N’achetez pas de crème antirides à votre enfant pour Noël, c’est inutile et dangereux


Anne-Sophie Poiré
La routine beauté de fillettes parfois âgées d’à peine 3 ans cumule des millions de vues sur les réseaux sociaux. Des experts mettent en garde contre cette quête de la «peau parfaite» transformée en jeu d’enfant: toutes les larmes versées au Sephora pour avoir une bouteille de rétinol n’annulent pas les dangers de certains de ces produits.
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«Je suis tellement heureuse, j'adore les soins de la peau», lance sur TikTok Edie Saccone-Joly, 10 ans, le sourire fendu jusqu’aux oreilles.
À la caméra, elle présente ses 10 produits chouchous. Les bouteilles colorées et brillantes de marques comme Bubble, Drunk Elephant et Byoma se succèdent.
@jonathanjoly My daughter Edie loves skincare and we made a video recently where she went on a skincare shopping spree. So today we decided to share her collection with you. ##jonathanjoly##skincare##daughter ♬ Happy , Sunshine & Ukulele - Balang_3go
L’assortiment vaut plus de 450$, selon un calcul très sommaire.
Mais pourquoi des enfants aussi jeunes voudraient à tout prix s’étendre autant de crèmes sur le visage?
«Ils n’auront jamais une aussi belle peau de leur vie [qu’à l’enfance]», rappelle le dermatologue pédiatrique au CHU Sainte-Justine et professeur agrégé de clinique de l’Université de Montréal, Jérôme Coulombe.
Un nouveau public
Derrière ces grandes marques, il y a un «succès marketing», remarque le médecin.
«C’est comme avec les Pokémon. Gotta Catch 'Em All. Il faut avoir toute la gamme, tous les produits, de toutes les couleurs», analyse-t-il.
«Entre 8 et 13 ans, les jeunes sont des collectionneurs. Nous, c’étaient les collants et les effaces. Les compagnies comme Drunk Elephant jouent là-dessus. Clairement, ces produits ne sont pas destinés aux adultes de 30 ans», poursuit le Dr Coulombe.
Dans son bureau, il observe l’attrait des enfants pour les routines skincare, surtout depuis l’arrivée des «Sephora Kids» sur TikTok, il y a près d’un an.
Les vidéos de ces influenceuses de la génération Alpha — nées entre 2010 et 2024 —, qui bâtissent leur communauté grâce à leur routine «beauté» publiée sur un compte géré par leurs parents, attirent des millions de vues sur les réseaux sociaux.
Aux États-Unis, il faut avoir au moins 13 ans pour posséder un compte TikTok. Au Québec, l’âge requis est de 14 ans.
«Les jeunes sont devenus un des publics cibles des marques de cosmétiques alors qu’il y quelques années, ils n’étaient même pas sur leur radar», signale le Dr Coulombe.
Des produits non testés
«Il n’est jamais trop tôt pour apprendre à vos enfants les soins personnels», lance la voix d’une mère dans une vidéo TikTok.
Eau micellaire, sérum et crème hydratante: elle présente le soin matinal de sa fillette de 3 ans dont la «peau devient très sèche avec de l’eczéma pendant l’hiver», raconte-t-elle.
@tara.and.evy My 3yr olds morning skincare routineto combat cold weather dryness 🧡 Products are from: @byoma @CeraVe @GarnierUSA #fyp #morningroutine #skincare #morningskincare #childskincare #parenting #motherhood #beauty ♬ original sound - The Cochran Fam
Or, les routines de soins de la peau en plusieurs étapes seraient tout sauf bénéfiques pour la peau des enfants.
«La peau d’un enfant qui n’a pas eu sa puberté est plus fragile, mince et sécrète moins de sébum protecteur, explique le Dr Coulombe. Les produits contenant de l’acide salicylique, de l’acide glycolique ou du rétinol sont irritants. Ça peut causer de l’eczéma de contact irritatif ou de l’eczéma de contact allergique. Dans le dernier cas, le jeune sera allergique à certains produits pour le reste de sa vie.»
Certains ingrédients, qui ne sont pas validés chez les jeunes de moins de 12 ans par Santé Canada ou la Food and Drug Administration (FDA) aux États-Unis, peuvent même être toxiques pour les enfants, met-il en garde.
Un «drapeau rouge»
La semaine dernière, l’Ordre des chimistes du Québec levait un «drapeau rouge» concernant l’utilisation de produits incluant des molécules antiâges et exfoliantes sur la peau en développement des jeunes.
«Les influenceurs, et encore moins ceux de 10 ans, n’ont aucune connaissance de la chimie des produits qu’ils appliquent sur leur peau», souligne le président de l’Ordre, Michel Alsayegh.
En Suède, la grande chaîne de pharmacie Apotek Hjärtat interdit depuis le mois de mars la vente de certains produits de beauté aux moins de 15 ans pour contrer l'usage prématuré des soins pour la peau.
«Des enfants qui commencent à avoir des points noirs d’acné vont s’appliquer plein de produits pour soigner leur peau. Ça crée de l’eczéma de contact par-dessus leurs points noirs. Ils ajoutent d’autres produits parce que ça leur gratte et ils se ramassent avec de l’acné excoriée», illustre Jérôme Coulombe.
Le moins d’ingrédients possible
Le remède selon le dermatologue pédiatrique?
«Hydrater sa peau avec de la crème sans parfum en vente libre en pharmacie, résume-t-il. Plus la liste d’ingrédients est longue, plus il y a de chance de développer des réactions et des allergies.»
Le produit le plus sécuritaire, selon lui, demeure «la bonne vieille gelée de pétrole».
«Même si elle n’est pas attrayante par son branding et sa texture et qu’elle n’est pas super bonne pour l’environnement, ça reste le produit le plus inerte, détaille le Dr Coulombe. Il n’entre pas dans la peau, il protège et il hydrate.»
Et dans le bas de Noël d’un enfant qui supplie pour du rétinol, les parents devraient plutôt y déposer un tube de crème solaire FPS 30 homologué par l’Association canadienne de dermatologie et un hydratant contenant peu d’ingrédients suggère-t-il.