-Adèle, d'un avocat spécialisé dans la défense des accidentés de la route et d'une femme qui a remporté son combat judiciaire contre le MTQ, entre autres, elle découvre qu'il s'agit essentiellement d'une question d'argent et de priorités politiques. Au niveau municipal, la priorité va en effet souvent au développement foncier, qui permet d'augmenter les revenus de la ville. Mais comme il faut construire de nouvelles routes pour ces nouvelles maisons, et que les autres structures continuent de se détériorer, le budget est toujours plus déficitaire au fil des années. Ainsi, il en reste peu pour l'entretien et la réparation des routes, si bien que seuls les problèmes extrêmement urgents finissent par être réglés.
À tous les niveaux
Au niveau provincial, ce sont les nouvelles constructions politiquement payantes — comme le fameux troisième lien de Québec — qui passent en premier. Le sous-financement chronique de l'entretien du réseau routier est donc tel que 10 milliards de dollars devraient être investis simplement pour remettre en état toutes les routes du Québec, dont la moitié sont considérées comme étant en très mauvaise condition. Si les choses continuent ainsi, ce déficit de maintien d'actifs (DMA) passera de 6 à 33% de notre économie d'ici 2050, représentant cinq fois plus d'infrastructures en décrépitude.
Pour Ève Duranceau — et tous les citoyens qui sont à l'écoute —, le constat est terrifiant... et les solutions n'ont rien de simple. Certains suggèrent d'abandonner les routes sous-utilisées, ce qui encouragerait la densification urbaine et dévitaliserait les régions éloignées. D'autres soulignent la nécessité de limiter les développements et de s'assurer que chaque nouveau projet soit économiquement, socialement et environnementalement durable. Beaucoup s'entendent toutefois pour dire que la gestion de l'infrastructure devrait être entièrement dépolitisée afin de soustraire ce secteur sensible à toute question de partisanerie et d'électoralisme. En fait, peut-être faudra-t-il collectivement apprendre à sacrifier nos intérêts personnels pour le bien commun, sans quoi nos enfants et nous risquons d'en subir les conséquences...